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Déménagement après une séparation ou un divorce : qui aura la garde des enfants ? Par Barbara Régent, Avocate.
Parution : jeudi 21 avril 2022
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Chaque année, environ 10% de la population française déménage. Comment la justice fixe-t-elle la résidence de l’enfant quand un parent s’éloigne de l’autre ? Illustration avec un arrêt de la Cour d’appel de Versailles rendu le 24 juin 2021.

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles souligne la complexité des décisions des juges appelés à se prononcer sur la résidence de l’enfant lorsqu’après une séparation un des deux parents projette de déménager (CA Versailles, 24 juin 2021, n° 20/00425).

Dans cette affaire, la mère, née au Bélize (Amérique centrale), souhaitait rejoindre son pays natal avec sa fille, née en 2015, dont elle avait la résidence principale.

Par requête du 15 mai 2019, elle a saisi le juge aux affaires familiales aux fins de voir modifier les modalités d’exercice de l’autorité parentale et d’être autorisée à partir au Bélize avec l’enfant.

Par jugement du 8 novembre 2019, le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Versailles a notamment maintenu la résidence habituelle de l’enfant au domicile de sa mère « sous réserve que cette dernière maintienne, en l’état et tant que le père exerce son droit de visite, sa résidence dans la région des Yvelines ou à proximité ».

Pour se déterminer ainsi, le premier juge a précisé que si le projet de retour de la mère dans son pays pouvait sembler légitime, il devait être concilié avec le droit de l’enfant de connaître et de vivre avec son père et réciproquement ; or, il semblait essentiel de laisser l’opportunité à ce dernier de consolider un relation saine et affective ainsi qu’il l’a initiée récemment avec son enfant et de construire un lien père-fille durable et solide. Ce lien, aujourd’hui encore fragile, ne saurait résister à une installation de l’enfant, qui est très jeune, au Bélize a dit le juge. Par conséquent il a considéré que dans l’intérêt de l’enfant, il était important qu’il continue de résider en France auprès de ses deux parents.

Toutefois, la cour d’appel infirme le jugement sur les modalités de fixation de la résidence de l’enfant chez sa mère. La motivation est particulièrement développée et souligne la démarche de la cour, fondée sur l’analyse du principe de proportionnalité : le transfert de résidence va-t-il être bénéfique à l’enfant en dépit de l’éloignement de l’autre parent ? Le déménagement traduit-il la volonté de refuser à l’enfant le maintien du lien affectif qu’il entretient avec l’autre parent ou sur le désir sincère d’offrir à l’enfant une qualité de vie meilleure ?

