Village de la Justice www.village-justice.com

Le contrôle maximal de légalité des mesures de police administrative. Par Thomas Martinez, Elève-Avocat.
Parution : mercredi 13 avril 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/controle-normal-legalite-des-mesures-police-administrative-pratique,42324.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par un arrêt du 24 mars 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle à l’autorité de police du Maire son obligation de légalité des mesures prises au détriment des libertés.

Par un arrêt du 24 mars 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux revisite la notion névralgique de police administrative générale mise en œuvre par l’autorité de police décentralisée, à savoir le Maire de la commune de Valeyrac, contre un trouble à l’ordre public découlant d’un établissement culturel et festif.
Au prisme d’un contrôle maximal issu de la jurisprudence de principe du Conseil d’État, l’arrêt Benjamin, les juges d’appel infirment le « jugement du 26 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Valeyrac à lui verser la somme de 11 046,61 euros en réparation des préjudices occasionnés par l’arrêté du 12 janvier 2017 et l’a condamnée à verser à la commune la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l’article L761-1 du code de justice administrative ».

Cet arrêt s’articule en deux temps, d’une part, les juges apprécient la légalité de l’arrêté de police du Maire en date du 12 janvier 2017 par rapport à la gravité du désordre public, d’autre part, statuent sur les demandes indemnitaires, étant entendu que l’appelante formule des conclusions et en annulation pour l’illégalité de l’arrêté et en réparation de ses préjudices.

I – Sur l’inadéquation de l’arrêté du 12 janvier 2017.

« 5. Il résulte de l’instruction, que le fonctionnement de l’établissement (...), , a engendré de nombreux troubles en soirée à l’occasion de concerts dans le cadre desquels le bar ferme entre 2 heures et 3 heures, que les clients sont à plusieurs reprises sortis en état d’ivresse très avancé malgré la perspective de devoir reprendre leurs véhicules, que certains d’entre eux partent en klaxonnant sur plusieurs dizaines de mètres malgré l’heure tardive, que des bagarres générales sont intervenues devant l’établissement entre des clients se frappant à l’aide de bouteilles en verre, de chaises et de barres de fer et se poursuivant à pied ou en voiture. M. C, atteste pour sa part qu’un client du bar est venu le trouver le 12 novembre 2016 au soir, alors qu’il était en train de ranger la salle des fêtes communale après un loto, pour lui demander d’appeler les pompiers car un homme blessé était étendu à terre devant la porte du bar. Enfin, dans son procès-verbal du 3 décembre 2016, la gendarmerie indique qu’il "paraît indéniable que le couple D/B soit victime de troubles de différentes natures du fait de l’activité tardive de ce bar " et qu’il " semblerait opportun que la fermeture de cet établissement soit avancée à une heure plus tôt dans la soirée et non à 2 heures, comme cela est le cas actuellement". (...) Par suite, les troubles précités justifiaient que le maire prît une mesure de police sur le fondement des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales afin de règlementer l’heure de fermeture du bar (...) de manière plus restrictive que la règlementation prévue par l’arrêté du préfet de la Gironde du 24 février 2010 fixant le régime d’ouverture et d’exploitation des débits de boisson dans le département de la Gironde dans une plage horaire allant de 6 heures du matin à 2 heures du matin » [1].

Le Maire de la commune de Valeyrac dispose, en application de l’article L2212-2 du code général des collectivités territoriales, de pouvoirs de police administrative afin d’assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». En outre, depuis la jurisprudence séculaire « Commune de Néris-les-Bains », une autorité locale de police administrative peut alourdir et renforcer des mesures de police appliquées sur un territoire plus vaste que celui de la commune [2].

En l’espèce, l’établissement festif générait un désordre public réel. La lecture des faits juxtapose l’établissement au « Saloon » et les méfaits au « Far West ». Aussi, la soirée se terminait en bagarre générale avec des acteurs inconscients dont la violence était renforcée par un éthylisme notoire.

C’est pourquoi, au regard de la répétition dans le temps de cette décadence sociale isolée mais à l’impact fort négatif pour la commune de Valeyrac, la réglementation prévue par l’arrêté du préfet de la Gironde du 24 février 2010 fixant le régime d’ouverture et d’exploitation des débits de boisson dans le département de la Gironde dans une plage horaire allant de 6 heures du matin à 2 heures du matin devenait clairement insuffisante pour réguler les comportements et solutionner le trouble.

Le Maire avait un fondement factuel et légal pour renforcer la réglementation d’ouverture et de fermeture de l’établissement et prendre ainsi des mesures de police administrative plus attentatoires à la liberté du commerce et de l’industrie.

Toutefois, le juge administratif rappelle son office tenant au contrôle maximal de légalité qu’il opère sur les mesures de police administrative et ce depuis l’arrêt Benjamin [3].

