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7 millions d’euros d’amendes pour une concentration d’entreprises réalisée sans notification ni autorisation préalables.
Parution : lundi 9 mai 2022
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L’Autorité de la concurrence a sanctionné une entreprise d’une amende de 7 millions d’euros pour avoir réalisé sans notification et avant autorisation une opération de concentration, opération qualifiée d’effective lorsque, sans que la propriété des actifs soit transférée, l’acquéreur exerce néanmoins une influence déterminante sur tout ou partie des activités de la cible.

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Lorsqu’elles répondent à la définition qu’en donne l’article L. 430-1 du code de commerce et dépassent les seuils prévus à l’article L. 430-2, les opérations de concentrations d’entreprises sont soumises à la procédure de contrôle instaurée au I et au II de l’article L. 430-8 consistant dans l’exécution de deux obligations successives préalablement à la réalisation effective desdites opérations :
• d’une part une obligation de notification du projet de concentration à l’Autorité de la concurrence,
• d’autre part une obligation de suspension de la concentration jusqu’à son autorisation par l’ADLC.

Par décision du 12 avril 2022, l’Autorité sanctionne la violation de cette double obligation d’une amende de 7 millions d’euros. Cette décision confirme d’abord qu’une opération de concentration n’implique pas nécessairement un transfert d’actifs, précise ensuite les éléments constitutifs d’une concentration sans transfert d’actifs et affirme enfin l’obligation de comportement autonome des parties jusqu’à autorisation de la concentration.

Une opération de concentration n’implique pas nécessairement un transfert d’actifs

De la pratique décisionnelle constante de l’Autorité de la concurrence relative à l’interprétation des dispositions de l’article L. 430-1 du code de commerce concernant la notion de concentration, il ressort qu’une opération de concentration d’entreprises n’implique pas nécessairement le transfert à l’entreprise initiatrice de la propriété de tout ou partie des actifs de l’entreprise cible et des droits qui y sont attachés. Elle peut simplement consister dans le pouvoir de la première d’exercer de manière durable une influence déterminante sur tout ou partie des activités de la seconde. Dans ce dernier cas, l’Autorité considère que la concentration est effectivement réalisée dès l’acquisition de ce pouvoir par l’entreprise initiatrice, sans que la propriété des actifs ne soit transférée, ou avant même le transfert de ces actifs.

Les éléments constitutifs d’une opération de concentration sans transfert d’actifs.

En l’espèce, la concentration en cause s’est réalisée de facto au terme d’un processus révélateur de l’acquisition du pouvoir de l’entreprise initiatrice d’exercer une influence déterminante sur l’entreprise cible. L’ADLC relève que cette influence est susceptible de se déduire d’un ensemble de circonstances de droit et de fait appréciées selon la méthode du faisceau d’indices, circonstances dont les principales sont :

• la position significative de l’initiatrice au capital de la cible : l’initiatrice est devenue le premier actionnaire de la cible en termes de capital comme de droits de vote détenus, contrôlant 29,47% du capital de cette dernière, le reste de l’actionnariat restant dispersé et purement financier en majorité, l’initiatrice ayant ainsi la quasi-certitude de voir approuver les décisions stratégiques pour lesquelles elle votait lors des assemblées générales. En conséquence de cette détention capitalistique, l’initiatrice a acquis une place croissante au sein du conseil d’administration de la cible allant jusqu’à y compter trois administrateurs ;

• les échanges d’informations sensibles entre l’initiatrice et la cible : les administrateurs de l’initiatrice avaient accès en cette qualité à des informations budgétaires et commerciales détaillées comprenant des données prévisionnelles et, en méconnaissance des dispositions du règlement intérieur de la cible, ils se sont abstenus de quitter les séances du conseil d’administration de cette dernière lors de la discussion d’informations sensibles qu’ils ont communiquées à leurs propres collaborateurs. Les représentants de l’initiatrice ont en outre eu accès à des informations concernant la cible par le biais de contacts privilégiés avec le président de son conseil d’administration, avec des administrateurs indépendants ou encore avec des directeurs généraux successifs. Par ailleurs, les parties n’ont pas respecté leur engagement de faire retraiter par leur propre « clean team » les informations sensibles susceptibles d’être transmises de l’une à l’autre. Cet accès privilégié à des informations détaillées et régulières a permis à l’entreprise initiatrice d’effectuer un suivi étroit de l’intégralité de la cible et d’interférer dans certaines prises de décisions relatives notamment à la politique commerciale et au marketing ;

