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Réparation intégrale du préjudice causé par la mauvaise information du conseiller en patrimoine. Par Florian Laussucq, Doctorant en Droit.
Parution : mercredi 13 avril 2022
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Dans un arrêt du 2 février 2022, la Cour de cassation a précisé la portée du préjudice à réparer pour défaut de conseil dans le cadre d’une opération de défiscalisation immobilière.

En l’espèce, un couple avait, dans le cadre d’une opération de défiscalisation, acquis un appartement dans une résidence de tourisme. Cet investissement permettait d’obtenir un avantage fiscal, dont la nature n’est pas précisée par l’arrêt de Cassation, mais qui concernait le dispositif « Demessine ».
Crée en 1999 [1] avec l’objectif de favoriser l’investissement locatif dans des zones rurales présentant un potentiel touristique, il permettait de bénéficier d’une réduction d’impôt de 25% du montant investi. En contrepartie, l’opération nécessitait pour l’investisseur de conclure un bail commercial avec un exploitant de la structure de tourisme.

Le problème ici résultait du contenu de l’information fiscale et financière fournie aux particuliers. En effet, le projet avait été présenté comme dénué de risque, à propos notamment du versement des loyers pendant neuf ans. Fort d’une telle promesse, les investisseurs avait signé l’acte authentique le 28 juin 2007, pour un loyer de 7 636 euros HT. Or l’exploitant a par la suite connu des difficultés financières, le loyer se retrouvant réduit de près de la moitié de son montant.

Les particuliers investisseurs ont alors assigné leur conseiller pour manquement à son obligation d’information et de conseil. Ils demandaient sa condamnation au paiement de la différence entre le montant du loyer initialement prévu et le loyer effectivement perçu. Après un jugement de première instance, la Cour d’appel de Lyon a condamné la société de gestion à une indemnité de 111  884,75 € au titre de la perte de loyers subie du 1er juillet 2012 au 31 mars 2016.

La société de conseil s’est néanmoins pourvue en cassation, estimant que les conséquences d’un manquement au devoir d’information et de conseil s’analysent en une perte de chance, ce qui arait pour effet de limiter largement le montant du au titre de sa responsabilité.

Questionnée sur ce point, et de manière plus générale sur la responsabilité d’un conseiller en matière d’investissement fiscal, la Cour de cassation a considéré d’une part, que la responsabilité devait être engagée pour défaut dans le conseil, et d’autre part, que le montant de l’indemnité devait être équivalent au préjudice intégral, résultant de la baisse de loyers.
Force est de constater que cette décision vient rappeler avec force la nécessité de prudence et de sécurisation du conseil en matière d’investissement fiscal, en se positionnant clairement sur la portée de l’obligation de conseil (I), et sur les conséquences pécuniaires en cas de manquement à celui-ci (II).

I) L’engagement de la responsabilité du conseiller en raison du défaut d’information fiscale.

La cour rappelle tout d’abord qu’un action en responsabilité est toujours possible contre le conseiller, sur le fondement de la responsabilité délictuelle (A). Cette action nécessite de rechercher une faute, qui se caractérisera le plus souvent par un manquement à l’obligation d’information (B).

A. Le fondement de l’action, la responsabilité délictuelle du conseiller fiscal.

L’action est ici menée sur le fondement de l’article 1240 (ancien article 1382). Pour rappel, le conseiller immobilier, qu’il soit agent immobilier ou gestionnaire de patrimoine, est un intermédiaire. A ce titre, il est juridiquement situé entre le mandant et le client. Ici, les particuliers avaient conclu un contrat de réservation d’un appartement avec la société Alti Immo, par l’intermédiaire de la société Lagrange Patrimoine Conseil. Ainsi, s’ils étaient bien dans une situation contractuelle vis à vis de la société Alti Immo, ils n’étaient a priori pas liés contractuellement à la société de conseil [2].
Cet élément, invoqué en appel comme moyen de défense, avait été rejeté "que le fait que la société LPC ne soit pas partie au contrat de vente n’est pas de nature à l’exonérer de son obligation d’information et de conseil, s’agissant d’une professionnelle spécialisée dans l’investissement en immobilier locatif, qu’elle appartient en outre au groupe Lagrange Gestion dont le métier est commercialisateur et gestionnaire de résidences de tourismes, qu’elle a été leur unique interlocuteur".

