Village de la Justice www.village-justice.com

(Futurs) époux : le régime matrimonial légal est-il adapté à votre situation ? Par Karine Vartanian, Professeure de Droit.
Parution : jeudi 19 mai 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/futurs-epoux-regime-matrimonial-legal-est-adapte-votre-situation,42688.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le régime matrimonial de la communauté de biens réduite aux acquêts est le régime légal applicable en France depuis le 1er février 1966 à tous les couples qui se marient sans avoir au préalable choisi contractuellement un autre régime matrimonial.

Dans le cadre du régime légal, les biens meubles et immeubles possédés par les époux avant le mariage représentent des biens propres, tandis que tous les biens acquis ou créés pendant le mariage sont considérés comme des acquêts et à ce titre, sont des biens communs.

Cette simplicité apparente et séduisante, puisqu’elle répond parfaitement à la finalité du mariage - la communauté, l’entraide et le partage - masque des difficultés insondables qui ne font que s’accroître à mesure que notre société voit ses codes sociaux subir de profondes mutations.

La question se pose alors de savoir si ce régime matrimonial demeure le régime le mieux adapté à la majorité des couples mariés.

1 - Le régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts : un régime avant-gardiste en 1965.

C’est dans un contexte de forte mutation sociologique que Jean Carbonnier, doyen de l’université de Poitiers, élaborait un texte qui allait devenir la loi du 13 juillet 1965 « portant réforme des régimes matrimoniaux », révolutionnant les rapports conjugaux et marquant une étape décisive de l’émancipation juridique de la femme mariée.

Le régime matrimonial de la communauté de meubles et acquêts [1] était abandonné [2] au profit du régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts [3].

Ainsi, depuis le 1er février 1966, le régime matrimonial légal est devenu le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts.

Chaque époux conserve la propriété et la libre disposition des biens dont il était déjà propriétaire avant le mariage ainsi que de tout ce qu’il pourra recevoir en succession, legs ou donations ; c’est ce que l’on appelle les biens propres.

A l’inverse, tous les biens meubles ou immeubles acquis ou créés par les deux époux au cours de leur mariage deviennent les biens communs ou acquêts, que ces acquêts soient réalisés avec des fonds communs, mais également avec des fonds propres :
- Sont des biens communs les revenus respectifs des époux, notamment les salaires, honoraires, indemnités de licenciement ; les revenus fonciers y compris s’ils proviennent de biens propres (loyer d’un appartement) ; les bénéfices des titres négociables ; les économies y compris celles déposées sur un compte épargne au nom d’un seul époux ; les placements ; le contrat d’assurance vie souscrit par les époux ou par l’un des époux. La liste n’étant pas exhaustive ;
- Chaque époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer. C’est ce que l’on appelle le principe de la gestion concurrente ; il y a cependant des actes qui requièrent le consentement des deux conjoints selon le principe de la gestion conjointe ;
- Concernant le logement familial ainsi que les meubles le garnissant, ils ne peuvent être vendus, donnés, donnés en usufruit, mis en location, subir une résiliation du bail, échangés ou hypothéqués sans le consentement de l’autre époux, qu’ils soient communs ou qu’ils appartiennent en propre à l’un des époux ;
- S’agissant des dettes, la règle veut que chaque époux soit responsable des dettes contractées par lui-même ou son conjoint, pour pourvoir à « l’entretien du ménage et à l’éducation des enfants » [4] ; les époux y sont tenus solidairement sur les biens communs, mais également sur les biens propres de chaque époux ;
- Les dettes contractées par l’un des époux comme l’achat d’un bien de consommation manifestement excessif par rapport au train de vie et aux ressources du ménage ; les intérêts d’une dette propre, les dettes professionnelles ou les dettes alimentaires au profit des descendants de l’époux débiteur, engagent les biens propres de l’époux débiteur, les biens communs du couple à l’exception des salaires et des biens propres de l’autre conjoint ;
- Concernant les emprunts, les cautions ou les achats à crédit souscrits par l’un des époux sans l’accord de l’autre conjoint, ils n’engagent que les biens propres et les revenus de l’époux concerné [5], sauf si ces actes portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, n’est pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage, en ce cas la dette redevient commune ;
- Si les emprunts, cautions ou achats à crédit sont souscrits par l’un des conjoints avec le consentement express de l’autre conjoint, tous les biens des époux sont alors engagés à l’exception des biens propres de celui qui n’est intervenu que pour donner son consentement.

En vertu de l’article 1402 du Code civil, la communauté est la règle et les biens propres sont l’exception. Les époux doivent donc nécessairement prouver le caractère propre d’un bien.

