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Licenciement sans cause, la Cour de cassation valide le barème Macron. Et après ? Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 23 mai 2022
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En cas de licenciement sans cause, l’article L1235-3 du Code du travail prévoit une indemnité fixée à une somme comprise entre des montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte [1].

Cette disposition, particulièrement contestée au regard des normes internationales, est l’objet de deux arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 11 mai 2022 [2].

A travers ces deux décisions, les juges sont interrogés sur la conformité de l’article L. 1235-3 du Code du travail, d’une part, à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et, d’autre part, à l’article 24 de la Charte sociale européenne qui imposent chacun le versement d’une indemnisation « adéquate » ou « toute autre réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié.

Pour valider le barème Macron, dans l’arrêt du 11 mai 2022 (n°21-14.490), la Cour de cassation vise, dans toute sa majesté, l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui dispose que la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

Les faits (1), la motivation de ces décisions (2) et les conséquences pratiques qui pourraient en résulter (3) seront analysés et commentés.

1) Faits.

La Cour de cassation a été saisie de deux affaires.

Dans la première série de pourvois, trois salariés contestent leur licenciement pour motif économique en raison de la violation par leur employeur de la réglementation encadrant l’ordre des départs [3].

Déboutés de leurs demandes, ces derniers interjettent appel devant la Cour d’appel de Nancy qui, sans remettre en cause le jugement de première instance concernant l’ordre des départs, juge les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse du fait de l’inobservation de l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur

Les juges condamnent l’employeur à des dommages et intérêts, en application du barème fixé à l’article L1235-3 du Code du travail, ainsi qu’à rembourser les allocations chômage versées aux salariées dans la limite de 6 mois.

L’employeur forme un pourvoi en cassation à l’encontre de chacun des trois arrêts de la Cour d’appel de Nancy et les salariés, estimant que l’application de l’article L1235-3 du Code du travail limitait l’indemnisation de leur préjudice, forment chacun un pourvoi incident.

Dans la seconde affaire, une salariée conteste son licenciement pour motif économique et formule des demandes indemnitaires, accueillies par la Cour d’appel de Paris, laquelle exclut l’application du barème prévu par l’article L1235-3 du Code du travail.

L’employeur forme un pourvoi en cassation en demandant à la chambre sociale de la Cour de cassation de se prononcer sur la possibilité pour les juges du fond d’écarter, au cas par cas, l’application du barème.

En somme, dans la première affaire, les demandeurs souhaitaient que la Cour reconnaisse la possibilité du juge de s’affranchir du barème et, dans la seconde affaire, la demanderesse espérait que la Cour censure les juges pour s’être écarté de ce barème.

Le point commun entre ces deux affaires est donc la question du pouvoir du juge confronté au barème d’indemnisation. Peut-il, voire doit-il, l’évincer ? Ou au contraire, ce barème est-il doté d’une impérativité telle qu’il ne saurait être écarté ?

2) Les deux décisions.

Dans les deux affaires, la Cour retient que le juge est tenu par le barème, et qu’il lui est impossible de l’écarter, même au motif d’une indemnisation considérée comme insuffisante.

Pour fonder cette solution, les hauts magistrats considèrent, dans la première espèce, que le barème respecte les exigences de l’article 10 de la convention 158 (2.1), que les juges du fond ne peuvent donc pas l’écarter au cas par cas (2.1) et, dans la seconde espèce, que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’est pas d’effet direct.

2.1) Conformité de l’article L. 1235-3 du Code du travail à l’article 10 de la Convention n° 158 au visa de l’article 6 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 [4].

Le raisonnement de la Cour de cassation se décompose en deux temps.

Tout d’abord, elle maintient la position qui était celle de l’Assemblée plénière dans deux avis du 17 juillet 2019 selon laquelle l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT peut être invoqué dans un litige entre particuliers [5].

Dans l’arrêt du 11 mai 2022 n°21-14.490, au visa de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui dispose que la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse, la Cour de cassation valide le barème Macron.

En outre, la chambre sociale effectue une lecture littérale de l’article 1er de la Convention n° 158 de l’OIT lequel dispose que : « pour autant que l’application de la présente convention n’est pas assurée par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière à la pratique nationale, elle devra l’être par voie de législation nationale ».

