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CDD/CDDU : quel est le point de départ du délai de prescription en cas de fin de collaboration ? Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : vendredi 8 avril 2022
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La loi du 14 juin 2013 a réduit (encore) les délais de prescription applicable devant le Conseil de prud’hommes (cf notre article prescription aux prud’hommes pour les salariés et cadres : comment ça marche ?).

Par un arrêt du 16 mars 2022 (n°20-23.724), la Cour de cassation s’est prononcée sur le point de départ du délai de prescription de l’action portant sur la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, lorsqu’aucune rupture n’avait été formellement notifiée.

Cet arrêt peut avoir un impact non négligeable sur les actions des salariés, employés sous CDD, sollicitant la requalification de leur contrat avec les indemnités de rupture en découlant.

1) Les faits à l’origine de l’arrêt de la Cour de cassation.

Dans le cas d’espèce soumis à la Cour de cassation, une salariée avait été embauchée à temps partiel, sans contrat écrit, à compter du 1er novembre 2012.

Selon les faits retenus par les juges du fond, la collaboration aurait cessé à compter du 31 mars 2013.

Aucune notification écrite de la rupture n’est intervenue, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence précisant que les « circonstances exactes demeurent inconnues ».

Le 3 novembre 2015, soit plus de deux ans après la fin de la collaboration, la salariée a saisi le Conseil de prud’hommes de Nice en référé, afin de solliciter la remise des documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail et bulletins de paie).

Par requête réceptionnée le 23 février 2016 (soit près de trois ans après la « rupture »), la salariée a saisi le Conseil de prud’hommes de Nice en requalification de son contrat à temps et sollicitait également des indemnités au titre de la rupture du contrat.

Le Conseil de prud’hommes de Nice, suivi par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, a constaté la prescription des demandes de la salariée, relatives à la rupture de son contrat de travail.

Dans sa décision du 16 mars 2022, la Cour de cassation censure les juges du fond et fait une appréciation stricte des dispositions du Code du travail.

2) La position de la Cour de cassation.

Au visa de l’article L1471-1 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 14 juin 2013, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en ce qu’il a constaté la prescription des demandes de la salariée liées à la rupture du contrat.

Ce faisant, la Cour de cassation fait une stricte application des dispositions de l’article L1471-1 du Code du travail.

Ces dispositions prévoient que « Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ».

Dans deux arrêts publiés au Bulletin du 11 mai 2005 (n°04-40.650 et 03-40.651), la Cour de cassation avait précisé que

« la rupture d’un contrat de travail se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin, c’est-à-dire au jour de l’envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception notifiant la rupture ».

Au regard de cela, si aucune notification formelle de la rupture n’intervient, le délai de prescription ne peut commencer à courir.

Cette décision, qui ne fait qu’appliquer la lettre du texte, ne peut qu’être saluée.

En effet, à défaut de notification d’une lettre de rupture, le salarié n’est ni en mesure de connaître la date exacte de celle-ci, ni son motif.

Or, afin de contester son licenciement, encore faut-il pour le salarié connaître le motif de celui-ci.

3) L’impact de l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2022 sur la prescription de l’action en contestation de la rupture.

Cet arrêt, bien que non publié au Bulletin, peut avoir un impact non négligeable, notamment pour les salariés en CDD demandant une requalification en CDI, avec pour conséquence le paiement d’indemnités de rupture (préavis, indemnité légale ou conventionnelle, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).

Outre les cas d’espèce identiques à celui soumis à la Cour de cassation (licenciement « verbal »), les salariés dont les CDD sont requalifiés en CDI pourront, selon nous, invoquer cet arrêt.

En effet, dans le cadre des demandes de requalification des CDD en CDI, les différents délais de prescription prévus par le Code du travail peuvent parfois être amenés à se confronter.

C’est notamment le cas dans des hypothèses où le salarié saisirait le Conseil de prud’hommes plus d’un an après la fin de la collaboration, mais dans le délai de deux ans pour solliciter la requalification de ses contrats.

Le salarié pourrait alors se voir opposer la prescription des demandes formulées au titre de la rupture de collaboration, demandes représentant bien souvent le plus gros enjeu financier.

Or, de par cet arrêt et par l’arrêt du 11 mai 2005, les salariés placés dans de telles situations pourraient, à notre sens, malgré tout solliciter des indemnités de rupture et une indemnité pour licenciement sans cause sur le fondement de l’article L1235-3 du Code du travail, dès lors qu’ils n’auraient reçu aucun courrier recommandé leur notifiant la rupture de leur collaboration.

En effet, les salariés ayant bénéficié d’une succession de CDD (de remplacement, d’usage ou encore d’accroissement temporaire d’activité) sont bien souvent laissés sans nouvelle de leur employeur sans aucune justification écrite.

A défaut de recevoir une quelconque notification écrite de la rupture, le délai de prescription ne devrait théoriquement pas courir, permettant ainsi au salarié de saisir à tout moment.

Une limite doit toutefois être posée : si le salarié saisit au-delà du délai de 2 ans qui lui est accordé pour solliciter la requalification de la collaboration, il ne pourrait, à notre sens, pas solliciter d’indemnités de rupture liées à un licenciement.

En effet, les indemnités de licenciement ne sont dues que si, au préalable, la collaboration a été requalifiée en CDI.

Reste toutefois à savoir si les juges du fond suivront la position de la Cour de cassation et estimeront que le délai de prescription ne peut courir sans notification d’une lettre de rupture, y compris dans le cadre de successions de CDD.

Source.

- C. cass. 16 mai 2022, n°20-13.524 ;
- Décision - Pourvoi n°20-23.724 | Cour de cassation.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum