Village de la Justice www.village-justice.com

[Point de vue] Le barème Macron validé par la Cour de cassation. Par Susana Lopes Dos Santos, Avocate.
Parution : mercredi 18 mai 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/bareme-macron-valide-par-cour-cassation,42671.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par deux arrêts du 11 mai 2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation valide le Barème Macron mais le combat continue.
Cass. Soc. 11/05/2022, pourvois n° n°21-14.490 et n° 21-15247, publiés au bulletin.

1. Rappel du contexte et des questions posées à la Cour de cassation.

Les ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017 ont, entre-autre, modifié l’article L1235-3 du Code du travail qui prévoyait jusqu’alors une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au moins égale aux salaires bruts des six derniers mois, sans fixer de plafonnement à l’indemnisation du salarié victime d’un licenciement injustifié.
Désormais, pour les licenciements notifiés après le 23 septembre 2017 qui sont jugés sans cause réelle et sérieuse, la condamnation, à la charge de l’employeur, consiste dans une indemnisation comprise entre des montants minimaux et maximaux fixés par un barème variant en fonction du salaire brut et de l’ancienneté du salarié.
Pour le législateur, l’objectif de la réforme est de rendre prévisible l’indemnisation en cas de licenciement abusif et d’offrir, en particulier à l’employeur, une « sécurité juridique ».
Le barème « Macron » a suscité une très vive opposition des syndicats de salariés, et avant même son entrée en vigueur, en raison du plafonnement des indemnisations qu’il instaure (entre un et vingt mois de salaire brut, en fonction de l’ancienneté). Le législateur a toutefois exclu du plafonnement les dommages et intérêts dus en cas de licenciement nul par exemple pour harcèlement ou discrimination [1].
Par une communication en date du 31 janvier 2017, la Confédération Générale du Travail (CGT) et la Confédération Générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO), se référant à l’article 24 de la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, ont présenté au Bureau de l’OIT une réclamation alléguant que le gouvernement de la France n’a pas respecté la convention n° 158 de l’OIT sur le licenciement [2]. Ce recours n’a pas encore été tranché.

Ainsi, depuis cinq ans, les contestations portant sur la conformité ou non du Barème « Macron » aux normes de droit international se succèdent et concernent notamment les points suivants :
- Est-il conforme à l’article 10 de de la convention n°158 de l’organisation internationale du travail (OIT) qui prévoit qu’en cas de licenciement injustifié le juge puisse ordonner le versement d’une indemnité « adéquate » au salarié ?
La critique des défenseurs des salariés porte tout particulièrement sur la faiblesse des plafonds d’indemnisation de l’article L1235-3 du code du travail pour les salariés ayant peu d’ancienneté alors même qu’ils viendraient à connaître une période d’inactivité professionnelle significative.
- Est-il conforme à l’article 24 de la charte sociale européenne adoptée par les Etats membres du Conseil de l’Europe selon lequel « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître : a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » et ce texte est-il d’application directe dans le droit du travail français et subséquemment cet article 24 a-t-il un effet direct en droit interne dans les litiges entre particuliers pour leur accorder un droit ?
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation avait déjà rendu, le 17 juillet 2019, des avis favorables au barème, mais ces avis ne la liaient pas, ni non plus l’ensemble des juges du fond.
Ainsi, de nombreux conseils de prud’hommes et plusieurs cours d’appel avaient décidé d’entrer en résistance, et ce faisant de s’affranchir de l’application du barème notamment, pour certaines d’entre elles, en considérant que, sans remettre en cause la conventionnalité du barème lui-même, il était possible apprécier « in concreto » (c’est-à-dire de manière concrète au regard de chaque situation particulière) si l’indemnité plafonnée prévue par le barème était « adéquate ». Des indemnisations plus élevées ont ainsi été allouées au cas par cas à des salariés justifiant de préjudices particuliers et importants qui n’auraient pas été indemnisés de manière adéquate par l’application du montant plafonné fixé au regard de leur ancienneté.
Les premiers arrêts de la Cour de cassation étaient donc très attendus compte tenu notamment de la variabilité des décisions rendues par les juges du fond.
C’est dans ce contexte de bataille juridique et judiciaire que la Chambre sociale de la Cour de cassation, siégeant en formation plénière le 31 mars 2022, a examiné, pour la première fois, des pourvois formés dans quatre affaires. Elle a tranché par deux arrêts du 11 mai 2022.
D’ailleurs, pour souligner l’importance de ses deux décisions appelées à une large diffusion médiatique et qui bien évidemment seront publiées au bulletin et figureront dans son rapport annuel (mention FP-B+R portés sur les arrêts), la Cour de cassation a tenu à les accompagner d’une note explicative de sa motivation. Note publiée le 11 mai 2022 sur son site internet.