Plus précisément, il s’agit d’un contrôle de l’adéquation de la mesure par rapport à la nature et la réalité du trouble. La mesure de police doit être « strictement adaptée, proportionnée et nécessaire à l’objectif poursuivi » [4].

Par un arrêté du 12 janvier 2017, le maire de la commune de Valeyrac a pris des mesures fortes afin de neutraliser le trouble, mais « peut-être » au détriment de toute adéquation :

« Toutefois, s’il appartenait bien au maire de Valeyrac en vertu des pouvoirs de police qu’il tient du 2° de l’article L2212-2 du code général des collectivités territoriales de fixer, en cas de nécessité dans l’intérêt du bon ordre et de la tranquillité publique, des heures de fermeture du débit de boisson (...) plus restrictives que celles fixées par le préfet, il résulte de l’instruction qu’en fixant, par l’arrêté litigieux, à 20 heures l’heure limite de fermeture du bar, sans limitation dans le temps, et ce sauf dérogations ponctuelles et exceptionnelles à l’occasion de fêtes locales à caractère traditionnel, de manifestations collectives, de réunions fortuites ou privées (repas de noces et banquets) ou de nécessités particulières, le maire a pris, dans les circonstances de l’espèce, une mesure excédant celle qui était strictement nécessaire pour que soient assurés le bon ordre et la tranquillité publique. Ainsi, il a porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l’industrie ».

Si les faits étaient de nature à justifier la mise en oeuvre de mesures de police administrative plus sévères afin de sauvegarder et rétablir l’ordre public, le Maire s’est abstenu de circonscrire l’intensité de son action. Il a fixé à 20 heures l’heure limite de fermeture du bar, sans limitation dans le temps, sauf dérogations isolées à l’occasion de fêtes locales.

Dès lors, la cour administrative d’appel de Bordeaux ne pouvait que retenir l’illégalité d’un tel arrêté, celui-ci étant inadapté, non-nécessaire et disproportionné par rapport au but poursuivi et annihilait inutilement la liberté du commerce et de l’industrie. Des mesures moins attentatoires à la liberté d’ouverture et de fermeture de l’établissement pouvaient être prises par le Maire.

L’on rappellera que la liberté du commerce et de l’industrie a une valeur normative consistante qui accroît la vigilance du juge en cas d’atteinte [5].

II – Sur la justification d’une indemnisation de la gérante.

« L’illégalité de l’arrêté du 12 janvier 2017, alors même qu’il a été retiré le 24 juillet 2017, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Valeyrac ».

Si le Maire a bien constaté l’inadéquation de son arrêté initial du 12 janvier 2017 aux circonstances entourant l’établissement et qu’il a « fait l’effort » de le retirer le 24 juillet 2017, ce retrait aura mis fin à la persistance du préjudice sans pour autant l’effacer.

En ce sens, sur la période d’application de l’arrêté de janvier à juillet 2017, l’établissement a subi un préjudice financier à hauteur des ¾ du chiffre d’affaire habituel, soit une baisse conséquente de 4 387,02 euros par rapport à la même période sur l’année 2016. Le juge administratif condamne la commune de Valeyrac à verser ce montant au titre du préjudice financier, ce qui montre une sévérité renforcée du juge à l’égard d’une autorité de police outrepassant la légalité. Il est bien évident que la réparation de ce préjudice se justifie par l’apport de la preuve des pertes par le gérant, en fournissant des relevés sur deux années consécutives des bénéfices différenciés liés à la réglementation de police. On notera que si l’appelante a tenté d’obtenir la réparation de son préjudice moral à hauteur de 5 000 euros, le juge sera nettement moins clément et lui accordera 1/5ème de cette demande.

En tout état de cause, le Maire conserve naturellement sa compétence de police pour assurer l’ordre public mais son action ne peut s’élaborer dans le temps et dans l’espace au mépris de la légalité administrative.

Thomas Martinez Avocat au Barreau de Lyon

[1CAA Bordeaux, 24 mars 2022, n° 20BX01139.

[2CE, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains, n° 04749.

[3CE, Section, 19 mai 1933, n° 17413 et 17520, Sieur Benjamin et Syndicat d’initiative de Nevers.

[4CE, 19 février 1909, n° 27355, Abbé Olivier ; CE, 26 octobre 2011, n° 317827, Association pour la promotion de l’image.

[5CE, 22 juin 1951, Daudignac : Reconnaissance en tant que principe général du droit ; CE, Section, 28 octobre 1960, Sieur Laboulaye, n°48293 : Liberté publique ; CE, 16 février 2021, n°449605 : Invocable en référé-liberté ; Cons. Const., 20 juillet 1988, n°88-244 DC : Sur la valeur constitutionnelle ; Avis du CE, 22 novembre 2000, « Publicité L&P », n° 223645 : « a pour mission de protéger ou de garantir n’exonère pas l’autorité investie de ces pouvoirs de police de l’obligation de prendre en compte également la liberté du commerce et de l’industrie et les règles de concurrence ».

Comentaires: