Village de la Justice www.village-justice.com

Accidents du cheval au box à l’occasion d’une compétition, quelle responsabilité pour l’organisateur ? Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat.
Parution : mardi 12 avril 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/responsabilite-cocontractant-mettant-disposition-box-pour-cheval,42307.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Commentaire comparé de deux décisions, Cour d’appel de Colmar du 20 septembre 2021 et Cour d’appel de Montpellier du 22 septembre 2021.

Ces deux arrêts prononcés à 2 jours d’intervalle fournissent l’opportunité de revenir sur les litiges qui surviennent lors de la mise à disposition des boxes à l’occasion de compétitions équestres. Bien que les solutions soient contraires, on peut tenter de les concilier, au vu des faits et moyens invoqués.

Dans quelle conditions le cocontractant qui met à disposition un box pour un cheval peut il engager sa responsabilité à l’égard du propriétaire du cheval ?

A travers ces deux affaires, nous rappellerons les bases de l’obligations de sécurité de l’organisateur d’une manifestation sportive, avant de s’attarder sur la qualification du contrat de mise à disposition d’un box, et enfin analyser les incidences sur le régime juridique.

Sur le rappel des faits des deux décisions.

Dans l’affaire soumise à la 3ème chambre civile de la Cour d’appel de Colmar, la propriétaire de deux chevaux avait loué deux boxes pour un concours de voltige où elle avait engagé ses chevaux. Avant même de rentrer le cheval dans le box, elle constate immédiatement que l’un des boxes ne présentait pas des conditions de sécurité minimum à l’accueil d’un cheval, ce qui fut admis par l’association organisatrice du concours qui accepta de mettre le cheval dans un autre box.

Néanmoins, après avoir changé de box à 2 ou 3 reprises à l’initiative de l’organisateur, pour des raisons qu’on ignore et sans qu’une personne précise puisse être identifiée, la propriétaire retrouva son cheval dans le box en mauvais état, souffrant de nombreuses blessures occasionnées par les défauts du box et notamment une inflammation à l’antérieur gauche ayant dégénéré en sérieuse boiterie.

La propriétaire recherche alors la responsabilité contractuelle de l’association organisatrice du concours de voltige.

Dans l’affaire soumise à la 4ème chambre civile de la Cour d’appel de Montpellier, la compagne d’un propriétaire de cheval a loué un box pour ce dernier.

Le cheval s’est coincé un membre dans la paroi du box, entre la plaque de bois et la structure métallique après avoir percuté la cloison en bois du box. Ses blessures l’ont invalidé définitivement.

Le propriétaire a été indemnisé par son assurance, qui a entamé une action récursoire afin d’engager la responsabilité des bailleurs. Une expertise amiable contradictoire n’a pas permis aux parties de trouver un accord amiable et c’est dans ces conditions, qu’une action a été introduite à l’encontre de l’organisateur

Sur l’obligation de sécurité de l’organisateur.

L’organisateur est tenu d’une obligation de sécurité comme l’a rappelé dans un arrêt du 16 Mai 2006, la Cour de Cassation. Pèse sur l’organisateur d’une manifestation sportive une obligation de prudence et de diligence allant au-delà du strict respect des obligations de sécurité fixées par les instances sportives en ces termes

« ... le seul respect des obligations de sécurité fixées par les instances sportives est insuffisant pour exonérer une association de ses devoirs en matière de sécurité…. au-delà d’un strict respect des prescriptions sportives, il existe à la charge de cette association une obligation de prudence et de diligence » [1].

Cette obligation est-elle une obligation de moyen ou de résultat ? La réponse est nuancée.

A propos d’une location de matériel, la Cour d’appel de Montpellier a jugé que : « la responsabilité de l’effondrement du chapiteau repose entièrement sur le loueur, qui était chargé du montage du chapiteau et à ce titre tenue d’une obligation de résultat [2] » [3].

Dans le même sens, la Cour d’appel de Provence à propos de chutes d’objets provenant d’une structure installée pour une manifestation, a retenu à l’encontre de la société ayant installé le matériel : « qu’elle a manqué à son obligation de résultat d’assurer la sécurité du public accueilli sous les chapiteaux, les deux objets ayant chuté au milieu du public » [4].

La question se pose cependant différemment concernant plus spécifiquement les chevaux, car certes le matériel ne doit présenter aucune innocuité, mais il est nécessaire de tenir compte des termes du contrat souscrit (dépôt ou bail) mais aussi du rôle actif que peut jouer le cheval, animal sensible et émotif.

