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Questions-Réponses sur l’inaptitude au travail. Par Arthur Tourtet, Avocat.
Parution : jeudi 21 avril 2022
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Le travail, ce n’est pas toujours la santé, car cette dernière n’est pas éternelle.
Durant sa carrière, il n’est pas rare qu’un salarié fasse l’objet d’un avis d’inaptitude à son poste de travail.
Fort logiquement, le droit du travail n’est pas avare de règles protectrices dans une telle situation.

1/Qu’est-ce qu’un avis d’inaptitude et qui peut me le délivrer ?

L’avis d’inaptitude est une constatation médicale, qui atteste de l’incompatibilité de votre état de santé avec votre poste actuel.

Seul le médecin du travail peut vous délivrer un tel avis, lequel s’imposera à l’employeur.

Aux yeux du droit du travail, un certificat délivré par votre médecin traitant ne peut jamais être considéré comme étant un avis d’inaptitude.

Il en va de même d’une reconnaissance du statut de travailleur handicapé [1] ou d’une reconnaissance d’une invalidité par la Sécurité sociale [2].

2/ Quand peut-on me déclarer inapte ?

L’avis d’inaptitude peut être délivré à l’occasion de toute visite médicale effectuée par le médecin du travail [3].

Dans la plupart des cas, l’avis d’inaptitude est délivré à la suite d’une visite de reprise, lorsqu’un arrêt de travail prend fin.

Selon l’article R4624-31 du Code du travail, la visite de reprise est obligatoire dans les cas suivants :
- Après un congé de maternité ;
- Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;
- Après une absence d’au moins trente jours pour cause d’accident du travail ;
- Après une absence d’au moins soixante jours pour cause de maladie ou d’accident non professionnel.

Un seul examen suffit pour constater l’inaptitude, sauf si le médecin du travail estime qu’un second examen est nécessaire, lequel doit intervenir, au plus tard, 15 jours après le premier [4].

3/ Puis-je contester l’avis d’inaptitude du médecin du travail ?

Vous pouvez contester votre inaptitude devant le Conseil de prud’hommes [5].

Il s’agit d’une procédure accélérée au fond, relevant de la compétence de la formation de référé.

Vous disposez d’un délai de 15 jours à compter de la notification de votre avis d’inaptitude pour effectuer votre recours [6].

Ce recours n’est pas suspensif [7].

Vous êtes tenu d’informer le médecin du travail de votre recours.

Notez encore que l’employeur peut mandater son propre médecin, lequel se verra communiquer les éléments médicaux qui ont été à l’origine de la décision du médecin du travail.

L’objet de ce recours est que le Conseil de prud’hommes rende une décision qui se substituera à l’avis d’inaptitude contesté.

Le Conseil est en droit d’apprécier tous les éléments qui ont été utilisés par le médecin du travail [8].

Cela est facultatif, mais le Conseil peut ordonner une expertise qui sera effectuée par un médecin inspecteur du travail.

Le médecin inspecteur du travail rendra un rapport d’expertise, et les parties seront convoquées à une nouvelle audience, afin de débattre sur l’existence ou non d’une inaptitude.

Cette expertise est payante et le Conseil a la faculté, par décision motivée, de ne pas mettre à la charge de la partie perdante, tout ou une partie des frais d’expertise, à la condition que la contestation de l’avis d’inaptitude ne soit pas abusive ou dilatoire [9].

4/ Que doit faire l’employeur si je suis déclaré inapte ?

Dès votre déclaration d’inaptitude, l’employeur doit rechercher un poste de reclassement.

Si vous n’êtes pas reclassé après un mois et que vous n’êtes pas encore licencié, le versement de votre salaire doit reprendre [10].

Le salaire doit correspondre à celui que vous perceviez avant l’arrêt de travail qui s’est soldé par une inaptitude [11].

Même si vous ne pouvez pas travailler tant que vous n’êtes pas reclassé, vous devez vous tenir à la disposition de votre employeur, ce dernier pouvant, par exemple, vous faire convoquer à des entretiens avec le médecin du travail, afin d’étudier vos possibilités de reclassement [12].

5/ L’employeur doit me reclasser sur quel poste ?

On ne peut pas vous proposer n’importe quoi.