• l’existence de relations commerciales et financières étroites entre l’initiatrice et la cible : l’initiatrice est devenue l’un des principaux fournisseurs de la cible, lui a consenti un important crédit fournisseur, une avance en compte courant d’actionnaire d’un montant de 7,5 millions d’euros alors qu’elle était confrontée à des difficultés financières, et lui a apporté un soutien financier tandis qu’elle cherchait à recouvrer une créance d’un montant nominal de 25 millions d’euros auprès d’une banque, soutien financier qui a pesé dans les négociations visant à confier à une filiale de l’initiatrice la distribution des produits de la cible en Espagne ;

• l’intervention directe de l’initiatrice dans le choix du dirigeant de la cible : cette intervention s’est manifestée principalement par la proposition du président du conseil d’administration de la cible aux trois administrateurs représentant l’initiatrice de choisir le dirigeant de la cible parmi une liste de candidats pré-sélectionnés par lui-même et par deux autres administrateurs indépendants, le président du conseil d’administration de l’initiatrice ayant concomitamment rencontré les candidats pré-sélectionnés ;

• le contrôle par l’initiatrice de la politique commerciale et budgétaire de la cible : l’initiatrice s’est investie directement dans la prise de décisions stratégiques de la cible par la négociation directe d’un contrat avec son principal fournisseur et son implication dans l’élaboration du plan à trois ans de cette dernière ;

• l’immixtion de l’initiatrice dans la gestion opérationnelle de la cible : à ce titre, l’initiatrice est intervenue à maintes reprises sur un large spectre de thématiques, notamment par les conseils du vice-président de son directoire au président du conseil d’administration de la cible concernant la commercialisation d’un nouvel emballage à destination de la Pologne, ou par les instructions du président du même directoire au cadre responsable dans la cible des relations avec les investisseurs.

L’ensemble des circonstances précédentes forment un faisceau d’indices révélateurs de l’influence déterminante exercée par l’entreprise initiatrice sur l’entreprise cible, influence constitutive en elle-même d’une concentration réalisée sans transfert d’actifs avant d’être notifiée à l’ADLC et autorisée par elle.

L’obligation de comportement autonome des parties jusqu’à autorisation de la concentration

Sauf à bénéficier de la dérogation prévue au II de l’article L. 430-4 du code de commerce accordée par l’Autorité après notification de leur projet de concentration, les parties doivent suspendre ce projet, en d’autres termes faire preuve d’un comportement autonome jusqu’à autorisation de celle-ci.
Pour mémoire, l’article L. 430-4,II du code de commerce prévoit qu’en cas de nécessité particulière dûment motivée, les parties qui ont procédé à la notification peuvent demander à l’Autorité de la concurrence une dérogation leur permettant de procéder à la réalisation effective de tout ou partie de la concentration sans attendre l’accord de l’Autorité et sans préjudice de cet accord, cette dérogation pouvant être assortie de conditions.

En l’espèce, n’ayant pas été autorisée à procéder à la réalisation effective de la concentration dans les conditions de l’article L. 430-4, II, l’entreprise initiatrice aurait dû s’abstenir de se comporter comme si elle formait avec la cible une entité unique dont elle était de facto le dirigeant. Elle a au contraire accumulé la série de comportements précités manifestant la volonté délibérée de procéder à la réalisation effective de la concentration sans notification ni autorisation préalable et exprimé par là même un mépris évident des règles de concurrence.

Ce double manquement aux obligations de notification et d’autorisation préalables constitue par nature une infraction grave à l’ordre public économique dans la mesure où il prive l’Autorité de la possibilité effective de contrôler, comme le prévoit le code de commerce, un projet de concentration préalablement à sa réalisation, et ce, quels que puissent être les effets possibles de l’opération projetée sur la concurrence.

C’est pourquoi l’Autorité a sanctionné d’une amende d’un montant global de 7 millions d’euros les deux infractions définies au I et au II de l’article L. 430-8 du code de commerce relatifs respectivement à l’obligation de notification et à l’obligation d’autorisation préalables sans démontrer que la concentration avait des effets anticoncurrentiels.

En conclusion on relèvera qu’après avoir été notifiée, la concentration en cause a été autorisée par l’Autorité sous réserve d’engagements pris par l’entreprise initiatrice relatifs à des cessions de marques afin d’écarter les risques concurrentiels sur les marchés considérés, ce qui révèle par ailleurs que la double infraction commise a permis à la concentration de produire des effets anticoncurrentiels dont l’ADLC a tenu compte dans la fixation de l’amende prononcée.

Max Vague, Docteur en droit, Maître de conférence des universités, Avocat

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