A la dissolution du régime légal, les règles sont également strictes :
- Chaque époux reprend ses biens propres ;
- Chaque époux a le droit à la moitié des biens acquis durant le mariage, présumés communs ;
- Chaque époux supporte la moitié des dettes ;
- Si l’un des époux reçoit des biens mobiliers ou immobiliers d’une valeur supérieure à sa part, il doit une soulte à l’autre ;
- Si des fonds propres d’un époux ont financé un bien propre de l’autre époux, il existe un système de créance entre époux (ce terme est également employé lorsqu’un époux doit une somme à l’autre dans un régime de séparation de biens) ;
- Si des fonds propres ont financé des biens communs ou si des fonds communs ont financé un bien propre, il existe un système de récompense (il s’agit d’une somme à verser pour rétablir l’équilibre).

La preuve doit être rapportée par celui qui réclame le montant de la récompense. A cet égard, la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de « déclaration de remploi », un bien acquis par un époux avec ses deniers propres, tombe dans la communauté et en conséquence appartient aux deux époux [6].

Sans cette déclaration, aucun argument et aucune preuve ne pourra faire obstacle au partage du bien présumé commun, mais il pourra donner lieu à récompense si la preuve est rapportée que la communauté a tiré profit dudit bien propre et en particulier lorsqu’elle a encaissé des deniers provenant de la vente d’un bien propre et les a employés pour acheter un bien commun [7].

Il s’agit donc d’un régime matrimonial bien plus engageant que sa facilité d’adoption ne le laisse croire, tant pendant l’union lorsqu’il s’agit d’assumer les dettes engendrées par l’un des conjoints, qu’au moment de la séparation où il n’est pas rare que les conjoints fassent la douloureuse expérience de son implication financière, du fait de l’imbrication des patrimoines des époux.

2 - Le régime conventionnel de la séparation des biens : un régime plus adapté aujourd’hui ?

Il y a presque 60 ans, le législateur avait tiré les conséquences des mutations sociologiques et législatives de l’époque, peut-être le temps est-il venu pour le législateur de se pencher à nouveau sur le régime matrimonial légal et de s’interroger sur son adéquation avec les mœurs actuelles.

L’âge moyen des futurs mariés dépasse largement la trentaine et le nombre de deuxièmes, voire de troisièmes noces ne cesse de croître [8], de même que le nombre d’unions dans lesquelles les enfants issus du couple ou non, sont déjà nés au moment du mariage.

En conséquence, les conjoints ont pour la grande majorité, une vie professionnelle déjà installée puisque 70% des femmes travaillent, une vie familiale et/ou parentale antérieure, un patrimoine immobilier et/ou mobilier acquis ou en cours d’acquisition.

Pourtant dans 80% des cas, les couples adoptent par défaut le régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts et c’est précisément en raison de cette statistique qui montre le peu d’intérêt ou de connaissance qu’ils ont des engagements qui seront les leurs, qu’il conviendrait d’instaurer en guise de régime légal, le régime matrimonial de la séparation de biens.

Le régime matrimonial de la séparation des biens, quant à lui, nécessite à l’heure actuelle un contrat de mariage établi devant le notaire avant le mariage. Il s’agit d’un régime dans lequel il n’y a pas de patrimoine commun :
- Les biens que les époux avaient avant leur mariage continuent à leur appartenir personnellement et les biens acquis ou reçus pendant le mariage appartiennent à celui des époux qui les a acquis ou reçus ; il peut s’agir de biens provenant de successions, dons ou legs ou encore de revenus propres (professionnels ou autres), ainsi que les investissements que l’époux a pu réaliser en épargnant ;
- Chacun des époux dispose d’une liberté totale dans la gestion et la disposition de ses biens et reste responsable des dettes qu’il contracte en son nom et celles qui sont liées à ses biens propres ;
- Les sommes déposées sur un compte joint sont présumées indivises à moins que l’un des époux ne prouve qu’il est le seul à alimenter le compte.

Ce régime peut certes apparaitre comme particulièrement individualiste et bien loin de la finalité du mariage.

3 - Le régime conventionnel de la séparation des biens : un régime moins séparatiste qu’il n’y paraît.

En réalité, la stricte séparation des biens de ce régime matrimonial est largement atténuée dans le cadre de la vie quotidienne par l’application du régime primaire impératif et peut l’être davantage par la volonté des conjoints.

L’application du régime primaire impératif.

Quel que soit le régime matrimonial choisi, les époux restent soumis au régime primaire impératif qui exige qu’ils participent à l’éducation des enfants et aux charges du ménage proportionnellement à leurs revenus. Ils restent solidaires des dettes contractées pour l’entretien du ménage par l’un ou l’autre époux, des emprunts souscrits conjointement et de certains impôts réputés communs.

Le logement de la famille ne peut faire l’objet d’un acte de disposition sans l’accord de l’autre mais le mobilier situé dans ledit logement appartient à l’un ou à l’autre des époux.

La possibilité d’une indivision.

Les biens achetés conjointement par les époux peuvent parfaitement être placés sous le régime de l’indivision et appartenir aux deux époux au prorata de leurs apports respectifs.

La création optionnelle d’une société d’acquêts.