L’employeur doit vous reclasser sur un poste disponible, aussi comparable que l’ancien, et adapté à vos capacités.

Si besoin, l’employeur peut effectuer des aménagements, adaptations ou transformations de postes, comme par exemple, vous proposer une formation complémentaire [13].

L’employeur doit vous reclasser sur un poste disponible. Il n’a aucune obligation de créer un poste rien que vous [14].

Il est parfois utile d’exiger le registre d’entrée et de sortie du personnel, afin de vérifier l’existence de postes disponibles [15].

Point extrêmement important : le poste de reclassement doit toujours respecter les préconisations du médecin du travail.

Si les préconisations sont imprécises ou que le salarié conteste la compatibilité du poste de reclassement avec son état de santé, l’employeur doit demander des précisions au médecin du travail [16].

On peut vous proposer un poste de reclassement dans tout le territoire français, y compris dans d’autres entreprises du groupe auquel appartiendrait votre entreprise actuelle.

En revanche, il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir recherché des possibilités de reclassement auprès d’entreprises tierces [17].

L’employeur n’a pas non plus l’obligation de vous proposer une reconversion professionnelle [18].

Avant de vous faire une proposition, l’employeur doit consulter le Comité social et économique (CSE), s’il existe, afin de solliciter son avis sur les propositions de reclassement identifiées [19].

Cette obligation de consulter le CSE est obligatoire, y compris lorsque votre inaptitude n’est pas d’origine professionnelle.

Si l’entreprise ne dispose pas de CSE, alors qu’elle aurait dû organiser des élections professionnelles en raison de ses effectifs, l’employeur devra justifier d’un procès-verbal de carence [20].

Dernier point, selon les articles L1226-2-1 et L1226-12 du Code du travail, l’employeur peut se contenter de ne proposer qu’une seule offre de reclassement, même si en pratique, il est plus sage d’en proposer plusieurs lorsque cela est possible.

6/ Puis-je refuser d’être reclassé ?

Vous avez le droit de ne pas être reclassé mais cela aura des conséquences, selon votre situation.

Si votre reclassement n’est pas conforme à vos capacités et/ou aux préconisations du médecin du travail, l’employeur ne peut pas valablement vous licencier pour inaptitude, et encore moins pour faute.

Si votre reclassement est conforme et que votre refus est abusif, vous perdez le droit à l’indemnité spéciale de licenciement ainsi qu’à l’indemnité de préavis, lorsque votre inaptitude a une origine professionnelle [21].

En toute hypothèse, si vous refusez un ou plusieurs postes de reclassement parfaitement conformes, même sans abus, l’employeur pourra estimer que votre impossibilité de reclassement est constituée, ce qui débouchera sur un licenciement pour inaptitude [22].

7/ L’employeur manque-t-il à ses obligations lorsqu’il ne trouve aucun poste à me proposer ?

Il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas proposer un poste de reclassement si ce dernier n’existe pas.

Du moins, si l’employeur n’a pas fait semblant de chercher…

L’employeur doit démontrer qu’il a effectué des recherches de reclassement loyales et sérieuses [23].

Concrètement, l’employeur doit consacrer un minimum de temps et d’énergie à tenter de sauvegarder l’emploi du salarié inapte.

Afin de faciliter cette tâche, effectuer un bilan de compétences peut avoir son utilité [24].

Plus l’entreprise est grande, plus les recherches de l’employeur devront être importantes [25].

Inversement, il sera plus facile de pardonner des recherches de reclassement infructueuses, si l’entreprise a des effectifs très modestes [26].

Pour illustration, ne sont pas loyales et sérieuses, les « tentatives » de reclassement suivantes :
- Le fait d’interroger des entreprises et de ne pas être en état de produire des réponses de refus [27] ;
- Le fait d’envoyer des “mails types” à diverses entreprises et services, sans une description détaillée du profil du salarié inapte, un tel procédé pouvant facilement provoquer des réponses négatives [28] ;
- Le fait de considérer d’emblée que le reclassement est impossible, seulement deux jours après l’avis d’inaptitude [29].

Attention, lorsque d’un CSE existe dans votre entreprise, l’employeur doit le consulter, même lorsque la recherche de reclassement est infructueuse [30].

8/ L’employeur peut-il être dispensé de l’obligation de reclassement ?

