Village de la Justice www.village-justice.com

L’avocat mandataire sportif, un beau projet mort-né. Par Philippe Lefèvre, Avocat.
Parution : lundi 16 mai 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/avocat-mandataire-sportif-beau-projet-mort-par-philippe-lefevre-avocat,42654.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans la perspective bien justifiée de permettre aux avocats d’élargir leurs offres de compétences, et pour répondre au développement de l’activité économique, il a été envisagé de leur permettre d’exercer des activités dites dérogatoires en complément de l’activité d’avocat pour autant que l’activité dérogatoire le soit à titre accessoire...
Voici la réponse de la Cour d’appel de Paris en date du 14 octobre 2021 [1].

C’est ainsi que l’avocat a pu devenir un mandataire sportif autorisé par la Loi du 28 mars 2011, insérée à l’article 6 Ter de la Loi d’origine du 31 décembre 1971.

La Loi du 06 août 2015 dite « la Loi Macron » a quant à elle, ouvert aux avocats la possibilité d’exercer des activités commerciales accessoires dites « activités dérogatoires » en modifiant la Loi.

La définition du mandataire sportif donné par le texte correspond à la définition suivante : « les avocats peuvent dans le cadre de la réglementation qui leur est propre représenter, en qualité de mandataire, l’une des parties intéressées à la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L 222-7 du Code du Sport ».

Il n’existe à la lecture de la Loi, aucune restriction à la nature de l’activité susceptible d’être exercée par le mandataire dont notamment la mise en relation du sportif et du club susceptible de l’accueillir.

Le Barreau de Paris en avance comme souvent, a transposé le texte législatif dans son règlement intérieur en prévoyant à l’article P.6.3.0.3 la possibilité pour l’avocat de « … en qualité de mandataire sportif exercer l’activité consistant à mettre en rapport contre rémunération les parties intéressées à la conclusion d’un contrat, soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement n’est pas incompatible avec l’exercice de la profession d’avocat ».

De fait, le Barreau de Paris a simplement prévu dans son règlement intérieur, ce qui était autorisé par la Loi, et a ouvert aux avocats, à l’instar de l’enquête, de l’activité immobilière, du mandat d’artistes, la possibilité de s’immiscer dans la relation sportive.

Ce faisant, la décision de la Cour d’appel de Paris du 14 octobre 2021 [2] allait permettre aux avocats de se placer, en quelque sorte, en concurrence avec les agents sportifs, qui eux-mêmes, bénéficient d’un statut légal et doivent répondre à certaines obligations.

La concurrence étant la règle, rien ne permet de réserver l’exclusivité de la mise en relation dans le domaine sportif aux seuls agents.

La décision des avocats allait cependant déclencher une vive réaction tout d’abord des agents, ce qui peut se comprendre, mais également et fort curieusement, des instances sportives les plus hautes puisque deux Fédération Nationales et non des moindres, la Fédération Française de Football et la Fédération Française du Rugby, de même que le tout puissant CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français) jusqu’à intervenir dans cette affaire au soutien des agents.

Pour des raisons difficiles à comprendre, pour le soussigné, au stade de son information, le recours contre la délibération des avocats Parisiens, a été intenté à l’initiative du Parquet Général.

Autrement dit, le Ministère Public a considéré que le fait par les avocats de revendiquer ce que la Loi leur permettait n’était finalement pas ce qu’il aurait fallu comprendre.

C’est un premier stade de réflexion et une interrogation.

A cette procédure, se sont joints comme écrit ci-dessus, les deux Fédérations concernées ainsi que le CNOSF.

Pour quelles raisons ?

Quel est l’intérêt des Fédérations les plus puissantes de France et du Comité National Olympique et Sportif Français de soutenir la démarche des agents et du Ministère Public ?

Il a bien été tenté de contester à ces personnes morales l’intérêt à agir mais la Cour d’Appel de Paris, dans son Arrêt critiquable du 14 octobre 2021, a considéré qu’il en allait de l’intérêt supérieur du sport et que des Fédérations ainsi que le CNOSF avaient vocation à faire que chacun reste bien chez soi.

La Cour a estimé leurs interventions recevables.

Sur le fond, la Cour d’Appel de Paris a excipé de deux arguments :

- La mise en relation serait une activité commerciale, ce qui n’est contesté par personne ;
- L’avocat ne pourrait être rémunéré que par son client, ce qui n’est également contesté par personne sauf que, dans la pratique, le sportif délègue le paiement à son employeur qui le taxe à titre d’avance sur salaire et qui paie pour compte du joueur le bénéficiaire.

Dans cette opération, c’est bien le joueur qui paie in fine.

Ce mécanisme est celui prévu par l’article 1984 du Code Civil.

Autrement dit, la Cour d’Appel de Paris affirme :
- Que la mise en relation est une activité commerciale par nature principale, pourquoi ?
- Que l’avocat doit être payé par son client, ce qui est évidemment le cas dans le mécanisme décrit au visa de l’article 1984.

L’avocat peut très bien exercer son activité de mandataire sportif à titre accessoire, et il reste évidemment à contrôler, au cas par cas, le caractère accessoire de l’activité de l’avocat qui serait concerné.

Sur le sujet de l’exercice de l’activité, la Cour considère en affirmant, finalement gratuitement : « Il découle (du dispositif légal et règlementaire) de ses dispositions que l’activité commerciale exercée par un avocat ne peut qu’être une activité accessoire à son activité principale de conseil, d’assistance et de représentation ».

Tout le monde sera d’accord.

La Cour ajoute : « Or, la mise en relation des joueurs et des clubs constitue une mission principale ».

On se demande bien pourquoi ?

Aucune réponse n’est apportée.

Devra-t-on entendre les mêmes arguments lorsqu’il s’agira d’évoquer les avocats agents d’artistes, des avocats agents immobiliers, les avocats enquêteurs, etc… ?

Il serait logique et légitime que ce mécanisme de description de l’activité principale « tombée du ciel » soit la même pour tous.

J’en douterai personnellement.

On pourrait avancer d’autres explications à caractère moins juridique.

Il faut savoir que le montant des commissions versées en France, aux agents, au titre de la saison 2019/2020 aura été de 130 millions d’euros.

Ce volume d’affaires a réalisé avec très peu d’intermédiaires puisque les principaux clubs acquéreurs se comptent peut-être sur les doigts d’une seule main tandis que les vendeurs et spécialistes du « trading » sont légions.

C’est dire aussi que le nombre d’intermédiaires est restreint même si chacun sait qu’il y a autant de faux intermédiaires que de véritables.

De ce point de vue, je ne ferai pas la critique aux agents de défendre leurs intérêts.

Après tout, ils en ont parfaitement le droit et il appartient à ceux qui jugent d’appliquer et de faire appliquer la Loi.

Ce qui est beaucoup moins compréhensible, c’est l’empressement des Fédérations et du CNOSF de se porter au secours des agents.

Quelle est la motivation au fond de ces institutions qui auraient tout à gagner de l’introduction des avocats dans le système avec une garantie à minima de la moralisation des affaires, les avocats étant tenus quant à eux, par des obligations déontologiques impératives.

Nous n’irons pas jusqu’à penser, loin de nous ce procès d’intention, que l’on ne veuille pas introduire les avocats, indépendants et rétifs par nature, dans le monde de l’entre-soi sportif.

La question demeure posée néanmoins au regard de la nature et de la structure de la décision rendue ainsi que du comportement des Fédérations considérées.

Plus généralement, il faut savoir que les instances supérieures du Football, au niveau Mondial et Européen envisagent très sérieusement une modification assez sensible du régime de l’intermédiaire, réforme dans laquelle, l’avocat mandataire sportif trouvera peut-être sa place ce dont on peut douter.

Nos instances professionnelles pourraient, s’inscrivant dans une perspective dynamique de l’exercice de l’activité, faisant de la déontologie professionnelle un argument concurrentiel, développer les notions de rémunération de l’apport d’affaires ainsi que du partage d’honoraires.

En l’état et dans l’immédiat, l’avocat mandataire sportif reste et demeure… avocat.

Philippe LEFEVRE, Avocat http://www.25ruegounod.fr/

[1CA Paris, Pôle 4 chambre 13, 14 octobre 2021, N° 20/11621

[2CA Paris, Pôle 4 chambre 13, 14 octobre 2021, N° 20/11621

Comentaires: