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[Maroc] Les techniques de garantie de paiement - 2ème partie : les garanties autonomes. Par Hassan Ouatik.
Parution : mercredi 20 avril 2022
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Dans un contexte d’incertitude, les opérateurs économiques recourent aux garanties à première demande pour se prémunir contre les effets du cautionnement simple, mais il ne suffit pas que l’acte soit dénommé « garantie à première demande » pour que l’exécution soit facile, il faut scruter les termes insérés au corps de l’acte pour s’assurer que le juge ne lui donnerait une autre qualification conformément aux dispositions du Code des obligations et contrats.

Comme nous l’avions signalé au précédent auquel nous avions traités le cautionnement, nous continuons la présentation des garanties autonomes [1], en traitant seulement la garantie à première demande et la lettre d’intention. Les garanties liées au commerce extérieur ne seront pas traitées dans le présent article.

Nous avions précisé que le principe du cautionnement est basé sur une opération triangulaire, dans laquelle l’engagement de la caution est corrélatif à l’exécution d’une obligation entre un débiteur et un créancier. Ce qui conditionne l’acte du cautionnement en termes d’existence et d’exécution, ce qui pourrait, dans beaucoup de cas, rendre la réalisation de la caution plus difficile.

En effet, des manœuvres de la part de la caution ou du débiteur, ou une collision des deux rendent la « mise en jeux » de la caution très difficile. Le débiteur peut facilement soulever que le créancier n’a pas réaliser ses engagements, ou que le montant réclamé n’est pas exact et en conséquence la caution refuse subtilement l’exécution.

Quant à la caution, elle peut aussi soulever de son côté le bénéfice de discussion ou de division. Et dans l’un ou l’autre cas le bénéficiaire doit s’orienter vers la justice pour une exécution forcée des obligations de la caution, et entrer dans un processus judiciaire dont l’issue n’est pas connue d’avance.

Pour pallier à ce risque, et surtout pour les obligations internationales, le recours à d’autres formes de garanties est fortement conseillé.

Les garanties autonomes.

Comme leurs noms indiquent, elles créent de nouvelles obligations entre le bénéficiaire « le créancier » et le garant qui devient « débiteur » du bénéficiaire indépendamment des obligations entre le débiteur principal et le créancier.

En pratique, la garantie autonome peut revêtir plusieurs formes, et notamment, être :
1. A première demande,
2. A première demande justifiée (cas de la caution provisoire),
3. Documentaire (cas des crédits documentaires).

L’élément essentiel qui différencie l’acte de cautionnement et celui de la garantie autonome est :
1. Le caractère accessoire et corrélatif entre le cautionnement et l’engagement principal. De ce fait la caution est dans une situation plus privilégiée que celle de la personne donnant une garantie autonome. La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions relatives à l’obligation principale en termes d’extinction, remise, prescription ou nullité.
2. L’inopposabilité des exceptions, le garant ne peut soulever aucune exception pour l’exécution de son obligation. La garantie autonome offre en conséquence plus de sécurité pour le bénéficiaire. Le garant exécute sa propre obligation indépendamment dans la mesure où le garant s’engage à payer une certaine somme, sa propre dette [2], et non celle résultant du contrat d’origine.

La garantie à première demande.

L’article 2321 du Code civil Français, introduit par l’Ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006, définit dans son premier aliéna « La garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, ... ». Cette définition claire a été anéantie par la suite du même article, « soit suivant des modalités convenues » cette suite pourrait facilement priver le bénéficiaire d’une réalisation certaine de la garantie, et le met à la merci des interprétations du garant surtout si la formulation de l’acte de garantie prévoit des modalités subjectives ou ambiguës.

Le 2ème paragraphe du même article dispose que « le garant n’est pas tenu en cas d’abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d’ordre ».

Il semble le but visé par cette tournure est la protection du garant d’un mauvais agissement du bénéficiaire et du donneur d’ordre, ce qui vide la garantie de son principe pour le bénéficiaire.