2. Que disent les deux arrêts du 11 mai 2022 ?

2.1 Dans le premier arrêt (pourvoi n°21-14.490), qui statue sur un pourvoi en cassation formé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 mars 2021, une salariée, âgée de 53 ans, qui comptait à peine plus de 4 ans d’ancienneté, a obtenu de la Cour, qui a estimé pouvoir procéder à une appréciation de conventionnalité in concreto de son préjudice, une indemnisation supérieure au barème Macron.
Selon l’arrêt, la somme prévue par le barème « couvrait à peine la moitié du préjudice » réellement subi par la salariée.
La Cour de cassation casse l’arrêt et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Versailles, concluant que :

« les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la convention n°158 de OIT » et que « En statuant ainsi alors qu’il lui appartenait d’apprécier la situation concrète de la salariée et de déterminer le montant de l’indemnisation due entre les montants minimaux et maximaux (du barème) la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Ainsi, tout d’abord la Cour de cassation confirme l’effet direct en droit interne de la convention n°158 de l’OIT (les salariés peuvent donc effectivement l’invoquer lors de procédures judiciaires).

Puis elle juge le barème conforme au principe de réparation adéquate fixée par l’article 10 de cette même convention, en motivant notamment sa décision par le fait que :

« (les dispositions des articles L1235-3, L1235-3-1 et L1235-4 du Code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT. Il n’y a donc pas d’inconventionnalité de l’article L1235-3 du code du travail au regard de ce texte ».

Enfin, la Cour de cassation écarte, très clairement, toute possibilité de contrôle de conventionnalité in concreto par les juges du fond au motif que celui-ci serait contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi, reconnu par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et des Citoyens de 1789 (cf. également sa note explicative qui mentionne notamment qu’un tel contrôle « pourrait laisser place, selon les cas d’espèce, à une très grande variété de solutions que la chambre sociale ne pourrait que difficilement contrôler, compromettant ainsi le principe de sécurité juridique (…) ».

Ainsi, la Cour de cassation estime au final que le barème fixé par l’article L.1235-3 du code du travail peut « raisonnablement » permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi, et que les juges français doivent donc se contenter de fixer l’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse dans la limite, intangible selon elle, du plafond.

2.2 - Dans son second arrêt (pourvoi n° 21-15247), une salariée, qui comptait un peu plus 36 ans d’ancienneté à la date de son licenciement pour motif économique survenu le 13 octobre 2017, a soulevé l’inconventionnalité du barème de l’article L1235-3 du Code du travail devant le conseil de prud’hommes (elle perd) puis devant la Cour d’appel de Nancy, qui par arrêt du 15 février 2021, juge que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct en droit interne entre particuliers et qu’il convenait en conséquence d’allouer en conséquence à la salariée une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux du barème de l’article L1235-3 du Code du travail.

En conséquence, la Cour d’appel a limité le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 48 000 euros. La Cour de cassation rejette le pourvoi de la salariée, estimant, comme la Cour d’appel que i) la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct en droit français dans un litige entre particuliers et ii) que l’invocation de son article 24 ne pouvait conduire à écarter les dispositions de l’article L1235-3 du Code du travail.
En conclusion, pour la Cour de cassation c’est donc le barème et rien que le barème, en dehors des cas de nullités visées par l’article L1235-3-1 du Code du travail.

3. Le débat sur le barème Macron est-il définitivement clos par ces deux décisions ?

Ces décisions constituent bien évidemment une terrible déception pour les salariés concernés par les affaires commentées mais également pour ceux qui défendent les salariés au quotidien notamment devant les juridictions prud’homales et devant les cours d’appel (avocats de salariés, défenseurs syndicaux etc…) et tentent d’obtenir une indemnisation adéquate lorsque les préjudices réels sont bien plus significatifs que ce qu’autorise le barème Macron et l’article L1235-3 du Code du travail. On pense par exemple à la situation des salariés seniors et tout particulièrement à ceux ayant une présence de quelques années dans l’entreprise qui les a licenciés mais qui subissent un préjudice sans commune mesure avec l’ancienneté acquise puisque les perspectives de réinsertion professionnelle au-delà de 55 ans sont généralement fortement réduites, voire pour certains inexistantes, sans compter l’impact sur leur future pension de retraite notamment. Un certain nombre de ces personnes ne retrouvent malheureusement pas d’activité professionnelle et perçoivent alors, dans le meilleur des cas, des allocations chômage pendant 36 mois (ou jusqu’à leur départ en retraite dans certains cas). Il y a donc là une disproportion entre l’indemnité perçue au titre du barème et la réalité des préjudices subis (ainsi par exemple un salarié ayant entre 4 et 5 ans d’ancienneté ne pourra percevoir qu’entre 3 et 5 mois de salaires ; le pouvoir d’appréciation des préjudices par les juges du fond devient quasiment inexistant…). Or, ce que vise l’article 10 de la convention n°58 de l’OIT c’est que soit assurée une protection suffisante des personnes injustement licenciées et que soit versée dans tous les cas une indemnité adéquate.