Un premier enseignement peut donc être de sécuriser contractuellement la relation du conseiller et de l’acquéreur. Ceci implique évidemment une attention importante à la rédaction, en faisant par exemple apparaitre l’objectif d’économie fiscale [3].

B) Un défaut manifeste résultant dans l’oblitération du risque inhérent à une opération d’investissement fiscal.

La faute en l’espèce est manifeste, puisqu’elle procède d’informations "fournies aux futurs acquéreurs (qui) présentaient le projet comme dénué de tout risque, avec la sécurité de loyers garantis pendant une durée irrévocable de neuf ans". De plus, le conseil avait dans son projet n’avait pas émis "la moindre réserve sur les risques liés à l’éventuelle défaillance du preneur à bail".
Elle en conclu un "manquement de la société Lagrange à son devoir d’information et de conseil".
Il faut ici préciser qu’il existe plusieurs couches dans l’obligation de conseil, dont la portée agit comme un corset qui se resserre au fur et à mesure que l’asymétrie d’information devient patente.

Ainsi, une obligation générale de conseil qui repose sur deux fondements : dans le cadre d’un contrat, elle figure à l’article 1112-1 du Code civil, et dans le cadre non contractuelle, elle doit être déduite de l’article 1240. Ainsi la jurisprudence a déjà interprété cet article en ce sens, en jugeant que l’agent immobilier est « responsable du dommage subi par toutes les personnes parties à l’opération dont l’échec était imputable à ses fautes professionnelles, le fondement de cette responsabilité étant contractuel à l’égard de ses clients et délictuel à l’égard des autres parties » [4].

Le conseil est donc le point névralgique de l’opération de défiscalisation. Face à un domaine sans cesse mouvant, à la complexité certaine, au point qu’elle en devient presque inconstitutionnelle [5]

Le conseiller doit être rigoureux, se tenir au courant des évolutions, et probablement chercher à un maximum d’interactions avec les professionnels de la fiscalité et du droit. Cet impératif n’est pas seulement déontologique, il est également financier, au regard de la condamnation en l’espèce à la réparation intégral du préjudice.

II) La réparation intégrale du préjudice.

L’arrêt, s’il parait sévère eu égard à la jurisprudence antérieure [6], nous parait logique. Les juges écartent en effet la perte de chance, l’aléa n’ayant jamais été maintenu par un conseil fiscal qui garantissait des résultats (A). cette décision doit donc amener à la plus grande prudence pour les conseiller en investissement fiscaux (B).

A) Le rejet de la perte de chance en raison d’une information sans mention de l’aléa.

Un des arguments pour limiter l’impact financier pour le conseil fut d’invoquer la perte de chance. Pour rappel, la perte de chance, notion dégagée par la Jurisprudence [7] est un préjudice éventuel. Ainsi, alors même qu’il n’est pas certain qu’un gain ait pu être obtenu, la notion de perte de chance consiste à considérer que la victime du préjudice disposait d’une chance d’obtenir ce gain, et la faute de celui qui a réduit cette chance à néant doit être indemnisée. Toutefois, la réparation sur un telle fondement de dommage est limitée. La chance étant par nature aléatoire, la réparation de la perte d’une chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut jamais être égale à l’avantage qu’elle aurait procuré si elle s’était réalisée [8].

Le juge rejette cet argument en trois temps :

- Tout d’abord, elle rappelle que l’information était présentée "comme dénuée de tout risque avec une sécurité de loyers garantis, sans la moindre réserve sur des risques liés à la défaillance du preneur à bail". Les juges en déduisent donc que l’aléa n’était pas entré dans la sphère contractuelle ; autrement dit, le conseiller a lui-même écarté toute possibilité d’aléa, et ne saurait l’invoquer désormais comme moyen pour limiter sa réparation.
- C’est d’ailleurs le second point du raisonnement des juges, qui rappelle que cette absence d’aléa fut déterminante du consentement. Cette analyse est intéressante car les juges sont ici eux-mêmes confrontés à un aléa : comment savoir si les parties auraient ou non contractés s’ils avaient été conscients du risque financier ?
La cour estime ici avoir une telle certitude, en raison justement de l’information particulièrement grossière à ce niveau. En effet, l’information fournie ne comportait "la moindre réserve sur les risques".
- Dans le dernier temps de son analyse, la cour conclut logiquement que le préjudice ne peut consister en une perte de chance de contracter, mais se réalise en un dommage certain portant sur l’intégralité de la perte de loyers subie. Elle confirme ici sa jurisprudence antérieure [9].