Oui, à la condition que cette dispense ait été accordée par le médecin du travail.

L’employeur doit justifier de la mention expresse, dans l’avis du médecin du travail, que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

L’employeur est encore dispensé de son obligation de reclassement lorsque le salarié inapte est un apprenti [31].

En cas de dispense de reclassement, il existe une incertitude sur le fait de savoir si l’employeur doit consulter le CSE.

Le principe même de solliciter l’avis du CSE, est que ce dernier peut éventuellement suggérer des possibilités de reclassement qui n’auraient pas été explorées.

Une consultation du CSE n’aurait clairement aucun sens dans le cas d’une dispense de reclassement.

Certaines juridictions suivent cette logique [32], même s’il n’est pas impossible que la Cour de cassation décide du contraire, dans un avenir proche.

9/ Comment se passe mon licenciement si le reclassement est impossible ?

Avant tout engagement de la procédure de licenciement, si aucun poste n’a été proposé par l’employeur, ce dernier doit vous notifier par écrit les motifs qui s’opposent à votre reclassement [33].

Si vous avez refusé une offre de reclassement, votre entreprise est dispensée de vous envoyer cette lettre [34].

L’employeur doit ensuite engager la procédure classique de licenciement, avec une convocation à un entretien préalable et l’envoi d’une lettre de licenciement.

La lettre de licenciement devra être rédigée avec soin et préciser, non seulement qu’il s’agit d’un licenciement suite à une déclaration d’inaptitude, mais également que le reclassement du salarié est impossible.

Il est même prudent de mentionner les diligences effectuées, afin de tenter de reclasser le salarié licencié [35].

Si besoin, l’annexe II du Décret n° 2017-1820 du 29 décembre 2017 propose un modèle de rédaction de la lettre de licenciement pour inaptitude. Il est utile de s’en inspirer afin de vérifier que rien n’a été oublié.

Si vous êtes un salarié protégé, l’employeur devra évidemment respecter la procédure de licenciement spécifique à votre encontre, ce qui implique l’obtention d’une autorisation de licencier de la part de l’Inspection du travail.

Si votre inaptitude n’est pas d’origine professionnelle, vous bénéficiez d’une indemnité de licenciement, mais pas d’une indemnité compensatrice de préavis.

Bien entendu, des dispositions conventionnelles peuvent prévoir des règles plus favorables. Vérifiez bien vos conventions collectives applicables.

Si votre inaptitude est d’origine professionnelle, vous devez bénéficier d’une indemnité spéciale de licenciement (qui est une indemnité de licenciement doublée), ainsi que d’une indemnité compensatrice de préavis [36].

Dans les deux hypothèses, vous avez le droit à une indemnité compensatrice de congés-payés (s’il reste un solde) et au salaire dû qui n’aurait pas encore été versé (dans le cas d’une reprise du paiement du salaire).

Concernant votre indemnité de congés-payés, n’oubliez pas qu’une période d’arrêt pour accident de travail ou maladie professionnelle est prise en compte dans l’acquisition de congés. Il en va de même concernant le congé maternité.

Lorsque vous êtes en CDD, l’employeur pourra également rompre votre contrat de manière anticipée pour impossibilité de reclassement, suite à votre inaptitude.

10/ Quelles sont les sanctions si l’employeur a manqué à son obligation de reclassement ?

Si l’employeur a manqué à ses obligations en matière de reclassement, votre licenciement sera sans cause réelle et sérieuse [37].

Si votre inaptitude est d’origine non professionnelle, vos dommages et intérêts seront soumis au barème de l’article L1235-3 du Code du travail, sauf si vous pouvez démontrer que votre licenciement est directement motivé par votre état de santé (donc discriminatoire), ce qui ne sera pas une tâche aisée.

Si l’employeur ne vous a pas reclassé alors qu’un poste disponible aurait pu être proposé, l’indemnité compensatrice de préavis est due [38].

Si votre inaptitude est d’origine professionnelle, vous avez le droit à des dommages et intérêts qui ne peuvent être inférieurs à 6 mois de salaire [39].

Si l’employeur a respecté ses obligations mais qu’il ne vous a pas informé des motifs qui s’opposent à votre reclassement, il doit vous attribuer des dommages et intérêts à ce titre [40].