L’une des conséquences les plus choquante des deux décisions du 11 mai 2022, réside dans le fait qu’alors même qu’ils ne disposeront pas de motifs réels et sérieux de licenciement, certains employeurs pourront provisionner en toute connaissance de cause le coût, très limité, de licenciements dont ils sauront qu’ils sont abusifs, mais en se disant que, les juges ne pourront pas faire autrement qu’appliquer le barème Macron…

De plus, la démonstration de la Cour, pour justifier d’une réparation « raisonnable » offerte par le barème et donc de sa conformité à la convention n°158 de l’OIT, est à plusieurs égards frustrante, voire même peu compréhensible juridiquement (comme par exemple, l’assimilation de deux régimes de réparation pourtant distincts : celui du licenciement nul et celui du licenciement sans cause réelle et sérieuse).

De même, affirmer comme le fait la Cour de cassation dans son arrêt n°21-15247 que « le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application d’office par le juge des dispositions précitées de l’article 1235-4 du Code du travail » laisse à tout le moins songeur…
Outre le fait que cette sanction complémentaire, qui consiste à exiger de l’employeur ayant licencié un salarié sans cause réelle et sérieuse, qu’il rembourse à Pôle Emploi jusqu’à 6 mois d’allocation chômage, n’a jamais été dissuasive alors qu’elle existait bien avant les ordonnances Macron, les sommes payées réparent le préjudice subi par Pôle Emploi sans contribuer en rien à l’indemnisation du salarié.

La déception est d’autant plus grande s’agissant du refus de la Cour de cassation d’admettre tout contrôle de la conventionnalité in concreto du barème au regard de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT que la première avocate générale siégeant le 31 mars 2022 penchait en faveur d’une telle interprétation.
Elle proposait ainsi à la Cour de cassation, si elle tranchait favorablement en ce sens, de prévoir alors des critères d’appréciation (on peut penser à la situation de famille, à la période d’inactivité etc.) sur lesquels elle aurait pu exercer un contrôle de qualification et de proportionnalité. Les explications de la Cour de Cassation dans la note du 11 mai 2022 montrent qu’au détriment de l’examen de la situation individuelle des salariés licenciés, elle a voulu privilégier « le principe de sécurité juridique » et « la volonté du législateur (…) d’offrir une plus grande prévisibilité aux employeurs et aux salariés ».
Pourtant, le risque réel, qui se traduit déjà par une baisse significative du nombre des saisines depuis l’entrée en vigueur du barème, est de voir des salariés, en particulier les plus précaires, renoncer à agir en justice pour contester leur licenciement abusif sachant qu’ils n’obtiendront que quelques mois de salaire s’ils ont une faible ancienneté. Pourtant, tout citoyen est en droit d’ester en justice et il s’agit, là aussi, d’un droit fondamental (garanti notamment par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme).

Pour autant, il n’est pas sûr que le débat soit définitivement clos.
D’une part, il est tout à fait possible que des juges du fond continuent à « résister » à ces premières décisions de la chambre sociale en accordant, dans certains dossiers, des indemnisations au-delà du plafonnement. Nul doute que la pertinence de l’argumentation juridique des arrêts du 11 mai 2022 sera questionnée, voire remise en cause, lors de futurs procès portant sur le barème.

D’autre part, la donne pourrait changer avec la décision attendue du Comité Européen des Droits Sociaux (instance de contrôle du Conseil de l’Europe chargée d’examiner le respect de la Charte sociale européenne par les États parties) sur le barème d’indemnisation français et qui pourrait aboutir à une condamnation de ce barème. Pour mémoire, ce comité a condamné le barème d’indemnisation du licenciement injustifié instauré en Italie [3].
Même si une telle décision de condamnation n’aurait pas d’effet contraignant pour l’Etat français ni non plus pour ses institutions telles que les juridictions en charge de traiter le contentieux du licenciement, il ne peut néanmoins être exclu qu’une telle condamnation, si elle advenait, influence au moins le débat judiciaire (les plaideurs s’en prévaudront sans nul doute) voire conduise le législateur à modifier la loi pour aboutir au final a minima à une indemnisation plus adéquate conformément aux textes internationaux, voire même, bien que cela paraisse peu probable à ce jour, à une suppression de la « barémisation » de l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Enfin, et espérer peut-être que le législateur aille en ce sens, le jour même de l’audience du 31 mars 2022, la Cour de Cassation a reçu un rapport rendu public du Directeur Général du comité de l’OIT en date du 16 février 2022 (approuvé par le conseil d’administration de l’OIT), qui souligne notamment qu’avec ce barème français « le pouvoir d’appréciation du juge apparaît ipso facto contraint » et « qu’il n’est pas à priori exclu que, dans certains cas, le préjudice subi soit tel qu’il puisse ne pas être réparé à la hauteur de ce qu’il serait "juste" d’accorder ». Dans sa conclusion, ce rapport invite notamment « le gouvernement français à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation » de façon à s’assurer qu’il permette bien une « réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif ».

Susana Lopes Dos Santos Avocate au Barreau de Paris Cabinet Astaé-Avocat

[1Cf. article L.1235-3-1 du code du travail.

[3CEDS, 11 septembre 2019, 158/2017, Confederazione Générale Italiana del Lavoro c/ Italie.