Une telle solution apparait sévère et peut être justifiée par les faits d’espèce, mais n’en demeure pas moins éclairante sur la nécessaire prudence du conseil en opération de défiscalisation.

B) Une solution soulignant la nécessaire prudence dans le conseil en défiscalisation.

Cet arrêt doit interpeller sur au moins trois points :

Une solution justifié par le manque flagrant de diligence du conseil fiscal.
Cette solution nous l’avons vu nous paraît dictée par les faits de l’espèce, et notamment le fait que le conseiller ait totalement oblitéré l’aléa, présentant l’investissement comme dénué de tout risque. la réparation intégrale du préjudice résulte donc logiquement du fait que l’aléa propre à la perte de chance avait ici disparu, en raison d’un absence de mise en garde. Ainsi, les faits de l’espèce laissent à penser que les manœuvres pouvaient s’assimiler à un dol. Il parait étonnant qu’un tel fondement n’est pas été invoqué, étant donné qu’il permet également un action en responsabilité, tout en limitant le moyen de défense tiré du manque d’information de la victime.

La situation particulière de l’investisseur/bailleur en défiscalisation.
En l’espèce, la cour ne se prononce pas clairement sur la nature des gains manqués, mais l’on comprend parfaitement l’enjeu à la lecture de la décision d’appel : le preneur à bail, en difficulté financière, a souhaité une diminution du loyer, et donc une perte pour les investisseurs. Un bailleur "classique" aurait pu refuser, sur le fondement du bail, qui fait foi entre les parties. Or, ceux-ci, en raison de leur qualité de bénéficiaire d’un avantage fiscal, se retrouvaient dans une situation particulière : refuser la baisse entrainerait potentiellement une rupture du bail, et donc une remise en cause de l’avantage. En effet, un certain nombre de dispositifs de défiscalisation reposent sur une condition de mise en location, dans l’année suivant la livraison.

Un conseil nécessairement prudent dans une matière mouvante.
En matière de conseil en investissement fiscal et en particulier dans les opérations de défiscalisation, le rôle de l’avantage fiscal qui fige la situation oblige donc à une grande prudence, mais également à une sécurisation contractuelle en amont.
Certaines évolutions en la matière, notamment au regard du Pinel (retrait des zones B2 et C en 2018, exclusion des logements individuels), de la spécificité et la diversité des mécanismes. On peut ici évoquer le Censi-bouvard qui oblige à contracter avec un exploitant, et pose le risque d’une éventuelle faillite de celui-ci.

La plus grand prudence est donc requise pour les conseillers en investissement fiscal, ainsi que la nécessite d’un travail en partenariats avec un écosystème de professionnels, voir même l’administration fiscale directement, au travers de procédure de rescrit fiscal.

Florian Laussucq, Doctorant en droit fiscal et comptable, Chargé d'enseignement et de recherche, ESPI2R Chargé d'enseignement et de recherche à l'Ecole Supérieure des Professions Immobilières (ESPI), Chargé d'enseignement à l'Université de Bordeaux.

[1Prévu aux article 199 decies E et 199 decies EA du Code Général des Impôts et supprimé par la loi de finance n° 2010-1657 du 29 décembre 2010.

[2CA Lyon, 1re ch. civ. b, 29 sept. 2020, n° 18/05785.

[3Cour de cassation, Chambre civile 1, 31 Janvier 2018, pourvois N° 16-19.389, 16-19.445.

[4Cass. 1ère civ., 16 déc. 1992, n° 9018151, Bull. civ. I, n° 316.

[5M.-C. Bergerès, « Un principe à valeur constitutionnelle paradoxalement ignoré du droit fiscal : l’intelligibilité de la loi », RJF 2003, n° 24, p. 799.

[7Voir Cass. Crim. 18 mars 1975 n° 74-92.118.

[8Civ. 1re, 27 mars 1973, n° 71-14.587 – Com., 19 oct. 1999, 97-13.446 - Civ.1re, 4 nov. 2003, n° 02-17.063.

[9Cass. civ. 1, 2 octobre 2013, n° 12-20.504, FS-P+B.