« Il convient de rechercher le contexte du projet de départ de la mère au Bélize ainsi que les répercussions de la décision de Mme A d’aller s’installer à l’étranger avec l’enfant commun, de son éloignement du domicile du père vivant en France, où se trouve le cadre de vie habituel de C, sur les conditions d’existence de la fillette, étant souligné que si le choix du lieu de vie est une liberté fondamentale, il ne doit pas s’opérer en violation des droits attachés à la co-parentalité et à celui de l’intérêt supérieur de l’enfant.
C, âgée de 6 ans, qui se présente comme une fillette précoce et très sociable selon les pièces produites, a toujours vécu auprès de sa mère et les liens avec son père s’exerçent actuellement en espace de rencontre deux fois par mois depuis un jugement prononcé le 30 novembre 2018.
(…)
Il ne peut être contesté que C bénéficie d’un ancrage au sein de son environnement maternel au quotidien depuis sa naissance, étant rappelé que l’enfant n’avait qu’un an lors de la séparation de ses parents et que des soupçons d’agression sexuelle pesaient sur son père, faits dénoncés par l’enfant auprès de sa mère, alors qu’elle n’avait que trois ans, donnant lieu à un classement sans suite le 13 décembre 2018 pour infraction insuffisamment caractérisée, de la plainte déposée le 9 janvier 2018 par Mme A.
Si les repères actuels de l’enfant sont en France, néanmoins les racines familiales de sa mère sont au Bélize, où celle-ci est née et où résident sa grand-mère maternelle, ainsi que les quatre demi-frères de Mme A, ainsi qu’il résulte du rapport d’enquête sociale.
Selon l’attestation délivrée par Mme F J, mère de Mme A, vivent également au Bélize, les oncles et tantes de C, ses cousins et ses cousines.
Le projet de vie de Mme A, titulaire d’un diplôme de marketing international, qui a le souhait de partir s’installer avec sa fille au Bélize, pays anglophone d’Amérique latine, en vue d’un rapprochement avec les membres de sa branche maternelle, correspond à un projet réfléchi et organisé consistant en la reprise de l’entreprise, la société Amber Jewelry, exploitée par sa mère qui doit partir prochainement à la retraite. Il est justifié au vu des attestations produites que C est bilingue, qu’elle a, comme sa mère, la double nationalité française et bélizienne, qu’elle a l’habitude d’effectuer des séjours auprès de la famille maternelle au Bélize, francophone et qui est soutenante.
Mme A offre à sa fille un cadre de vie propre à lui assurer, stabilité et sécurité, l’appelante ayant précisé qu’un logement lui permettant d’accueillir sa fille, l’attend au Bélize.
Si l’installation de Mme A et de sa fille au Bélize va conduire à une modification des habitudes de vie de l’enfant, néanmoins, le déracinement qu’induit un tel départ à l’étranger restera modéré, eu égard à l’éducation multiculturelle de l’enfant et est contrebalancé par la richesse de l’approfondissement d’une autre culture en Amérique centrale pour une jeune enfant, tout en prévoyant des modalités lui permettant de maintenir des liens affectifs avec son père, par le biais d’un droit de visite et d’hébergement adapté à l’éloignement géographique entre les parents.
M. B ne peut s’opposer au projet de vie personnelle et professionnelle de la mère de C, dès lors que les droits de l’enfant mineure sont préservés et qu’un dispositif est prévu afin de veiller au respect par chacun des parents, des droits de l’autre, permettant à la fillette de conserver des liens avec chacun d’entre eux.
Mme A a informé en temps utile le père de l’enfant de son projet de départ au Bélize et en engageant une procédure devant le juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Versailles.
Une telle démarche, cohérente en son principe et normale au regard de son projet de vie, ne traduit pas de la part de la mère, un refus du respect des droits du père à l’égard de sa fille, ni une volonté de refuser à l’enfant le maintien du lien affectif qu’elle entretient avec son père.
(…)
En conséquence, la cour estime que le transfert de la résidence de C au Bélize avec sa mère, n’est pas de nature à entraîner une rupture sérieuse dans son environnement matériel et affectif et n’est pas contraire à son intérêt.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a fixé la résidence de l’enfant au domicile de sa mère, mais infirmé, en ce qu’il a prévu une restriction tenant au maintien du domicile de cette dernière dans la région des Yvelines ou à proximité
 ».

La cour retient donc la qualité du projet familial et professionnel formé par la mère de l’enfant. Elle ordonne ainsi un transfert de résidence et, à titre de contrepartie, offre au père un droit de visite aussi large que possible compte tenu de l’éloignement. En effet, la cour rappelle que le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux, d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents est consacré par l’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

C’est pourquoi la cour juge qu’ « à compter du départ au Bélize, le père exercera son droit de visite et d’hébergement et pourra accueillir sa fille à son domicile, selon les modalités suivantes :
- vacances de Noël en totalité,
- vacances de Pâques en totalité,
- un mois au titre des vacances d’été, le mois de juillet les années paires et le mois d’août les années impaires, à charge pour Mme de supporter les frais de trajet aller/retour de l’enfant
 ».

Cette décision sur la prise en charge financière mérite d’être approuvée : la mère décidant de partir pour l’Amérique centrale, elle doit assumer les conséquences financières de son choix de vie.
Cet arrêt illustre combien les approches peuvent être différentes entre le premier jugement et la décision d’appel. Ces différences renforcent la nécessité de privilégier les modes amiables. Parce que chaque famille est unique, chaque solution l’est aussi.

L’aide d’avocats formés aux solutions non-contentieuses permet bien souvent de pacifier les conflits familiaux. Avec un objectif ô combien essentiel : préserver l’enfant.

Barbara Régent, Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice de l'association "Avocats de la Paix" https://www.regentavocat.fr/