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NFT : faut-il prévoir un contrat de cession de droits d’auteur avec l’artiste ? Par Jonathan Pouget, Avocat.
Parution : lundi 25 avril 2022
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J’ai pu constater que dans de nombreux cas, aucun contrat ne lie l’équipe porteuse d’un projet NFT à l’artiste créateur des œuvres qui seront par la suite vendues sous forme de NFTs. Cela pose un réel problème juridique qui constitue un risque énorme pour l’équipe. En effet, en l’absence de tout contrat de cession de droits d’auteur, l’équipe n’est que difficilement détentrice des droits sur les œuvres, et l’artiste pourrait réclamer une importante partie des gains financiers tirés des ventes des NFTs !

I. Absence de contrat de cession de droits d’auteur : l’artiste pourrait réclamer les bénéfices lies aux ventes.

A) Les réclamations possibles de l’artiste en l’absence d’un contrat de cession de droits d’auteur.

Le contrat de cession de droits d’auteur est l’acte juridique le plus pertinent afin de permettre à une personne physique ou morale d’exploiter commercialement des œuvres d’art.

En l’absence d’un contrat, l’artiste pourrait être en mesure de réclamer à l’équipe ou à la société la totalité ou la quasi-totalité des bénéfices des ventes initiales (Mint) ainsi que les éventuelles royalties perçues. Les gains d’un Mint réussi s’appréciant souvent en centaines de milliers d’euros ou en millions d’euros, cela peut donc être un vrai coup dur pour l’équipe !

Prenons en effet l’exemple d’une collection récente nommée « Shinsekai Portal ». Le Mint des NFTs de cette collection a eu lieu le 8 avril 2022. Les 10 000 NFTs composant la collection ont été vendus le jour-même. Chaque NFT pouvait être acquis pour 0,15 ETH soit environ 450 euros selon la valeur de l’ETH au 8 avril 2022.

Ainsi, la collection a rapporté dans cette même journée pas moins de 1 500 ETH à son équipe, soit environ 4,5 millions d’euros.

Si une équipe ou une société se retrouve contrainte de verser d’importantes sommes non prévues à l’artiste, les engagements pris dans le cadre de la Roadmap ne pourront peut-être plus être tenus et rapidement la communauté assimilera alors les difficultés de l’équipe à une forme d’arnaque (même si l’objectif n’était pas d’arnaquer le public).

De plus, essayer de prouver que l’artiste a bien consenti à une cession de droits d’auteurs en fournissant par exemple des échanges de mails semble insuffisant puisque l’article L131-2 du Code de la propriété intellectuelle impose la rédaction d’un contrat écrit en matière de cession de droits d’auteurs :

« Les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit ».

Enfin, l’artiste pourrait être fondé à réclamer des dommages-intérêts au titre d’un préjudice moral lié à une exploitation commerciale non autorisée de ses œuvres.

Il est donc impératif de prévoir la rédaction et la signature d’un véritable contrat de cession de droits d’auteurs au bénéfice de l’équipe. Ce contrat précisera les différents droits, garanties et obligations des parties et notamment l’étendue de la cession des droits d’auteurs et la rémunération de l’artiste.

Toutefois, un procédé peut permettre à une équipe d’acquérir les droits d’un auteur en l’absence de tout contrat : il faudrait réussir à qualifier les œuvres « d’œuvres collectives ».

B) Œuvres collectives : acquérir les droits sans contrat de cession de droits d’auteur.

Si les œuvres étaient qualifiées d’œuvres collectives, alors l’équipe pourrait légitimement les exploiter de façon commerciale, même en l’absence d’un contrat de cession de droits d’auteur.

La qualification d’œuvre collective nécessite ainsi la réunion de trois conditions cumulatives :
- En premier lieu, l’œuvre doit être créée à l’initiative et sous la direction d’une personne ou d’une équipe cumulant à la fois les pouvoirs d’initiative, de contrôle et de direction de l’œuvre. La jurisprudence a ainsi par exemple reconnu la qualification d’œuvre collective en présence d’une société qui avait « le pouvoir d’initiative sur la création et en contrôlait le processus jusqu’au produit finalisé en fournissant à l’équipe des directives et des instructions esthétiques afin d’harmoniser les différentes contributions » [1] ;
- En deuxième lieu, l’œuvre doit être réalisée par plusieurs personnes. Leurs différentes contributions doivent être intégrées, fusionnées ou assemblées pour aboutir à l’œuvre finale ;
- En troisième lieu, la qualification suppose une divulgation et une exploitation de l’œuvre sous le nom ou la marque de la personne qui a pris l’initiative de la création. Cette condition implique donc une exploitation publique comprenant une apparence de propriété au bénéfice d’une équipe ou d’une société.

En présence d’œuvres collectives, une société pourrait donc détenir l’ensemble des droits sur celles-ci.
L’article L113-5 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose en effet que :

« L’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée [et que] cette personne est investie des droits de l’auteur ».

Toutefois, si les conditions susvisées ne sont pas toutes remplies, il existe un risque de requalification en œuvre de collaboration.

C) Le risque de requalification en œuvre de collaboration.

Cette requalification représente un danger car l’équipe ou la société ne pourra plus prétendre être détentrice exclusive des droits sur l’œuvre. L’article 113-3 du Code de la Propriété intellectuelle prévoit en effet que :

« L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ».

La requalification sera possible si la participation des différents contributeurs ne peut être distinguée mais surtout si la société n’a joué aucun rôle de direction et d’impulsion dans la réalisation de l’œuvre.

En présence d’œuvres de collaboration, un partage des droits entre l’équipe et l’artiste serait caractérisé. L’artiste serait alors dans ce dernier cas en mesure de réclamer à l’équipe la totalité ou la quasi-totalité des bénéfices des ventes initiales (Mint) et des éventuelles royalties perçues.