La société d’acquêts est une clause particulière du contrat de mariage qui permet aux époux de soumettre certains biens au régime juridique de communauté de biens.

Il leur revient de préciser les biens qu’ils veulent faire entrer dans la société d’acquêts : biens propres à chacun des époux, biens acquis en indivision…

En pratique la résidence principale et les biens professionnels exploités par le couple se retrouvent fréquemment inclus dans la société d’acquêts [9].

L’article 1511 du Code civil énonce qu’en cas de dissolution du mariage par divorce ou par décès, le contrat de mariage peut prévoir une répartition des acquêts par moitié ou une clause de prélèvement permettant d’extraire un ou plusieurs biens déterminés dépendant de la société d’acquêts, en contrepartie d’une indemnisation versée aux héritiers de la valeur du bien prélevé.

En vertu de l’article 1515 du Code civil, lors de la liquidation de la société d’acquêts suite au décès de l’un des époux, il est également possible d’instaurer une clause de préciput ou de répartition inégalitaire (en usufruit ou en nue-propriété) autorisant le conjoint survivant de prélever sur la société d’acquêts avant tout partage et sans contrepartie, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens.

Il peut même être envisagé de prévoir une clause d’attribution intégrale (en usufruit ou en nue-propriété), permettant de transférer la propriété de la société d’acquêts au conjoint survivant, notamment lorsqu’elle contient le logement familial qui se trouve soustrait de la succession et de l’indivision avec les héritiers.

Ce transfert de propriété d’un époux à l’autre constitue un avantage matrimonial qui n’est soumis ni aux droits de donation ni aux droits de succession et ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire sauf en présence d’enfants issus d’une autre union qui peuvent exercer une action en retranchement afin de réduire la libéralité à hauteur de leur réserve héréditaire.

Outre ces aménagements, notons qu’au quotidien, les époux mariés sous un régime ou sous un autre ne ressentent aucune différence, car le régime primaire impératif est large et absorbe la majeure partie de la gestion des biens et des dettes du couple.

C’est en cas de séparation par divorce ou par décès que le choix du régime matrimonial prend tout son sens, essentiellement lorsqu’il va s’agir de déterminer la nature des biens propres ou communs ainsi que la nature des dettes [10].

Que faut-il en retenir ? Soit le régime matrimonial actuel est conservé en tant que régime légal et il faut alors renforcer l’information des futurs époux sur les enjeux économiques et financiers d’un tel régime.

Soit le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts se mue en un régime conventionnel au bénéfice du régime matrimonial de la séparation de biens qui deviendrait le régime de droit commun, avec la possibilité d’introduire une part plus ou moins importante d’acquêts, lesquels seraient librement déterminés conventionnellement par les époux et non plus imposés par le régime matrimonial.

Karine Vartanian Professeure de Droit Rédactrice juridique

[1En 1804, les rédacteurs du Code civil choisissaient de consacrer comme régime légal unique celui de la communauté des meubles et acquêts qui était le reflet des valeurs sociales de l’époque. Il s’agissait d’unir deux époux moralement et matériellement, de façon à ce qu’ils pourvoient ensemble aux charges de leur vie commune et à l’entretien des enfants, sans toutefois inclure dans la communauté les immeubles détenus par les époux avant le mariage ni ceux reçus à titre gratuit pendant le mariage, de sorte que le patrimoine immobilier fût conservé dans les familles respectives de chaque époux. Evidemment, les pouvoirs de gestion étaient concentrés entre les mains du mari car la femme était juridiquement considérée comme incapable donc inapte à la gestion des affaires patrimoniales.

[2Relégué au rang de régime conventionnel.

[3La loi du 23 décembre 1985 parachevait cette quête d’égalité entre les époux avec la suppression de la puissance maritale sur les biens communs.

[4Article 220 du Code civil.

[5Les biens propres de l’autre époux et les biens communs sont préservés.

[6Cour de cassation, chambre civile 1, 27 février 2013, 11-23.833, Inédit.

[7Cour de cassation, chambre civile 1, 20 mars 2013, 11-20.212, Bull 2013 I n° 55.

[8Plus d’une union sur quatre est désormais un remariage.

[9Cependant, ce régime matrimonial hybride issu de la pratique notariale, n’est pas encadré légalement. A ce titre, il nécessite une réflexion particulière, notamment sur les biens à inclure dans la société d’acquêts qui ne se trouvent pas protégés en cas de difficultés financières de l’un des époux et de poursuites de ses différents créanciers qui pourront porter sur les biens personnels de l’époux engagé, mais également sur les biens contenus dans la société d’acquêts.

[10A titre d’exemple, les dettes liées à l’activité professionnelle de l’un des conjoints sont considérées comme des dettes communes dans le cadre du régime matrimonial légal, sauf instruments de travail, alors qu’il s’agit de dettes propres dans le cadre du régime conventionnel de la séparation des biens.