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Rupture conventionnelle et clause de non-concurrence : la renonciation doit intervenir au plus tard à la date de rupture fixée par la convention. Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : mardi 19 avril 2022
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En matière de rupture conventionnelle, l’employeur, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.

C’est ce qu’affirme la cour de cassation dans un arrêt du 26 janvier 2022 (n°20-15.755).

1) Faits et procédure.

Mme W a été engagée le 11 septembre 1995 par la société S&W, aux droits de laquelle se trouve la société Altares D&B, et occupait en dernier lieu les fonctions de directrice des ventes.

La clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail a prévu, d’une part, qu’elle s’appliquerait pour une durée d’une année à compter de la rupture effective du contrat de travail, et d’autre part, que l’employeur aurait la faculté de se libérer de la contrepartie financière de cette clause en renonçant au bénéfice de cette dernière, par décision notifiée au salarié à tout moment durant le préavis ou dans un délai maximum d’un mois à compter de la fin du préavis (ou en l’absence de préavis, de la notification du licenciement).

Les parties ont signé une convention de rupture du contrat de travail le 27 mars 2015, avec effet au 5 mai 2015.

La salariée a demandé le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.

2) Sur le moyen relevé d’office par la Cour de cassation : l’employeur doit renoncer à la clause de non-concurrence au plus tard à la date de rupture fixée par la convention.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 26 janvier 2022 (n°20-15.755), après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du Code de procédure civile, fait application de l’article 620, alinéa 2 du même Code.

Elle juge qu’aux termes de l’article L1237-13 du Code du travail, la convention de rupture conclue entre un employeur et un salarié fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation par l’autorité administrative.

La chambre sociale en a déduit que le délai de quinze jours au plus tard suivant la première présentation de la notification de la rupture dont dispose contractuellement l’employeur pour dispenser le salarié de l’exécution de l’obligation de non-concurrence a pour point de départ la date de la rupture fixée par la convention de rupture [1].

Elle décide également qu’en cas de rupture du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l’obligation de non-concurrence, la date d’exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l’entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires [2].

Elle en déduit que l’employeur qui dispense le salarié de l’exécution de son préavis doit, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l’intéressé de l’entreprise nonobstant stipulations ou dispositions contraires [3].

Elle décide de même qu’en cas de rupture du contrat de travail résultant de l’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, l’employeur doit, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l’intéressé de l’entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires [4].

Ces solutions se justifient pas le fait que le salarié ne peut être laissé dans l’incertitude quant à l’étendue de sa liberté de travailler.

Il en résulte qu’en matière de rupture conventionnelle, l’employeur, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.

Pour limiter à une certaine somme la contrepartie financière de la clause de non-concurrence allouée à la salariée, l’arrêt retient que la convention de rupture n’a pas réglé le sort de la clause de non-concurrence, de sorte que celle-ci demeurait applicable pendant une durée d’une année à compter de la rupture du contrat de travail intervenue le 5 mai 2015, que toutefois lorsque la salariée a demandé à l’employeur le versement de la clause, la société lui a répondu le 11 septembre 2015 qu’elle avait été relevée de son obligation de non-concurrence à son égard depuis son départ.

L’arrêt ajoute que dès lors, peu important que les délais stipulés au contrat pour la dénonciation de la clause par l’employeur n’aient pas été respectés, puisqu’il n’y a pas eu en l’occurrence de préavis, ni de licenciement, mais accord sur le principe et la date de la rupture, il est établi qu’à compter du 11 septembre 2015, la salariée a été informée de la volonté de l’employeur de renoncer au bénéfice de cette clause.

L’arrêt en déduit que dans ces conditions, celle-ci n’est fondée à solliciter la contrepartie financière de son obligation de respecter la clause de non-concurrence que pour la période du 5 mai au 11 septembre 2015.

En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la date de rupture fixée par les parties dans la convention de rupture était le 5 mai 2015, ce dont il résultait que la renonciation par l’employeur au bénéfice de la clause de non-concurrence intervenue le 11 septembre 2015 était tardive, la Cour d’appel a violé les textes susvisés.

3) La contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence ouvre droit à congés payés.

3.1) Le moyen de la salariée.

La salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande d’indemnité de congés payés afférente à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence alors

« que la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence ayant la nature d’une indemnité compensatrice de salaire, elle ouvre droit à congés payés.

Qu’en jugeant le contraire, aux motifs que l’indemnité est payable postérieurement à la rupture du contrat de travail, la Cour d’appel a violé l’article L3141-22 du Code du travail dans sa version alors applicable ».

3.2) La réponse de la Cour de cassation.

Dans son arrêt du 26 janvier 2022 (n°20-15.755), la chambre sociale donne gain de cause à la salariée aux visas des articles L3141-1, L3141-22 et L3141-26 du Code du travail.

