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Vente immobilière et vices cachés : recours de l’acquéreur et défense du vendeur. Par Tsipora Cohen Ditchi, Avocat.
Parution : mardi 3 mai 2022
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L’achat ou la vente d’un bien immobilier est une décision importante qui engage les parties sur de nombreux plans.

Les mauvaises surprises ne sont malheureusement pas rares, même si les diagnostics sont aujourd’hui un atout considérable pour les éviter.

Parfois, malgré plusieurs visites attentives et des diagnostics impeccables, le bien peut révéler, après la signature de l’acte de vente, des défauts importants qui impactent fortement le quotidien et qu’on appelle vices cachés : fissures, humidité, infiltrations, mauvaises fondations, carrières souterraines, nuisances acoustiques, inondations, instabilité du terrain, etc.

Quels sont les recours pour l’acquéreur qui rencontre un vice caché après signature de l’acte de vente ? Comment obtenir une indemnisation de son préjudice ou revenir sur un engagement aussi fort qu’une vente immobilière ?

S’il arrive que le vendeur ait vendu en parfaite connaissance du vice caché, en le dissimulant volontairement aux acquéreurs, il peut aussi avoir été de bonne foi et vendu en ignorant son existence. Comment peut-il se défendre à une action en justice de l’acquéreur ?

Avant d’y répondre, intéressons-nous dans un premier temps aux conditions nécessaires à la garantie de vices cachés.

I. Les conditions de la garantie de vices cachés.

Les conditions inhérentes à la garantie des vices cachés sont déterminées par les dispositions du Code civil et notamment par l’article 1641 qui prévoit que : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus » et par l’article 1642 qui prévoit que : « Le vendeur n’est pas tenu des vices apparents et dont l’acheteur a pu se convaincre lui-même ».

1.1. La première condition, et la plus évidente, est que le vice doit avoir été caché à l’acquéreur, il ne devait pas être apparent au moment des visites et de l’achat. Concrètement, il faut que le vice ne puisse avoir été visible et découvert par un acheteur non professionnel de l’immobilier.

En effet, la jurisprudence considère qu’il ne peut être exigé d’un acheteur profane qu’il recoure aux services d’un spécialiste pour se convaincre de l’absence de vice de l’immeuble et qu’il n’est tenu que d’un examen "normal" du bien acquis, se limitant à celui que tout homme normalement soucieux de ses intérêts, mais dépourvu de compétences techniques particulières, pratiquerait [1].

A titre d’exemple, l’acquéreur d’une maison ou d’un appartement dont l’humidité est parfaitement visible sur les murs (tâches, moisissures etc.) ne pourra bénéficier de la garantie de vices cachés.

1.2. La seconde condition est que l’acquéreur n’ait pas été informé de l’existence du vice avant la vente, puisque dans le cas contraire, il est considéré comme avoir accepté ce vice et l’avoir intégré dans son consentement.

Ceci implique donc de lire scrupuleusement les diagnostics et bien évidemment l’acte de vente avant de prendre la décision d’acheter, puisque le vice peut être visé par ces documents.

Quant au vendeur, il lui est fortement conseillé d’insérer l’existence du vice dans le compromis et l’acte de vente, pour éviter toute difficulté.

Par exemple, en cas de présence de carrières souterraines, le diagnostic correspondant doit y faire obligatoirement référence, même si, en pratique, ce sont souvent les conséquences de ces carrières souterraines sur le bien immobilier, comme la nécessité d’avoir des fondations adaptées pour éviter les mouvements de terrain, et non les carrières en elle-même, qui peuvent constituer un vice caché.

1.3. Le vice en question doit être antérieur ou concomitant à la vente puisque le vendeur n’est pas tenu des désordres affectant le bien immobilier après la conclusion du contrat de vente.

Sur ce point, recourir à une expertise judiciaire peut se révéler très utile. En effet, les compétences d’un expert immobilier sont parfois nécessaires pour évaluer l’antériorité d’un vice, même si elle peut aussi se déduire de la date récente de l’achat et de l’absence d’habitation du logement par l’acquéreur.

1.4. Quatrième condition, le vice doit rendre le bien immobilier impropre à l’usage auquel on le destine ou diminuer fortement son usage. Cette condition implique que si l’acquéreur avait connu l’existence du vice, il n’aurait pas acheté le bien immobilier ou alors, à un prix inférieur.

Ont par exemple été jugés comme affectant l’usage du bien vendu ou le rendant impropre à sa destination :
- les désordres affectant la charpente d’une maison et notamment la présence du mérule découvert à l’occasion de travaux d’embellissement ;
- des fondations défectueuses rendant l’immeuble inhabitable ;
- le défaut de raccordement de la maison au réseau collectif d’assainissement ;
- le défaut d’étanchéité d’une terrasse.

1.5. Enfin, la dernière condition dépend de la présence ou non d’une clause d’exonération dans l’acte de vente, ce qui est le cas de manière quasi systématique.

L’article 1643 du Code civil permet en effet au vendeur non professionnel, de s’exonérer des vices cachés dont il ignorait l’existence.

