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Comment Eric Mathais, procureur de la République de Bobigny, utilise-t-il les réseaux sociaux ?
Parution : jeudi 19 mai 2022
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"Je twitte, tu twittes, nous twittons, ils twittent..." ce phénomène de communication instantanée touche également les professionnels du Droit. La rédaction du Village de la Justice s’est intéressée à cette évolution de la communication des professionnels de Justice et plus précisément celles des procureurs de la République pour comprendre comment et pourquoi twittent-ils ? Quels sont les objectifs soutenus par ce type de communication ? Est-elle libre ? Quelle responsabilité ? Quels liens entre cette communication sur les réseaux sociaux et les textes qui régissent la prise de parole publique des Magistrats ? Comment se fait le choix des réseaux sociaux ?
Autant de questions auxquelles répond avec clarté et liberté Eric Mathais, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny [1].

Village de la Justice : Pour quelles raisons utilisez-vous les réseaux sociaux pour communiquer ? Quels sont ceux privilégiés et pourquoi ?

Eric Mathais : « J’ai commencé à utiliser les réseaux sociaux en 2016 alors que j’étais procureur à Brest, à ce moment là, peu de juridictions avaient investi les réseaux sociaux. Comme cela semblait répondre à une demande du public, j’ai poursuivi ce mode de communication dans mes fonctions suivantes. Ce mode de communication permet également de donner un côté plus moderne à la juridiction.

Une communication positive, quotidienne et plus fluide, valorisant l’action de la Justice.

Principalement je communique sur Linkedin et Twitter. Le premier pour diffuser des informations à destinations des professionnels du Droit, le second pour toucher de façon plus directe le grand public et les journalistes.

L’usage des réseaux sociaux permet une communication quotidienne et plus fluide et me donne l’occasion de parler de la fonction du procureur de la République, de valoriser le travail fourni au quotidien par les Parquets et mettre en avant l’action concrète de la Justice.

Cela nous permet aussi de rompre le cou à l’idée fausse que la Justice est laxiste en apportant la preuve de l’action quotidienne de la juridiction par des cas concrets

 [2].
Ainsi, mes posts sont parfois commentés, et certains de ces commentaires peuvent être à la limite de la légalité, mais dans l’ensemble les twittos se retiennent dans leurs posts. Il m’arrive d’engager le dialogue avec certains d’entre-eux pour répondre à leurs questions, mais cela prend beaucoup de temps donc ce n’est pas systématique.
De même, souvent à l’issue d’une information publiée sur Twitter, des journalistes me contactent pour approfondir un sujet. A titre d’exemple, lorsque j’étais procureur de la république à Dijon, j’ai fait une série de twitt sur la médaille des services judiciaires qui venait d’être attribuée à une greffière, intrigué un journaliste s’est rapproché de moi pour réaliser un article plus approfondi sur cette décoration et la personne l’ayant reçue. Ceci démontre des avantages des communications faites sur les réseaux sociaux puisque potentiellement un post peut entraîner des articles dans différents média, c’est ce qu’on appelle la démultiplication de l’information ».

Votre communication est-elle libre ou institutionnalisée ? Qui en est responsable ?

"L’ensemble des posts publiés sont sous ma seule responsabilité."

« Que ce soit pour Twitter ou Linkedin, la juridiction de Bobigny dispose d’un compte officiel rattaché au procureur de la République, ce qui institutionnalise d’office les posts réalisés depuis ces comptes. Les publications sont presque exclusivement des informations positives.
L’ensemble des posts publiés sur les comptes attribués à la fonction de procureur de la République de Bobigny sont sous ma seule responsabilité, même si je suis aidé dans ma tâche par un chef de cabinet [3] dont le rôle est de préparer des posts dont je valide le contenu avant envoi sur les réseaux sociaux ».

Selon-vous les Tribunaux judiciaires doivent-ils se doter d’une fonction dédiée à la communication vers l’extérieur ? Ce poste doit-il forcément tenu par un Magistrat ?

« Oui, il me semble impératif qu’une personne soit en charge de la communication des tribunaux judiciaires.

Cela existe déjà dans certaines cours d’appel ou certains tribunaux judiciaires, mais il serait nécessaire que chaque juridiction en fonction de sa taille dispose d’un service communication à l’image de ce qui existe pour les groupements de Gendarmerie ou pour les Préfectures.

Par exemple pour une juridiction comme Bobigny où l’actualité judiciaire est extrêmement forte cela aurait du sens qu’il y ait une personne à temps plein sur la communication. Cela pourrait être rendu possible par les postes créés dans le cadre de la Justice de proximité.

"Il serait nécessaire que chaque juridiction dispose d’un service communication."

La communication positive des actions menées par une juridiction ne doit pas être forcément dévolue à un magistrat, cependant, ce sont souvent les procureurs de la République (et leur équipe) qui s’en chargent. Cela s’explique notamment de part leur fonction, ces derniers sont un lien entre la juridiction et le « monde extérieur » ; et ils ont depuis longtemps pris l’habitude d’expliquer quelles sont les actions de leur juridiction de rattachement.
Dans tous les cas, quelque soit la personne qui se charge de cette communication, elle devra le faire avec prudence et sérieux et devra transmettre une information de qualité car la recherche de la vérité repose sur une bonne enquête et une bonne maîtrise de la communication autour d’une affaire ».

Cette communication sur les réseaux sociaux est-elle compatible avec l’ordonnance de 1958 et l’article 11 alinéa 3 du Code de procédure pénale [4] ?

« Oui, tout à fait, le devoir de réserve s’applique complètement aux procureurs de la République et j’ai toujours en tête le souci des devoirs de réserve et de prudence avant chacun de mes posts ».

Les Magistrats dans leur ensemble reçoivent-ils une formation spécifique à la communication ?

« Il y a trente ans, non, mais maintenant, l’Ecole Nationale de la Magistrature propose un grand nombre de formations en ce domaine. Formations que je suis régulièrement. Par exemple cela m’a permis d’apprendre qu’il fallait éviter de faire un point presse à 18 heures car cela n’est pas pratique pour les journaux et leur réalisation. De même, il est possible de faire un stage immersif de trois jours auprès d’un média télévisuel ou de la presse régionale, ou de faire des formations style « média training » aux côtés d’autres professions telles que les gendarmes et policiers pour apprendre la maîtrise d’une interview.
Sur la thématique de la communication, l’ENM mène un partenariat avec l’école nationale supérieure de police, avec une formation commune magistrats/commissaires "face à la caméra" ».

Interview d'Eric Mathais, propos recueillis par Marie Depay pour la Rédaction du Village de la Justice.

[1Lien vers le compte twitter d’Eric Mathais : https://twitter.com/@Procureur93.

[2Exemple : "Hier au tribunal judiciaire de Bobigny, 20 peines ont été mises à exécution…" ou encore : "Ce jour au Tribunal judiciaire de Bobigny X personnes jugées en comparutions immédiates..."

[3Contractuel niveau A.

[4Levée du secret de l’enquête et de l’instruction pour de éviter diffusion informations inexactes ou parcellaires.