Sur la qualification du contrat.

A priori s’agissant de « location de box », la qualification de contrat de bail entre les parties ne parait pas poser question.

En réalité, la réponse n’est pas aussi évidente comme le confirme la décision de la Cour d’appel de Colmar qui retient l’existence d’un dépôt salarié.

Certes l’organisateur du concours ne se contente pas d’une simple mise à disposition du box, il fournit aussi la paille et souvent aussi le foin. D’autres prestations annexes sont parfois également prévues. Néanmoins, ce qui caractérise le dépôt salarié est certes une obligation d’hébergement mais l’élément essentiel réside dans l’obligation de garde du cheval ; or celle-ci n’est généralement pas prévue, voire même expressément exclue des conditions générales du concours qui lorsqu’elles existent prennent soin de rappeler que le cheval reste sous la seule responsabilité de son gardien.

Devant la Cour d’appel de Montpellier, l’organisateur du concours avait notamment souligné que le cheval avait été confié par le propriétaire à sa compagne et c’était cette dernière qui avait contracté pour la location du box et qui avait prévu de le monter lors de la compétition. Selon l’organisateur, c’était donc elle qui en avait la garde. La question d’un éventuel contrat de dépôt n’avait semble t’il pas été posée et il ressort des termes de l’arrêt de la Cour d’appel que c’est bien les règles sur le louage auquel il a été fait référence, la Cour statuant sur « l’anormalité, vice ou non-conformité du boxe litigieux ».

Avant l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar d’autres juridictions avaient déjà retenu qu’il s’agissait d’un dépôt salarié. On peut citer en ce sens un arrêt très clair rendu par la Cour d’appel de Riom qui après avoir relevé que :

« l’association hippique soutient que le contrat liant les parties est un contrat de louage et non de dépôt, dès lors que les chevaux n’étaient pas pris en pension que les boxes étaient au moins conformes aux normes et qu’il n’était pas convenu que la garde des chevaux loués dans les boxes lui seraient transférés ».

Néanmoins, la prise en charge de l’hébergement des chevaux à titre onéreux par l’association hippique la Vendée excède la simple location d’un box et constitue un contrat de dépôt au sens des articles 1915 et suivants du Code civil.

Toutefois en l’espèce, l’examen de la motivation de la Cour d’appel de Colmar laisse entendre que la qualification de contrat de dépôt salarié, résulte des circonstances soumises à son appréciation : elle indique dans ses motifs : « la simple mise à disposition d’un emplacement fermé moyennant une redevance journalière s’analyse en un contrat de louage dès lors qu’aucune obligation de garde n’a été mise à la charge du bailleur ».

Puis elle ajoute :

« Dans la mesure où, par sa faute, la structure ne disposant manifestement pas d’autant de box utiles que de chevaux à héberger, elle a été conduite à pratiquer le jeu des chaises musicales durant la journée de compétition en sollicitant Madame K. pour qu’elle déplace l’un ou l’autre de ses chevaux en fonction des circonstances, la convention conclue entre les parties ne peut s’analyser en un contrat de louage, mais en un contrat de dépôt, l’association ayant gardé la maîtrise de la gestion des box et du déplacement des chevaux au gré des aléas, peu important en pratique que ce soit Madame K. qui ait déplacé ses chevaux sur la demande de l’organisateur et non l’organisateur lui-même, l’intimée n’ayant fait que répondre à sa demande expresse ».

Ce faisant, on peut déduire de cette argumentation que la qualification de dépôt salarié présente un caractère exceptionnel, lié au fait qu’il n’a pas été attribué à Mme K un emplacement fermé et fixe, puisque cette dernière a refusé cet emplacement et que l’établissement sportif a tenté de gérer comme il a pu l’hébergement du cheval, initiatives caractérisant pour le Tribunal et la Cour la preuve qu’il avait accepté la garde du cheval.

On retiendra de cette discussion, que la frontière entre bail ou dépôt est tenue et qu’en fonction des circonstances de garde et d’hébergement, aucune des deux qualifications n’est à exclure.

Quelle incidence sur le régime juridique ?

Tout le travail du juriste consiste à qualifier pour déterminer le régime applicable. A ce sujet c’est bien la demanderesse dans l’affaire soumise à la Cour d’appel de Montpellier qui en a fait les frais : on rappelle rapidement que la charge de la preuve du vice ou du défaut de la chose repose sur le créancier dans le bail et inversement que le contrat de dépôt salarié engendre une obligation de moyen renforcée. Or la Cour d’appel de Montpellier a jugé que les demandeurs ont été défaillants dans la preuve du vice de la chose.

