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Comment Eric Vaillant, Procureur de la République de Grenoble, utilise-t-il les réseaux sociaux ?
Parution : vendredi 6 mai 2022
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"Je twitte, tu twittes, nous twittons, ils twittent..." ce phénomène de communication instantanée touche également les professionnels du Droit. La rédaction du Village de la Justice c’est intéressée à cette évolution de la communication des professionnels de Justice et plus précisément celles des procureurs de la République afin de comprendre les motivations de leurs posts sur les réseaux sociaux ? Quels sont les objectifs soutenus par ce type de communication ? Est-elle libre ou institutionnalisée ? Quelle responsabilité ? Quels liens entre cette communication et les textes qui régissent la prise de parole publique des Magistrats ? Comment se fait le choix des réseaux sociaux ?
Autant de questions auxquelles répond avec clarté et liberté Eric Vaillant, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble. Parmi les Magistrats, il fait partie des pionniers ayant investi les réseaux sociaux [1].

Village de la Justice : Quels sont les objectifs de la communication des procureurs de la République sur les réseaux sociaux ?

"Eviter la propagation de fausses nouvelles, rassurer la population, mettre en valeur le travail de la Justice."

Eric Vaillant : « Ces objectifs sont multiples. Il s’agit d’abord pour moi d’informer la population sur l’action de sa Justice et de lui montrer que la Justice fait son travail, notamment, pour ce qui concerne le plus le procureur, dans la lutte contre la délinquance. Cette communication permet de mettre en valeur le travail des femmes et des hommes, magistrats et greffiers, qui travaillent dans les tribunaux, souvent avec passion, mais souffrent de l’image injustement négative du public sur l’institution judiciaire considérée comme trop lente et trop laxiste.

Il se fait plein de choses de bien dans les palais de Justice et si nous ne le faisons pas savoir, qui le dira à notre place ?

Dès que je le peux, j’évoque aussi la justice civile dans les tweets que j’envoie car elle représente une part tout aussi importante de l’activité judiciaire même si le procureur y est moins présent.

La communication du procureur permet aussi d’éviter la propagation de fausses nouvelles, de rassurer parfois la population, de mettre en valeur le travail des partenaires, d’expliquer pédagogiquement le fonctionnement judiciaire souvent complexe.

Dans une société compliquée où nos concitoyens éprouvent de la méfiance envers les institutions, il faut selon moi développer la communication des responsables mais aussi des différents acteurs du terrains pour que tout le monde perçoive bien que les institutions se sont d’abord des femmes et des hommes. Ma conviction est que les institutions doivent être incarnées par leurs responsables mais aussi par tous ceux qui y travaillent. Je suis persuadé que nos concitoyens font plus confiance aux institutions quand ils voient ou entendent ceux qui y travaillent. Cela me conduit à confier la communication sur certaines affaires à mes procureurs adjoints, vice-procureurs ou substituts, pour qu’on ne voit pas toujours le seul procureur dans les médias.
Les présidents de tribunaux, magistrats du siège, communiquent de plus en plus, comme aussi des directeurs de greffe et c’est une bonne chose. Ils ont de plus en plus de comptes Twitter. Cela permet de faire voir les différents aspects de la justice et pas seulement le pénal ».

Est-ce une communication libre ou institutionnalisée ? Quelle est la responsabilité pour le magistrat auteur des posts ?

« Mon compte Twitter date de 2013 et je n’ai pas demandé d’autorisation à ma hiérarchie pour le créer. A son arrivée au ministère de la justice, l’actuel garde des Sceaux Eric Dupond Moretti a incité les procureurs, par une circulaire de politique générale du 1er octobre 2020, à "développer davantage le recours aux moyens modernes de communication" et de plus en plus de procureurs de la République sont présents du Twitter.
Sur les affaires pénales, la communication des procureurs doit respecter l’article 11 du code de procédure pénale qui a été clarifié et étendu par la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021.

Sur tout le reste, la communication des procureurs est très libre mais il nous appartient évidemment d’être prudents car nous voulons particulièrement éviter de porter atteinte à notre institution que nous cherchons au contraire à mettre en valeur de manière positive par notre communication.

J’ai coutume de dire qu’il faut tourner 7 fois son doigt sur le clavier avant d’envoyer un message.
Notre responsabilité civile et pénale peut être engagée comme pour tout un chacun et une faute grave de communication pourrait bien sûr avoir aussi des répercussions sur la carrière du magistrat concerné voire disciplinaires ».

Quelle articulation avec l’article 11 alinéa 3 du Code de procédure pénale [2] ?

« L’article 11 du CPP récemment modifié permet aux procureurs de communiquer très largement sur les affaires pénales en cours. Nous veillons tous cependant au respect de la présomption d’innocence du mis en cause qui vaut jusqu’à condamnation définitive par une juridiction. Cela nous conduit par exemple à ne pas donner les noms des personnes concernées sauf si ces noms circulent déjà dans les médias. Nous sommes également attentifs au respect de la vie privée des personnes concernées par l’affaire, qu’elles soient mises en cause, victimes ou témoins. Là encore nous ne donnons généralement pas de noms et nous évitons aussi de révéler certains détails qui relèvent de l’intime.

S’agissant des affaires objets d’une instruction, ma pratique est de soumettre mon projet de communiqué au collègue juge d’instruction et de tenir compte de son avis. Cela permet d’éviter d’inutiles tensions entre le parquet et le siège.

Depuis 2015, j’étais alors procureur de la République de Cayenne, j’adresse mes communiqués de presse aux journalistes locaux et nationaux qui sont abonnés à mon compte WhatsApp. Ils sont 172 actuellement sur le compte "Procureur de Grenoble" ».

Selon vous, faudrait-il instaurer la fonction d’un magistrat dédié à la communication externe dans chaque Tribunal judiciaire ?

"La communication sur les affaires pénales en cours doit être réservée aux procureurs (...)."

« Pour ma part, je considère que la communication sur les affaires pénales en cours doit être réservée aux procureurs et que ces derniers devraient être aidés par des chargés de communication placés au niveau de la Cour d’appel ou au niveau des plus gros parquets.
Il a été décidé par le ministère de recourir aux prestations d’une agence de communication pour aider les procureur lors d’une communication de crise ; c’est un dispositif intéressant qu’il faudra expertiser après quelque temps.
A Grenoble, je dispose d’un chef de cabinet depuis un an et c’est un soutien précieux quand il faut, par exemple, organiser dans l’urgence une conférence de presse ».

Les Magistrats reçoivent-ils une formation spécifique quant à la communication ?

« Les relations entre les magistrats et les médias sont évoquées à l’Ecole Nationale de la Magistrature lors de la formation initiale. L’ENM propose aussi plusieurs formations à la communication au titre de la formation continue et je participe à certaines de ces formations, particulièrement sur l’usage des réseaux sociaux. J’explique alors la façon dont j’utilise Twitter, l’intérêt de cette communication mais aussi la prudence dont j’essaye de faire preuve

Aujourd’hui, tous les nouveaux procureurs sont formés à la communication. A Grenoble, j’incite mes collègues du parquet à se former et ensuite à pratiquer en communiquant sur les affaires dont ils sont chargés ».

Crédits photographiques : Affiches de Grenoble et du Dauphiné.

Interview d'Eric Vaillant réalisée par Marie Depay pour la Rédaction du Village de la Justice.

[1Lien vers le compte twitter d’Eric Vaillant : https://twitter.com/egajvpr.

[2Levée du secret de l’enquête et de l’instruction pour de éviter diffusion informations inexactes ou parcellaires.