Par conséquent, en l’absence de l’existence d’un contrat de cession de droits d’auteur, il est risqué pour une équipe de vendre les œuvres sous forme de NFTs ou sous une quelconque autre forme.

II. Un contrat de partenariat peut-il suffire ?

Le contrat de partenariat est caractérisé lorsque deux parties mettent en commun des moyens aux fins de réalisation d’un objectif commun. Un partage des gains tirés de la réalisation de cet objectif est également prévu.

En matière de développement et de vente d’une collection de NFTs, un tel contrat est tout à fait envisageable. L’artiste réaliserait les œuvres et les mettrait à la disposition d’une équipe qui de son côté procéderait à la génération de milliers de NFTs, à l’écriture et au déploiement du smart contract, à la publicité de la collection, à la modération des réseaux sociaux etc...

Les parties seraient libres de prévoir un partage des gains tirés de la vente de la collection. Toutefois, l’exploitation commerciale des œuvres serait limitée aux termes du contrat de partenariat. Chaque nouvelle exploitation devrait faire l’objet d’un nouveau contrat ou d’un avenant et toute exploitation ou utilisation des œuvres sans le consentement de leur auteur engagerait la responsabilité de l’équipe ou de la société.

La rédaction d’un contrat de cession de droits d’auteur est donc plus pertinente dans une opération traditionnelle de vente de NFTs.

III. A quel moment conclure un contrat de cession de droits d’auteur ?

Vous ne devez pas prévoir la conclusion de ce contrat au moment où vous procédez à une commande d’œuvres.

En effet, l’article L131-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que :

« La cession globale des œuvres futures est nulle ».

Autrement dit, si vous concluez un contrat de cession de droits d’auteur à un moment où les œuvres n’existent pas encore, le contrat pourra être frappé de nullité. Cette sanction revient à considérer que le contrat n’a jamais existé, et donc qu’il n’y a jamais eu de cession de droits d’auteur.

Par conséquent, là aussi l’artiste pourrait être en mesure de réclamer à l’équipe la totalité ou la quasi-totalité des bénéfices du Mint ainsi que les éventuelles royalties perçues.

IV. Comment formaliser le contrat de cession de droits d’auteur ?

Les contrats de cession de droits d’auteur représentent la solution la plus sécurisée pour une exploitation sereine des œuvres d’un artiste. En présence d’un tel contrat, il ne peut y avoir de doute sur la possibilité pour la société d’exploiter commercialement l’œuvre notamment sous forme de NFTs.

Pour autant, ces contrats doivent respecter un certains nombres de règles pour être valables et donc que cette transmission des droits aient eu effectivement lieu.

A) La nécessité d’un écrit.

La première règle importante est posée par l’article L131-2 du Code de la Propriété intellectuelle :

« Les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit ».

Un contrat doit être prévu et celui-ci ne peut être verbal. Un écrit est toujours nécessaire.

B) Le respect du principe de spécialité.

Ce type de contrat est par ailleurs gouverné par un principe fort : le principe de spécialité prévu par l’article L131-3 aliéna 1 du Code de la Propriété Intellectuelle :

« La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

Ce principe contraint donc les rédacteurs à déterminer précisément les différents droits, garanties et obligations des parties et notamment l’étendue de la cession des droits d’auteurs et la rémunération de l’artiste.

A défaut du respect de cette exigence, l’auteur (et lui-seul) pourra invoquer la nullité du contrat. Si la nullité est prononcée par un juge, le contrat sera considéré comme n’ayant jamais existé, et la cession des droits d’auteur ne sera alors jamais intervenue !

De surcroît, les juges retiennent une interprétation stricte de ce principe. Il en découle donc que tout droit ou mode d’exploitation non expressément inclut dans un contrat de cession appartient à l’auteur.

C) La nécessité de mentions spécifiques à la technologie de la Blockchain.

En effet, si des œuvres restent des œuvres, il n’en reste pas moins que la cession s’inscrit ici dans le contexte d’une technologie particulière et nouvelle. Il est nécessaire de comprendre son fonctionnement afin de procéder à la rédaction d’un contrat en accord avec la réalité technique !

V. Comment encadrer la relation avant l’achèvement des œuvres.

S’il serait contre-productif de prévoir la rédaction et la conclusion d’un contrat de cession de droits d’auteur à une époque où les œuvres n’existent pas encore, tout n’est cependant pas perdu afin de protéger aussi bien l’équipe que l’artiste.

Un contrat de commande artistique peut-être prévu au moment de la rencontre entre l’équipe et l’artiste. En vertu de ce contrat, différents engagements pourront être pris :
- Engagement de l’artiste de fournir un art aux caractéristiques clairement définies (par exemple un personnage de base et 150 traits) ;
- Engagement de l’artiste de fournir l’art à une date déterminée ;
- Engagement de l’équipe de payer une provision au moment de la commande ;
- Engagement de l’équipe de payer une somme totale déterminée Etc...

Ce contrat permet de protéger l’artiste qui saura qu’il ne commence pas à travailler pour rien. Il permet également de protéger l’équipe qui est assurée d’être livrée dans des délais convenables.

Toutefois, ce contrat n’emporte pas cession de droits d’auteur. Il sera donc nécessaire de prévoir la conclusion d’un contrat de cession de droits d’auteur lorsque le travail de l’artiste sera terminé. Les œuvres réalisées devront par ailleurs être annexées à ce dernier contrat.

Jonathan Pouget Avocat au barreau d'Aix-en-Provence & Docteur en droit [->jonathan@pouget-avocat.fr] Site Web: https://pouget-avocat.fr/

[1Cass. Civ. 1ere, 19 décembre 2013, n°12-26.409.