11/ Puis-je contester mon licenciement si l’inaptitude a été causée par l’employeur ?

Il serait particulièrement choquant qu’un employeur soit responsable de votre inaptitude et puisse ensuite vous licencier sans faire l’objet d’une sanction.

Si l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et que ce manquement a causé l’inaptitude, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse [41].

Il existe encore une autre cause d’inaptitude imputable à l’employeur : le harcèlement.

Dans une telle situation, le licenciement pour inaptitude est sanctionné par la nullité [42].

12/ Si je suis inapte, puis-je signer une rupture conventionnelle ?

Ce n’est pas interdit.

Le simple fait d’avoir été déclaré inapte ne remet pas en cause la validité d’une rupture conventionnelle signée ultérieurement [43].

Cela ne veut pas dire que votre employeur peut profiter de vos problèmes de santé pour vous imposer une rupture conventionnelle désavantageuse.

Une rupture conventionnelle doit toujours respecter votre libre consentement [44].

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d\'Oise

[1Cass. soc., 6 mars 2017, n° 15-26.848.

[2Cass. soc., 13 janv. 1998, n° 95-45.439.

[3Cass. soc., 7 juill. 2016, n° 14-26.590.

[4C. trav., art. R4624-42.

[5C. trav., art. L4624-7

[6C. trav., art. R4624-45 et Cass. Soc. 2 juin 2021, n° 19-24.061.

[7C. trav., art. L4624-6.

[8Cass. soc. avis, 17 mars 2021, n° 21-70.002.

[9C. trav., art. L4624-7.

[10C. trav. art. L1226-4 et L1226-11.

[11Cass. soc., 5 mai 2021, n° 19-22456.

[12Cass. soc., 22 juin 2011, n° 10-30.415.

[13Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 08-40.328.

[14Cass. soc., 21 mars 2012, n° 10-30895 et Cass soc., 10 avril 2019, n° 18-12.164.

[15Cour d’appel de Caen, 26 février 2016, n° 14/02246.

[16Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 02-42.134, Cass. soc., 14 juin 2016, n° 14-15.948 et Cass. soc., 22 juin 2017, n° 16-10.267.

[17Cour d’appel de Paris, 18 juin 2015, n° 15/01464.

[18Cass soc., 7 juillet 2009, n° 08-40.328.

[19Cass. soc., 15 janv. 2020, n° 18-24328.

[20Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 18-26.806.

[21Cass. soc., 17 mai 2016, n° 14-19.861.

[22Cass. soc., 9 nov. 2017, n° 16-18.452, Cass. soc., 26 janv. 2022, n° 20-20.369 et Cour d’appel de Montpellier, 25 mars 2015, n° 13/03931.

[23Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.219 et Cass. soc., 30 nov. 2016, n° 15-18.880.

[24Cour d’appel de Paris, 22 mars 2022, n° 20/03060.

[25Cour d’appel de Rouen, 24 septembre 2020, n° 18/00704.

[26Cour d’appel de Toulouse, 30 janvier 2015, n° 14/00978 et Cour d’appel de Montpellier, 24 avril 2013, n° 11/07449.

[27Cour d’appel de Riom, 22 avril 2014, n° 13/03039.

[28Cour d’appel de Bordeaux, 8 septembre 2009, n° 08/04829.

[29Cass. soc., 1er févr. 2012, n° 11-10.837.

[30Cass. soc., 30 sept. 2020, n° 19-16488.

[31C. trav., art. L6222-18.

[32Cour d’appel de Besançon, 25 octobre 2019, n° 18/02067.

[33C. trav., art. L1226-2-1 et L1226-12.

[34Cass. soc., 24 mars 2021, n° 19-21.263.

[35Cour d’appel d’Orléans, 6 octobre 2011, n° 11/00568.

[36C. trav., art. L1226-14.

[37Cass. soc., 9 nov. 2017, n° 16-18.452.

[38Cass. soc., 26 nov. 2002, n° 00-41.633.

[39C. trav., art. 1226-15.

[40Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 19-16.424.

[41Cass. soc., 12 janv. 2022, n° 20-22.573.

[42Cass. soc. 12 mai 2010, n° 09-40910.

[43Cass. soc., 9 mai 2019, n° 17-28.767.

[44C trav., L1237-11.