En présence de cette clause, l’acquéreur doit donc, pour bénéficier de la garantie des vices cachés, apporter la preuve que le vendeur avait connaissance du vice affectant le bien au moment de la vente, ce qui peut se révéler très difficile en pratique.

Les juges s’attachent toutefois à déterminer, en s’aidant d’un faisceau d’indices, la bonne ou mauvaise foi du vendeur.

II. Les recours pour l’acquéreur.

Si toutes ces conditions sont remplies, l’acquéreur dispose de recours judiciaires, nécessitant un avocat spécialisé en droit immobilier.

2.1. L’acquéreur dispose d’un délai de deux ans à compter de la découverte du vice pour agir. Il lui est donc conseillé de le faire le plus rapidement possible.

Le plus souvent, l’acquéreur victime d’un vice caché doit faire constater les désordres par une expertise judiciaire. Il devra donc assigner en référé le vendeur devant le tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble, afin d’obtenir la désignation d’un expert.

L’expertise judiciaire permettra de faire constater l’étendue et la gravité des désordres, de reconnaître, le cas échéant, l’antériorité et le caractère caché du vice, de chiffrer le préjudice et le montant des travaux de remise en état nécessaires.

L’expertise peut également être utile pour faire reconnaître la connaissance du vice par le vendeur.

2.2. Une fois le rapport d’expertise vendu, et notamment si celui est particulièrement incriminant pour le vendeur, un accord peut être trouvé entre les parties.

A défaut d’accord, l’acquéreur doit assigner au fond le vendeur devant le tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble, dans un délai de deux ans suivant l’ordonnance de référé de désignation de l’expert.

L’acquéreur victime d’un vice caché peut demander l’annulation de la vente ou la réduction de son prix, pour financer les travaux de remise en état outre l’indemnisation de son préjudice.

2.3. L’acquéreur dispose également d’un recours contre l’agent immobilier intervenu dans la vente, ou encore le notaire rédacteur de l’acte de vente.

Il a par exemple été jugé que

« l’agent immobilier, professionnel de la vente, est tenu à l’égard des parties et notamment de l’acquéreur, d’une obligation d’information et de conseil ; que [...], l’information dont il est débiteur doit être complète, pertinente et adaptée aux caractéristiques de l’immeuble qu’il négocie ; que même s’il n’est pas un professionnel de la construction, il doit être en mesure d’identifier les risques existants ou potentiels importants, il doit attirer l’attention des parties sur ceux-ci et préconiser les démarches nécessaires » [2].

III. Les arguments de défense du vendeur.

Comment le vendeur peut-il se défendre à une action en garantie de vices cachés de l’acquéreur ? Quels sont les meilleurs axes de défense pour le vendeur ?

Le vendeur doit surtout s’attacher à démontrer que les conditions du vice caché ne sont pas remplies.

3.1. L’argument de défense le plus utilisé pour le vendeur est l’absence de connaissance du vice caché lors de la vente. Le vendeur doit démontrer sa bonne foi et prouver qu’il ignorait tout des désordres révélés sur le bien vendu.

Cet argument n’est toutefois opposable qu’en cas de présence d’une clause d’exonération dans l’acte de vente, et uniquement pour les vendeurs non professionnels.

Attention toutefois car la jurisprudence a tendance à élargir les caractéristiques du vendeur professionnel. Il a ainsi été jugé que des SCI patrimoniales sont bien des vendeurs professionnels, tout comme un vendeur ayant des compétences dans le domaine immobilier alors même qu’il vendait dans un but personnel.

Le vendeur peut également démontrer que le vice était apparent, et parfaitement visible lors de la vente. Ainsi, l’acquéreur aurait dû être plus vigilant et il est réputé avoir accepté ce vice. Il faudra appuyer sur la négligence de l’acquéreur.

Ces éléments peuvent dès le départ faire échec à la demande d’expertise judiciaire de l’acquéreur.

3.2. Toutefois, si l’expertise judiciaire est ordonnée, le vendeur doit faire en sorte, lors des réunions d’expertise et par la transmission de Dires, que l’Expert reconnaisse que le vice n’affecte pas l’usage du bien et ne le rend pas impropre à sa destination.

Par exemple, il a été reconnu que n’affectent pas l’usage du bien immobilier ou ne le rendent pas impropre à sa destination :
- la présence d’amiante dans des matériaux de la maison, en l’absence de danger pour ses occupants ;
- les nuisances sonores, au sein d’un appartenant, provenant de la machinerie de l’ascenseur ;
- le trouble d’exploitation qui a momentanément affecté l’usage du bien.

3.3. Le vendeur peut également mettre en cause les entreprises ayant réalisé des travaux qui peuvent avoir engendré des désordres sur le bien, ou encore, selon les circonstances l’agent immobilier qu’il avait mandaté pour la vente.

Tsipora Cohen Ditchi - Avocat au Barreau de Paris [->contact@cohen-ditchi-avocat.fr] https://cohen-ditchi-avocat.fr

[1Cf. Civ. 3, 9 nov. 2011 - n° 10-21.052.

[2Cf. Cour d’appel de Rouen, 1ère ch. civile, 5 octobre 2011, n° 10/03798 ; Cour de cassation, Civ. 3ème, 30 juin 2015, 14-11.377.

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