Village de la Justice www.village-justice.com

Délai de prescription du manquement à l’obligation d’information et de conseil d’un assureur envers son assuré. Par Gérard Daumas, Avocat.
Parution : vendredi 6 mai 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/delai-prescription-manquement-obligation-information-conseil-assureur-envers,42554.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par un récent arrêt du 10 mars 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que le délai de prescription d’une action en responsabilité pour manquement à l’obligation d’information et de conseil d’un assureur envers son assuré commence à courir au moment du refus de garantie opposé par l’assureur.

Apport de l’arrêt.

Rappel des faits et de la procédure

Le 15 avril 1997, une personne morale achète des plants fruitiers auprès d’un acquéreur spécialisé. Toutefois, dix ans plus tard, il constate une croissance anormalement faible dans son verger sur lesdits plants.

Un expert est d’abord désigné en référé et la société pépiniériste qui a vendu les plants est citée devant le Tribunal de grande instance. Celle-ci appelle son assureur en garantie, qui refuse l’indemnisation en 2008, aux motifs que le dommage n’entre pas dans les risques couverts par le contrat.

En 2012, la Cour d’appel d’Agen confirme le jugement de première instance mettant hors de cause l’assurance du vendeur, considérant que la garantie ne couvre pas le type de dommage.

La société pépiniériste agit alors contre son assurance en décembre 2014 et janvier 2015, en lui reprochant un manquement à son devoir d’information et de conseil lors du renouvellement du contrat d’assurance.

L’assureur est condamné en première instance mais le jugement est infirmé en appel.

La Cour d’appel déclare en effet l’action en responsabilité prescrite en estimant que le délai commençait à courir à compter du jour du refus de garantie par l’assureur, c’est-à-dire en 2008.

Dans son pourvoi en cassation, la société pépiniériste soutient que seule la décision de la Cour d’appel a fait courir le délai de prescription, puisqu’elle ne pouvait avoir une connaissance certaine du dommage avant cette décision.

Raisonnement de la Cour de cassation

La Cour de cassation fait une lecture de l’article 2224 du Code civil combiné avec l’article L110-4 du Code de commerce.

Elle considère que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité de l’assureur en raison d’un manquement à ses obligations d’information et de conseil doit débuter au moment de la connaissance par l’assuré du refus de garantie.

En l’espèce, l’assureur du pépiniériste a refusé la garantie en 2008, la prescription était donc acquise en 2013.

L’argumentation adverse reste néanmoins soutenable. En effet, l’on peut considérer que c’est seulement au moment où la condamnation de l’assuré est devenue définitive que ce dernier peut prendre conscience du dommage résultant du manquement à l’obligation d’information et de conseil. Selon cette position, l’assuré n’aurait avant la date de condamnation définitive que la connaissance d’une simple hypothèse de dommage.

La Cour de cassation préfère suivre la méthode déjà employée dans les arrêts du 5 janvier 2022 consistant à appliquer un seul point de départ pour des actions très différentes, qui doit être celui du jour où le titulaire du droit a eu connaissance des faits lui permettant de l’exercer.

Par cet arrêt du 10 mars 2022, la Cour de cassation entend apporter une certaine cohérence dans la détermination du point de départ de la prescription des actions en responsabilité.

Si les dates retenues par la Cour de cassation peuvent être divergentes, elles poursuivent le même objectif consistant à appliquer de manière raisonnée l’article 2224 du Code civil.

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation estime qu’il a y eu cristallisation de l’obligation d’information et de conseil à la date du refus de garantie par l’assureur, déclenchant ainsi le délai prescription.

Cette solution permet d’adapter le point de départ de la prescription à chaque situation par une interprétation dynamique de l’article 2224, tout en respectant la lettre et l’équilibre du texte.

Voir aussi :
- Civ. 2e, 10 février 2022, n°20-20.143 : au jour de la consolidation du dommage même quand le rapport d’expert n’en précise pas la date expressément ;
- Civ. 1ère, 5 janvier 2022, n°20-17.325 : le jour du premier incident de paiement pour le devoir de mise en garde de la caution ;
- Com., 9 février 2022, n°20-17.551 : le jour de la première assignation du vendeur victime de la violation de la promesse par le promettant.

Gérard Daumas, Avocat au Barreau de Marseille Cabinet Daumas Wilson