Quant au législateur Marocain, il n’a pas prévu de définition légale pour ce type de garantie, mais la pratique bancaire et la jurisprudence ont comblé ce vide.

En effet, la Cour de cassation Marocaine a donné une définition claire, nous citons l’arrêt 402 rendu le 13 octobre 2016 au titre dossier commercial 750/3/1/2015 [3],

« la lettre de garantie, même si elle est émise en exécution de l’acte entre la banque et le débiteur, la relation entre la banque et le bénéficiaire de la garantie est indépendante de la relation entre ce dernier et le débiteur. La banque s’engage en vertu de la lettre de garantie, dès son émission et sa remise au bénéficiaire, à honorer le montant réclamé par le bénéficiaire en tant que droit régi par la lettre de garantie, autrement la banque est en défaut depuis la date de la première demande ».

L’arrêt sus-visé confirme un élément essentiel qui caractérise la garantie à première demande à savoir inopposabilité des exceptions qui pourraient être soulevées par le débiteur ou le garant :

« Dans le cas en espèce, il s’agit de la lettre de garantie, qui est un acte qui a des caractéristiques qui le différencient de l’acte de cautionnement. C’est un engagement principal indépendant de l’engagement garanti, à l’inverse du cautionnement qui reste un engagement accessoire. En conséquence il fait partie des garanties bancaires autonomes qui permettent au bénéficiaire, par sa nature, la disposition de liquidités à première demande sans aucune opposition quel que soit le motif, et de ce fait l’engagement de paiement devient exigible dès la demande introduite par le bénéficiaire de la garantie ».

Par ailleurs, nous attirons l’attention des acheteurs publics et privés, sur l’importance de se faire conseiller et accompagner pour la validation des garanties autonomes reçues auprès des fournisseurs.

Ainsi, il ne suffit pas que le titre de l’acte soit « garantie à première demande », pour que la garantie soit facilement réalisable. Il faut scruter tous les termes utilisés dans le corps de l’acte, notamment l’introduction de conditions préalables à l’exécution de la garantie « mise en jeux dans le langage courant », le juge pourrait en donner la qualification adéquate conformément au Dahir des obligations et contrats.

Dans ce sens, nous citons à titre d’exemple la mise en demeure du débiteur principal, la désignation du manquement du débiteur à son obligation, la territorialité, la loi et la langue applicables, les contres garanties pour les opérations internationales, la monnaie d’exécution.

En effet, la mise à la charge du bénéficiaire, de par sa volonté, des conditions préalables à la réalisation de la garantie, même stipulées à première demande dans l’acte, pourrait facilement virer à des rallonges excessives dans la mise en jeux de la garantie, voir même des contentieux et des recours judiciaires coûteux, ce qui vide cette garantie de son esprit.

Nous citons à titre d’exemple, l’arrêt 233/1 du 10/05/2018 dossier commercial 1916/3/1/2017 [4] qui a traité le cas des garanties à première demande avec l’obligation du bénéficiaire pour réaliser au préalable certaines formalités. Le garant ayant soulevé cette exigence a pu obtenir l’annulation de la décision rendue en appel.

Dans des cas extrêmes la justice pourrait requalifier la garantie autonome en cautionnement avec toutes les conséquences qui en découlent [5].

La lettre d’intention.

La lettre d’intention, appelée aussi par les banquiers lettre de confort, est un engagement généralement donné par une société holding pour soutenir ses filiales pour la mobilisation des fonds auprès des banques, ou d’autres créanciers.

La lettre de confort peut avoir comme obligation « de faire », telle que le maintien de la participation dans le capital ou le soutien d’un administrateur dans son poste. Elle peut aussi avoir une obligation de « ne pas faire », telle que l’obligation de non concurrence ou le désengagement du capital social du débiteur.

Dans l’apparence, la lettre de confort pourrait être considérée comme une simple lettre, mais dans la pratique cette dernière peut facilement se transformer en obligation de résultat [6], et l’émetteur de la lettre de confort peut se voir condamné à relayer le débiteur dans l’exécution de son obligation.

Hassan Ouatik DAF-Diplômé Expertise Comptable