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Les prestations sociales face au phénomène de l’indu. Par Thomas Martinez, Elève-Avocat.
Parution : mardi 5 avril 2022
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Lorsque des prestations en matière sociale, familiale ou de santé sont versées par les organismes (CAF, MSA, Pôle emploi ou encore la CPAM) aux assuré(e)s, un risque d’indu peut émerger et se manifester à partir d’un ou de plusieurs versements qui ne seraient pas justifiés. Se pose alors la question y compris contentieuse du remboursement de l’indu par l’assuré débiteur illégitime.

I - L’indu : un phénomène indissociable des prestations sociales.

L’indu de prestations sociales implique au moins deux acteurs intimement liés : la caisse, l’entité qui verse, et l’allocataire, celui qui reçoit. Si l’indu ne frappe pas l’ensemble des bénéficiaires d’allocations, il demeure une réalité non négligeable synonyme de précarité accentuée. L’indu peut être volontaire ou involontaire, conscient ou inconscient, endogène ou exogène à la personne de l’assuré.

S’il est admis que l’indu provient du bénéficiaire lui-même en raison de déclarations tardives ou inexactes, parfois accompagnées d’une volonté frauduleuse, il puise aussi son imputabilité dans d’autres sources aux « frontières poreuses » : la législation fluctuante, les défaillances de la caisse, le fait d’un tiers ou la pauvreté. La pauvreté est un facteur « aggravant » lors de la rectification d’une situation d’endettement.

Cela se traduit d’un point de vue éducatif, financier et/ou matériel. L’assuré précarisé aura une veille discontinue à l’égard de ses droits et ses devoirs. Le nombre d’allocations engendre par ailleurs des difficultés de compréhension et de lisibilité, autant pour l’agent que l’assuré, dont la survenance de l’indu n’est pas étrangère.

Les prestations sociales constituent un filet de sécurité. Les plus fragiles, compte tenu de leurs faibles ressources, bénéficient d’allocations pouvant se cumuler entre elles sur une courte ou une longue période, par exemple, les allocations familiales, la prime d’activité et l’APL. L’accumulation des aides permet de surmonter l’écart entre les revenus faibles ou l’absence de revenu avec l’augmentation du coût de la vie. Il s’agit en d’autres termes de soutenir le pouvoir d’achat et la croissance.

Face à l’indu de prestation(s) sociale(s), l’adhérent se retrouve démuni car il a utilisé la somme indûment perçue dans le paiement de son loyer ou encore dans l’achat de produits de premières nécessités. Le degré de vulnérabilité de l’adhérent dépend de la célérité de la découverte de l’indu. Plus l’indu s’étend sur une longue période, plus la somme réclamée est importante et moins l’assuré est en mesure de le rembourser.

La densité de l’indu issue de multiples prestations sociales produit un décalage entre la situation réelle de l’assuré et le quantum de la dette.

II - Les effets de la détection de l’indu par l’organisme.

L’indu occasionne un préjudice pour la caisse.

L’article 1302 du Code civil prévoit : « Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. (...) ».

L’article 1302-1 du même code prévoit : « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ».

Dans son acception littéraire, l’indu définit une situation contre la règle ou l’usage. Le sens juridique de l’indu suit cette définition en apportant une quantification. Il s’agit d’un trop perçu d’une somme pécuniaire qui nécessite le remboursement, c’est-à-dire un statu quo ante.

Chaque indu repéré est un versement conflictuel : la caisse doit se restituer la somme, l’assuré débiteur doit la rembourser, et la somme indûment versée pouvait être distribuée à un autre allocataire dont la situation présentait un droit à allocation.

L’indu n’exonère jamais le débiteur de le rembourser. La caisse doit néanmoins appliquer un plan de remboursement personnalisé en tenant compte de la situation de l’allocataire de manière à lui laisser un reste à vivre suffisant [1].

A ce titre, la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé qu’exiger le remboursement d’une somme disproportionnée revient à faire peser une charge excessive sur l’allocataire en violation de ses droits fondamentaux :

« Concernant la proportionnalité de l’atteinte, il n’a pas été avancé que la requérante aurait contribué au versement des indemnités au-delà de la période légale. L’autorité compétente ayant adopté une décision favorable à la requérante et ayant poursuivi les versements, l’intéressée pouvait légitimement supposer qu’elle percevait à bon droit les sommes en question. Il est déraisonnable de conclure qu’elle aurait dû se rendre compte qu’elle avait perçu des indemnités de chômage au-delà de la période légale maximale.

Les autorités ont failli à leur obligation d’agir en temps voulu et de manière appropriée et cohérente. Alors que les versements que la requérante n’aurait pas dû toucher résultaient entièrement d’une erreur de l’État, la requérante s’est vu intimer l’ordre de rembourser intégralement le trop-perçu, augmenté des intérêts légaux. Il n’a donc été établi aucune responsabilité au nom de l’État, lequel a évité les conséquences de sa propre erreur, que la seule requérante a dû endosser.

Il a été proposé à la requérante de rembourser sa dette en soixante versements. Or la somme à rembourser représentait un montant considérable pour elle, eu égard au fait qu’elle était privée de son unique source de revenus ainsi qu’à sa situation financière globale. Très modestes, les sommes que l’intéressée avait perçues au titre des prestations de chômage avaient été dépensées pour sa subsistance. En déclarant qu’il y avait eu enrichissement injustifié, les juridictions nationales ont négligé de prendre en considération la santé et la situation financière de la requérante. Atteinte d’un trouble psychiatrique, elle n’était pas à même de travailler et était au chômage depuis longtemps. Elle ne possédait pas de compte en banque et ne disposait d’aucun revenu ni de biens de valeur. Dans ces circonstances, le remboursement de la dette, fût-ce de manière échelonnée, aurait compromis sa capacité à assurer sa subsistance » [2].

