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Pluralité d’entretiens préalables et prescription. Par Elodie Decrop-Bossy, Juriste.
Parution : mardi 10 mai 2022
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Pour jongler avec les différents délais (incompressibles et impératifs) imposés par le Code du Travail, il convient d’être particulièrement habile et rigoureux. En effet, force est de constater que malgré une volonté de simplifier le droit du travail, les contraintes afférentes aux délais de procédure en font un droit résolument complexe.

En l’espèce, un arrêt récent en date du 06 avril dernier (pourvoi n°20-22.364) nous rappelle les règles afférentes au décompte du délai, imposées à l’employeur pour notifier sa décision de licencier, et notamment la date à laquelle celui-ci commence à courir.

Le contexte juridique.

Pour rappel, lorsqu’une procédure de licenciement pour faute est engagée, il convient de garder en tête deux « grands » délais de procédure :
- Sauf poursuites pénales, les faits fautifs se prescrivent par deux mois : faute d’engager les poursuites dans ce délai, l’employeur ne peut plus s’en prévaloir car ceux-ci sont prescrits [1]. Étant précisé que ce délai se calcule de quantième en quantième, pour expirer le dernier jour à minuit, et court à compter du jour où l’employeur ou le supérieur hiérarchique du salarié ont eu connaissance desdits faits fautifs ;
- La lettre de notification afférente à la décision de licencier doit être envoyée au salarié dans le délai d’un mois, à compter de la date de l’entretien préalable [2].

A défaut de respecter ces délais, le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découlent.

Les faits d’espèce.

Une salariée a été convoquée par son employeur dans le cadre d’un éventuel licenciement pour faute. L’entretien se déroule sans encombre le 11 mai 2015. Postérieurement, l’employeur est informé de nouveaux faits fautifs concernant cette même salariée.

Il la convoque donc à un second entretien, par courrier recommandé en date du 22 mai 2015. Cet entretien se tient le 03 juin 2015. Ainsi, entre le premier et le second entretien vingt-trois jours se sont écoulés.

L’employeur notifie finalement sa décision de licencier pour faute le 19 juin 2015, soit quinze jours après le dernier entretien.

La salariée saisit le Conseil de Prud’hommes aux fins de contester son licenciement : elle sollicite que celui-ci soit jugé sans cause réelle et sérieuse, et se prévaut notamment de la prescription des faits fautifs à l’origine de la première convocation, au motif que la décision de licencier est intervenue trop tardivement.

La Haute Juridiction confirme sa position jurisprudentielle.

Les premiers juges ont donné raison à la salariée estimant que le premier entretien préalable s’étant tenu le 11 mai 2015, par conséquent, la notification du licenciement aurait du intervenir au plus tard le 11 juin 2015. Les juges du fond concluaient ainsi que le délai d’un mois pour notifier sa décision étant incompressible, faute de l’avoir respecté, le licenciement prononcé était in fine sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles.

En effet, la Chambre Sociale a fait une application classique de l’article L1332-2 du Code du Travail et de sa jurisprudence antérieure. Les Hauts magistrats ont ainsi confirmé que dans le cas d’une révélation de nouveaux faits fautifs, postérieurement à la tenue d’un entretien préalable, l’employeur qui convoque le salarié à un second entretien, est tenu de notifier sa décision de licencier dans un délai d’un mois, lequel délai commence à courir à la date du second entretien.

Et si l’employeur avait organisé un second entretien pour une autre raison ?

Imaginons un autre cas de figure, où l’employeur convoque son salarié par courrier recommandé envoyé le 1er mars 2022. Il fixe la date de l’entretien préalable au 11 mars 2022, tenant compte des délais postaux parfois allongés dans sa région, et du délai légal à respecter, à savoir un minimum de cinq jours ouvrables entre la date de convocation et celle de l’entretien.

Le salarié ne se présente pas à l’entretien pour des raisons qui lui sont propres.

L’employeur, craignant l’irrégularité de sa procédure, le convoque à un second entretien, par courrier recommandé envoyé le 14 mars 2022. Le second entretien est fixé au 28 mars 2022.

Etant rappelé néanmoins que si sa première convocation était régulière, la procédure aurait pu valablement suivre son cours, quand bien même le salarié ne s’était pas présenté à l’entretien préalable.

L’employeur réfléchit longuement avant de se décider de licencier le salarié. Il notifie sa décision une quinzaine de jours plus tard, le 12 avril 2022.

Quid du point de départ du délai d’un mois pour licencier : celui-ci a-t-il commencé à courir à compter de la date du premier entretien (auquel cas la sanction est tardive, donc le licenciement sans cause réelle et sérieuse) ou à compter de la date du second entretien (auquel cas la notification est faite dans les délais) ?

La Cour de cassation juge de façon constante, à tort ou à raison, que lorsque le report de l’entretien ne résulte pas d’une demande exprimée par le salarié, le délai de notification d’un mois s’apprécie à compter de la date initialement fixée pour l’entretien préalable [3].

Employeurs, soyez donc vigilants...

Elodie Decrop-Bossy, Juriste

[1Article L1332-4 du Code du Travail.

[2Article L1332-2 du Code du Travail.

[3Voir en ce sens par exemple : Cass soc. 23 janvier 2013, pourvoi n° 11-22724 ; Cass soc. 17 avril 2019, pourvoi n° 17-31228 ; Cass soc. 27 novembre 2019, pourvoi n° 18-15195.

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