La procédure avait été précédée d’un rapport d’expertise amiable qui avait conclu à une défaillance dans les boxes puisqu’une des parois du box selon l’expert amiable n’était maintenu que par deux boulons. Or la Cour argumente en plusieurs paragraphes que ce rapport amiable n’est pas probant, (absence de photos contradictoires, absence de témoignage de la personne qui avait libérée le cheval, doute sur le nombre de boulons, rédaction du rapport par une personne qui n’est pas homme de l’art concernant la résistance des matériaux, possible incidence du cheval laissé sellé sans surveillance dans le box) et en déduit qu’aucune preuve du défaut de conformité ni de lien de causalité direct et certain n’est démontré avec les blessures du cheval.

Il est exact que si la faute avait été présumée, la solution aurait pu être similaire à celle rendue par la Cour d’appel de Riom, où les circonstances étaient identiques, la Cour ayant retenu que : Le dépositaire est tenu d’une obligation de moyens, il répond de sa faute sauf cas de force majeure. La Cour en avait conclu que « les blessures subies par la jument du fait de la rupture de la paroi du boxe mis à disposition de Monsieur X engage la responsabilité de l’association qui ne peut se prévaloir d’un cas de force majeure ».

La qualification de dépôt salarié, avait permis au propriétaire du cheval d’être indemnisé, le centre équestre n’ayant pas pu prouver la force majeure. Le dépositaire salarié est tenu d’une présomption de faute, mais à plusieurs reprises, les juges raisonnent en obligation de résultat en ne visant que la force majeure comme moyen d’exonération.

La Cour d’appel de Colmar n’a eu que peu de mal à argumenter sur la responsabilité de l’organisateur au vu de l’inorganisation patente, puisque le cheval avait changé de place à de très nombreuses reprises et s’était retrouvé dans le box refusé dès le départ par la cavalière. Si la qualification de dépôt a été favorable au propriétaire, dispensée de prouver la faute, celle-ci n’aurait eu aucun mal à être démontrée dans la mesure où l’organisateur ne contestait l’absence de sécurité du box : « l’appelante n’a pris aucune mesure pour condamner celui dont elle savait qu’il présentait un danger pour les chevaux, permettant ainsi à quiconque d’y conduire un équidé, surtout s’il n’était pas le sien ».

L’argumentation de la Cour d’appel de Colmar appelle notre attention sur un point : « l’association Saint Hubert a contracté une obligation de garde et de restitution des chevaux de Madame K. pendant les temps où ceux-ci n’étaient pas pris en main pour les épreuves par leur propriétaire ou les deux cavalières ».

Cette précision, nous rappelle un détail qui peut expliquer la différence dans la qualification et la solution rendue par les juges : dans la première affaire, le cheval avait été sellé par la cavalière et laissé seul dans le box sans surveillance. En sellant son cheval, la cavalière avait clairement pris la garde du cheval, ce qui pouvait exclure toute qualification de dépôt.

En outre, laisser seul son cheval sans surveillance pouvait aussi être considéré comme une faute par la Cour ayant relevé que « l’énervement du cheval a pu être provoqué par le fait que le cheval a été laissé seul sellé et sans surveillance ». En revanche dans la 2ème espèce, le cheval avait été conduit dans plusieurs boxes sous les instructions de l’organisateur et il s’était retrouvé dans le box litigieux sans que le propriétaire en ait été informé, excluant qu’il ait pu exercer une quelconque garde du cheval dont il ignorait le lieu où il avait été amené.

Pour finir, précisons que le propriétaire d’un cheval accidenté peut également agir contre l’organisateur sur le fondement de la garantie des produits défectueux ce qui dispense de prouver la faute, mais oblige néanmoins à la démonstration du défaut du produit et du lien de causalité avec les blessures dont le cheval a été l’objet, ce qui peut toujours être contesté.

Blanche de Granvilliers-Lipskind Avocat à la Cour, Docteur en droit, Membre de l'Institut du Droit Equin et de la commission droit de l'animal https://www.degranvilliers.com https://www.facebook.com/maitredegranvilliers/

[1Ch. civ. I 16 mai 2006, N° de pourvoi : 03-12537.

[2Article 1147 du Code civil.

[3Cf CA Montpellier 3/04/1996.

[4Cf. Cour d’appel, Aix-en-Provence, 8e chambre B, 8 Janvier 2010.