III - La contestation administrative et juridictionnelle de l’indu.

En premier lieu, il découle de l’indu une décision ayant des effets juridiques. Cette décision notifiée doit préciser la cause, la nature et le montant des sommes réclamées et la date donnant lieu à répétition [3].

Elle mentionne l’existence d’un délai de deux mois, à partir de sa réception, imparti au débiteur pour s’acquitter des sommes réclamées, les modalités selon lesquelles les indus de prestations pourront être recouvrées, le cas échéant par retenues sur les prestations à venir, ainsi que les voies et délais de recours.

Aux termes de l’article R142-1 du Code de la sécurité sociale :

« Les réclamations relevant de l’article L142-4 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil, du conseil d’administration ou de l’instance régionale de chaque organisme.

Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation ».

En deuxième lieu, lorsqu’il est notifié de la décision d’indu, l’assuré peut adresser dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision contre laquelle il s’oppose une demande de remise et/ou de contestation du bien-fondé de l’indu auprès de la commission de recours amiable interne à l’organisme. Nous indiquons que pour Pôle emploi, il s’agit « d’un recours gracieux préalable devant le directeur général de Pôle emploi dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de l’indu par Pôle emploi » au sens de l’article R5426-19 du Code du travail.

La commission rend une décision motivée au sens de l’article R142-4 du Code de la sécurité sociale. Toutes les décisions de la commission font l’objet d’un contrôle de conformité à la législation par l’Autorité de tutelle nationale avant la notification selon l’article R155-1 du Code de la sécurité sociale. En principe, lorsque le demandeur n’a pas eu connaissance du sens de la décision de la commission dans les deux mois, sa demande est considérée comme rejetée en application de l’article R142-6 du Code de la sécurité sociale.

En troisième lieu, lorsque la décision de la commission est défavorable à l’assuré, celui-ci peut solliciter un médiateur interne à l’organisme. Il rendra un avis simple motivé, favorable ou défavorable à l’adhérent. Il est important de préciser que l’organisme n’est pas lié par l’orientation de l’avis. Lorsque l’avis est défavorable, il reviendra à l’assuré d’exercer les voies de recours juridictionnel dans les deux mois suivant la notification de celui-ci. Dans tous les cas, l’exercice du recours interne tenant à la commission ou au recours gracieux ouvre l’accès au prétoire.

En parallèle, si l’assuré n’entreprend aucun recours dans les deux mois à la suite d’une décision indu, une mise en demeure lui est adressé. La mise en demeure reprend l’ensemble des informations de faits et de droit qui justifie le recouvrement de la somme. A l’expiration du délai de deux mois pour contester la mise en demeure, le recouvrement se poursuit par voie de contrainte [4].

Le débiteur dispose d’un délai de quinze jours pour faire opposition à contrainte au sens de l’article R133-3 du Code de la sécurité sociale, à défaut, elle autorise l’exercice des voies légales d’exécution : former une opposition à tiers détenteur (il s’agit pour la caisse de se servir chez un tiers ayant des fonds appartenant aux débiteurs de l’indu) ou toutes autres actions.

En dernier lieu, la compétence du juge judiciaire ou administratif dépend de la nature de la prestation à la racine de l’indu. Il conviendra pour l’assuré débiteur d’être vigilant sur ce point, à défaut, il pourrait se voir opposer une irrecevabilité de sa requête pour incompétence juridictionnelle. De même, il portera un regard précis sur l’existence de recours préalable obligatoires à la saisine d’une juridiction, comme nous l’avons vu avec la commission de recours amiable ou le recours gracieux obligatoire.

Par exemple, en matière de RSA, l’article L262-47 du Code de l’action sociale et des familles mentionne :

« Toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l’objet, préalablement à l’exercice d’un recours contentieux, d’un recours administratif auprès du président du conseil départemental (…) ».

Par un avis du 7 juillet 2010, le Conseil d’État précise qu’il appartient au juge administratif non seulement d’apprécier la légalité de la décision relative au RSA, mais aussi de se prononcer sur les droits effectifs du demandeur à l’allocation jusqu’à la date à laquelle il statue [5].

En conclusion.

Le phénomène de l’indu tient une place interdépendante au versement des prestations sociales. L’assuré qui devient débiteur de l’organisme sera perturbé et déstabilisé par la notification d’une décision d’indu. Pour autant, sang-froid et réflexion sont maîtres ici et doivent conduire l’assuré à considérer sa situation personnelle par rapport au montant de l’indu.

Si celui-ci est trop important, une demande de remise peut apparaître judicieuse et fondée.

De même, si le fondement de l’indu semble critiquable autant en fait qu’en droit, il lui revient d’en contester le bien-fondé. En conséquence, l’assuré certes en position d’équilibriste n’est pas démuni. Il pourra former des recours internes et contentieux.

Il y a des cas ou la représentation par avocat est obligatoire et la question ne se pose pas.

Cependant, lorsqu’elle est facultative, il est préférable d’être accompagné dans les démarches contre la caisse afin d’éviter une éternisation des difficultés.

Thomas Martinez Avocat au Barreau de Lyon

[1Articles L553-2, D553-1 du Code de la sécurité sociale ; Article L262-46 du Code de l’action sociale et des familles.

[2Note CEDH, 26 avril 2018, Cakarevic c/. Croatie, n° 48921/13.

[3Conseil d’État, 10 juillet 2019, n°415427.

[4Par exemple, article L5426-8-2 du Code du travail.

[5Conseil d’État, Avis du 7 juillet 2010, n° 337411.