Elle affirme qu’il résulte de ces dispositions que la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence ayant la nature d’une indemnité compensatrice de salaires, elle ouvre droit à congés payés.

Pour débouter la salariée de sa demande d’indemnité compensatrice de congés payés, l’arrêt retient que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, certes calculée sur la base du salaire, mais payable postérieurement à la rupture du contrat de travail, n’ouvre pas droit à congés payés.

En statuant ainsi, la Cour d’appel a violé les textes susvisés.

4) Analyse.

4.1) L’employeur doit renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence au plus tard à la date de rupture fixée par la rupture conventionnelle.

La chambre sociale affirme qu’en matière de rupture conventionnelle, l’employeur, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.

En effet, la chambre sociale fait peu de cas des stipulations ou dispositions contraires qui tendraient à décaler la date-limite de renonciation à la clause de non-concurrence par l’employeur.

Dans d’autres situations, comme elle le rappelle en citant sa jurisprudence, la Cour de cassation fixe la fin du délai laissé à l’employeur pour renoncer à la clause de non-concurrence à la date du départ effectif du salarié lorsqu’il est dispensé de préavis ou lorsqu’il adhère au contrat de sécurisation professionnel notamment.

En l’espèce, la rupture conventionnelle ne précisait pas si l’employeur entendait lever la clause de non-concurrence.

La salariée était donc de fait, tenue de la respecter à compter de la rupture, soit le 5 mai 2015.

Après qu’elle ait demandé le paiement de la contrepartie financière, l’employeur lui répondait le 11 septembre 2015, soit plus de 4 mois plus tard, qu’elle avait été relevée de son obligation de non-concurrence dès son départ de l’entreprise, le 5 mai 2015.

La Cour d’appel en déduisait alors que la salariée, étant informée dès le 11 septembre 2015 de la renonciation de son ex-employeur à sa clause de non-concurrence, la contrepartie financière n’était due que du 5 mai 2015 au 11 septembre 2015.

La chambre sociale rejette cet argument en affirmant que la renonciation par l’employeur au bénéfice de la clause de non-concurrence, intervenue le 11 septembre 2015 était tardive.

Elle refuse le principe d’une renonciation qui aurait lieu après la rupture et ce, peu importe si « des dispositions ou stipulations contraires » existent.

La Haute juridiction vient ici modifier sa jurisprudence en la matière car elle avait affirmé le 29 janvier 2014 (n°12-22.116) que le fait que l’employeur renonce à l’exécution d’une obligation de non-concurrence dans des délais fixés contractuellement empêchait le salarié d’avoir au paiement de la contrepartie financière

4.2) Rappel des conditions de validité de la clause de non-concurrence.

La clause de non-concurrence est celle par laquelle le salarié s’interdit d’exercer certaines activités après la rupture de son contrat de travail.

Une telle clause porte atteinte au libre exercice d’une activité professionnelle et la Cour de cassation a donc posé certaines limites sans lesquelles une clause de non-concurrence serait illicite.

Ainsi, la clause de non-concurrence doit cumulativement :
- Être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise ;
- Être limitée dans le temps ;
- Être limitée dans l’espace ;
- Tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié ;
- Comporter l’obligation pour l’employeur de verser une contrepartie financière (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.387).

La contrepartie financière ne peut intervenir avant la fin du contrat de travail et ne peut donc pas prendre la forme d’une majoration de salaires versée au cours de l’exécution de la relation de travail (Cass. soc., 15 janv. 2014, n°12-19.4726).

4.3) La contrepartie financière de l’indemnité de non-concurrence ouvre droit à congés payés.

Dans l’arrêt du 26 janvier 2022, la Cour de cassation précise que la contrepartie financière a la nature d’une indemnité compensatrice de salaires ouvrant droit à congés payés.

Ainsi, elle rejette l’argument de la Cour d’appel qui avait affirmé que celle-ci était calculée sur la base du salaire mais payable postérieurement à la rupture du contrat de travail et n’ouvrait donc pas droit à des congés payés.

La Cour de cassation avait déjà affirmé cela dans un arrêt de 2010 et vient ici réitérer sa position (Cass. soc., 23 juin 2010, n°08-70.233).

Sources.

Cass. Soc., 26 janvier 2022, n°20-15.755.

Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.387.

Cass. soc., 15 janv. 2014, n°12-19.472.

Cass. soc., 29 janv. 2014, n°12-22.116.

Cass. soc., 23 juin 2010, n°08-70.233.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Soc., 29 janvier 2014, pourvoi n°12-22.116, Bull. 2014, V, n°35.

[2Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-21.150, Bull. 2013, V, n°72.

[3Soc., 21 janvier 2015, pourvoi n° 13-24.471, Bull. 2015, V, n°3.

[4Soc., 2 mars 2017, pourvoi n°15-15.405.