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Indemnisation des dommages subis par un bien à la suite d’un sinistre sécheresse. Par Laura Ouaniche, Avocat.
Parution : lundi 2 mai 2022
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Ce guide pratique présente de manière concrète les actions essentielles que l’assuré devra mettre en œuvre pour obtenir la garantie de son assureur à la suite d’un sinistre causé par la sécheresse à son habitation.

L’indemnisation des sinistres consécutifs à des épisodes de sécheresse préoccupe de plus en plus les pouvoirs publics.

La Cour des comptes a publié le 15 février 2022 un rapport au titre évocateur : « Sols argileux et catastrophes naturelles : Des dommages en forte progression, un régime de prévention et d’indemnisation inadapté ».

Ce rapport a à nouveau mis en lumière les insuffisances du régime d’indemnisation des épisodes de sécheresses, toujours régi par la loi du 13 juillet 1982 [1] relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, malgré les améliorations apportées par la loi du 28 décembre 2021 visant notamment à sécuriser l’indemnisation et la prise en charge des sinistrés.

Pratiquement, de nombreuses compagnies d’assurances déclinent leur garantie et refusent d’indemniser, parfois abusivement, leurs assurés.

Cela se comprend aisément lorsqu’on sait que le coût moyen d’un sinistre sécheresse, estimé en moyenne à 16.300 euros et pouvant monter à plusieurs centaines de milliers d’euros, apparaît comme la plus élevée des garanties « dommages ».

Aussi, c’est un véritable combat que les victimes de sécheresse vont devoir mener pour obtenir la mise en jeu de la garantie « catastrophe naturelle ». Les assurés n’ont généralement pas les compétences techniques pour affronter l’assureur et son expert et se retrouvent bien souvent démunis face à cette situation. Il apparaît donc le plus souvent indispensable de s’adjoindre les services d’experts d’assurés, géotechniciens et avocats, de préférence habitués à travailler en équipe, pour gagner ce combat.

1. Définition du sinistre « sécheresse ».

Les sinistres consécutifs à des épisodes de sécheresse sont liés à un phénomène de retrait-gonflement des sols argileux, dit RGA.

Ce phénomène consiste en une succession de mouvements des sols argileux, du fait des variations de leur teneur en eau.

Ce n’est donc pas la sécheresse en elle-même qui est à l’origine du phénomène de retrait-gonflement des sols argileux, mais la succession d’épisodes de sécheresse et de réhumidification des sols.

Le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux (ci-après RGA) peut causer d’importants dégâts matériels sur les maisons individuelles.

Les sols argileux sont sensibles aux variations de teneur en eau et se comportent comme une éponge : en période sèche, ils se rétractent et, en période pluvieuse ou humide, lorsque l’apport en eau est important, ils gonflent. Ces fortes variations de teneur en eau dans le sol créent des mouvements de terrain.

Lorsque ces mouvements ont lieu sous les fondations d’une maison individuelle, ils peuvent entraîner des mouvements d’enfoncement non uniformes du sol, appelés tassements différentiels. Ces divers mouvements du sol conduisent à une déformation pouvant entraîner des fissurations, voire une rupture de la structure.

La loi du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles prévoit ainsi que :

« sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause l’intensité anormale d’un agent naturel lorsque les mesures habituelles à prendre pour éviter ces dommages n’ont pas pu empêcher leur survenance ou n’ont pas pu être prises ».

Cette loi prévoit ainsi que « sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause l’intensité anormale d’un agent naturel lorsque les mesures habituelles à prendre pour éviter ces dommages n’ont pas pu empêcher leur survenance ou n’ont pas pu être prises ».

2. La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.

Depuis plus de trente ans, ces phénomènes de retrait et gonflements des sols argileux sont reconnus comme constitutifs d’une catastrophe naturelle.

Cependant, cette reconnaissance doit faire l’objet d’un arrêté interministériel.

Il s’agit d’un préalable indispensable à une indemnisation de l’assuré.

La demande de reconnaissance « Cat Nat » est initiée par la commune. Le maire recense les dommages subis dans sa commune puis il transmet une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.

