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Profil LinkedIn devant le juge : appel à la vigilance des salariés. Par Françoise de Saint Sernin, Avocate.
Parution : jeudi 12 mai 2022
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Dans une affaire récente du 30 mars 2022, la Cour de cassation (Cass. soc., 30 mars 2022, n° 20-21.665) admet qu’un extrait du profil LinkedIn d’un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse puisse être produit par son ex-employeur pour limiter le montant des dommages et intérêts qu’il doit lui verser.

Un nouvel emploi un mois après son licenciement.

En l’espèce, une salariée a été licenciée pour insuffisance professionnelle le 10 septembre 2014, soit avant l’application du barème Macron [1]. Elle justifiait d’une ancienneté d’à peine un an et elle a décidé de contester son licenciement devant la juridiction prud’homale.

La Cour d’appel de Versailles s’est prononcée en faveur de la salariée licenciée en reconnaissant que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse mais en fixant son indemnisation à 10 000 euros.

Pour limiter l’indemnisation de son préjudice, les juges ont en effet pris en compte le profil LinkedIn de la salariée versé aux débats par l’employeur selon lequel elle aurait retrouvé un nouvel emploi un mois après son licenciement.

Une mauvaise interprétation du profil LinkedIn !

Très justement, la salariée a contesté devant la Cour de Cassation la limitation du montant de ses dommages et intérêts alors que son licenciement avait été requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. La salariée avait versé aux débats une attestation délivrée par Pôle emploi de ses périodes d’inscription en continu comme demandeur d’emploi du 19 novembre 2014 au 18 mars 2018 et l’attestation Pôle emploi établie par l’employeur mentionnant qu’elle avait effectué son préavis du 12 septembre au 10 novembre 2014.

Après vérification des faits, la Cour de cassation a jugé que l’analyse relative aux éléments rapportés sur LinkedIn était erronée. En effet, la salariée n’avait pas retrouvé un emploi mais réalisé une étude et effectué des démarches en vue de la reprise d’une entreprise. Les mentions publiées par la salariée faisaient état de :

« négociations commerciales et promesses d’achat avec les cédants, études des bilans comptables, études de marché, réalisation du business plan, dépôt et présentation du projet auprès des organismes bancaires ».

Au regard de cette analyse, il a donc été constaté que la Cour d’appel avait dénaturé le contenu des preuves LinkedIn. Rappelons que la preuve, en droit du travail est libre et peut en principe être rapportée par tous moyens à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à la vie privée.

Une décision préoccupante : personne ne va indiquer sur LinkedIn qu’il est au chômage !

En l’occurrence, si la salariée a gagné, c’est parce que son profil LinkedIn reflétait la réalité de sa situation, soit une occupation plutôt qu’un nouvel emploi. Mais que se serait-il passé si elle avait enjolivé son profil en ligne, mentionnant une activité professionnelle en réalité inexistante ? Face à ce mensonge, la production des relevés pôle emploi démontrant que la salariée était en réalité au chômage n’aurait sans doute pas été prise en compte.

Or LinkedIn est le réseau social qui permet aux personnes en recherche d’emploi de se positionner professionnellement et ainsi d’attirer des recruteurs, mais à la condition surtout de ne pas apparaître comme demandeur d’emploi. La Cour de Cassation aurait dû préciser que l’on ne peut pas se fier à un profil LinkedIn qui par définition est une vitrine pour le salarié qui cherche un emploi et que ce sont les éléments concernant sa véritable situation, relevés pole emploi ou autres justificatifs de revenus qui doivent être pris en compte pour l’évaluation du préjudice résultant du licenciement abusif

Que retenir de cette décision ?

La preuve provenant d’un profil public sur LinkedIn peut être finalement recevable.

Les salariés ont donc tout intérêt à prendre en compte cette jurisprudence quand ils publient sur les réseaux sociaux alors qu’ils sont en conflit avec leur ancien employeur [2].

Présentation flatteuse oui - mensonge caractérisé non. Ils doivent conserver les éléments qui leur permettront de justifier de leur véritable situation à l’époque.

Françoise de Saint sernin Avocate en droit du travail SCP Saint Sernin [->www.saintsernin-avocats.com]