La commission interministérielle de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est chargée d’émettre un avis simple sur les demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dont elle est saisie. Elle se prononce sur le caractère d’intensité anormale de l’agent naturel. Lorsqu’elle rend un avis favorable, la déclaration d’état de catastrophe naturelle est prise par arrêté interministériel qui précise la période et les zones concernées par la catastrophe ainsi que les causes des dommages qui seront couvertes par la garantie Cat Nat.

3. Déclaration de sinistre.

Les victimes ont alors dix jours, à compter de la publication de l’arrêté constatant l’état de catastrophe naturelle au Journal Officiel, pour faire parvenir à leur compagnie d’assurance leur déclaration de sinistre et un état estimatif des dégâts ou de leurs pertes (30 jours pour les pertes d’exploitation).

Il convient de noter que même si le délai de dix jours n’est pas respecté, l’assuré ne perd pas son droit à garantie qui peut se poursuivre jusqu’à deux ans après la parution de l’arrêté, et cinq ans depuis la loi du 28 décembre 2021.En principe, les assureurs ont l’obligation d’indemniser les personnes sinistrées dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle leur a été remis l’état estimatif des dommages et pertes subies, ou bien, si elle est plus tardive, à compter de la date de publication de l’arrêté interministériel.

Mais la réalité est tout autre :

4. L’expertise amiable.

En pratique, la compagnie d’assurance va mandater un expert afin d’évaluer si l’intensité anormale du phénomène est bien « la cause déterminante » des dégâts.

Or, il arrive très fréquemment que l’expert mandaté déclare que les dégâts constatés n’ont pas pour cause déterminante le phénomène de RGA. Dans ce cas, le dossier est classé sans suite et les sinistrés ne sont pas indemnisés.

Il n’existe pas de chiffres officiels des dossiers classés sans suite transmis par les assureurs mais à n’en pas douter ils sont importants. Rappelons en effet que les experts d’assureurs vont classiquement refuser la garantie, notamment pour les motifs suivants, qui sont tous contestables :
- Mauvais entretien des canalisations,
- Présence de végétation à proximité de la construction,
- Causes structurelles liées au bâti.

De plus, en raison de la lenteur du phénomène de RGA (avec des mouvements de terrain qui peuvent s’étaler sur plusieurs mois ou années et des dégâts au début invisibles) imputer certains sinistres à telle ou telle année de sécheresse est délicat et rend difficile la détermination du lien de causalité entre l’intensité anormale du phénomène naturel et les dégâts observés. Ainsi, l’expert peut conclure que la sécheresse de l’année ou de la saison en question reconnue par l’arrêté Cat Nat n’est pas la cause déterminante des dégâts et donc refuser l’indemnisation.

Il arrive également que les assureurs refusent purement et simplement leur garantie en se dispensant de communiquer aux assurés les rapports d’expertises.

D’autres experts ne se déplacent même pas et prétendent faire leurs investigations par visioconférence.

On peut aussi observer en pratique une inertie certaine des compagnies d’assurance dans le traitement du dossier, ce qui leur permettra d’opposer à l’assuré la prescription biennale applicable en droit des assurances (rappelons que ce délai a enfin été porté à cinq ans depuis la loi du 28 décembre 2021).

Dans ces conditions, il est donc indispensable pour l’assuré de s’adjoindre les services d’une équipe, composée d’un expert, qui sera techniquement en mesure de remettre en question voire de contester les conclusions de l’expert de l’assureur, d’un avocat qui pourra l’accompagner dans ses démarches et interrompre utilement le délai de prescription et le plus souvent d’un géotechnicien pour étudier les sols afin d’identifier les causes géotechniques du sinistre.

5. Le chiffrage.

La jurisprudence retient que l’assureur doit une réparation « pérenne et durable ».

Or, il arrive fréquemment que l’indemnisation proposée soit insuffisante pour permettre une réparation pérenne et durable des désordres.

Là encore, l’intervention d’un expert d’assuré, accompagné d’un maître d’œuvre et d’un bureau d’étude technique s’avère indispensable pour protéger les intérêts de l’assuré.

Enfin, en cas de désaccord concernant le montant de l’indemnisation voire le principe même de la garantie, une action en justice menée par un avocat spécialisé devra être envisagée et permettre d’obtenir une indemnité pour réaliser les travaux de reprise.

Laura Ouaniche Avocat au Barreau de Paris [->lo@ouaniche-avocats.fr]

[1Articles L125-1 et suivants du Code des assurances.