Ensuite, tout en reprenant ici aussi l’avis du 17 juillet 2019, les juges considèrent que l’exigence d’une réparation adéquate posée par l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT est respectée par le législateur français.

Sur ce point, la Cour de cassation raisonne à partir d’une décision de l’organe exécutif de l’OIT selon laquelle le terme « adéquat » signifie que « l’indemnité pour licenciement injustifié doit, d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié [ndlr : première condition] et, d’autre part, raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée d’emploi [ndlr : seconde condition] ».

Après avoir rappelé cette définition, la Cour de cassation soulève deux arguments en faveur de la conformité de l’article L1235-3 du Code du travail à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

D’une part, elle relève que l’application de l’article L1235-3 du Code du travail peut être écartée lorsque le licenciement est nul (dans le cadre des situations limitativement énumérées par l’article L1235-3-1 du Code du travail), auquel cas le salarié peut bénéficier d’une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire.

D’autre part, elle relève que, lorsque le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le juge doit ordonner d’office le remboursement par l’employeur à Pôle emploi de tout ou partie des allocations chômage perçues entre le jour de son licenciement et le jour du jugement prononcé dans la limite de six mois.

Au regard de ce raisonnement, l’on se limitera à soulever deux observations.

La première tient, d’abord, à l’insuffisance argumentative de cette décision qui repose uniquement sur la seconde condition d’application de l’adjectif « adéquat » posée par le Conseil d’administration de l’OIT. La première condition, celle de la dissuasion de l’employeur de procéder à un licenciement illicite, est évincée et n’est qu’indirectement traitée par la chambre sociale de la Cour de cassation dans le communiqué de presse et la note explicative de son arrêt.

La seconde tient, ensuite, au fait que la Cour de cassation ne résout pas ainsi la question de l’adéquation des indemnités effectivement octroyées en application du barème.

En élargissant la question posée au système d’indemnisation du salarié dont le licenciement est injustifié, la Haute juridiction contourne les développements découlant de l’exigence, plus précise, qui est posée par la définition du terme « adéquat » par le Conseil d’administration de l’OIT.

En d’autres termes, la chambre sociale de la Cour de cassation ne répond pas directement à la question qui lui est posée. Elle induit la conformité de l’article L1235-3 du Code du travail à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT d’une appréciation globale du système d’indemnisation français.

Et ce, sans véritablement analyser l’appréciation par les juges du fond de l’adéquation de l’indemnisation du préjudice subi par les auteurs du pourvoi incident.

Le raisonnement de la chambre sociale de la Cour de cassation par lequel elle conclut que l’article L1235-3 du Code du travail est conforme à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT nous semble donc un peu rapide.

Mais l’essentiel de l’arrêt du 11 mai 2022 est ailleurs : contrairement à ce qui est préconisé par l’Avocate générale, Madame Anne Berriat, la chambre sociale de la Cour de cassation rejette purement et simplement la possibilité pour les juges du fond d’exercer un contrôle in concreto de la norme litigieuse.

2.2) Rejet du contrôle de conventionnalité in concreto [6]

Le contrôle de conventionnalité in concreto est celui qui permet au juge d’écarter l’application d’une règle au regard des circonstances de l’espèce qui lui sont soumises et des normes internationales. Ce dernier avait été mis en œuvre par certaines Cours d’appel (notamment celle de Paris) à la suite des deux avis de l’Assemblée plénière de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 17 juillet 2019.

Alors que la plaidoirie de la Première Avocate générale, Madame Anne Berriat, s’inscrivait clairement dans le sens d’un contrôle de conventionalité in concreto, la chambre sociale de la Cour de cassation l’exclut catégoriquement sans même le justifier dans son arrêt du 11 mai 2022.

L’explication de cette éviction ne se trouve que dans le communiqué de presse et, rapidement, dans la note explicative.
Selon elle, « un tel contrôle créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable, qui serait susceptible de changer en fonction des circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges » et « porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi » issu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [7]
Ici encore, il est difficile de se laisser convaincre.

Tout d’abord, « le préjudice est par définition personnel et dépend de la situation de chaque salarié » [8].

Ensuite, l’égalité devant la loi ne signifie aucunement une application uniforme des règles. Au contraire, cela peut aboutir à une discrimination indirecte. Ce qui est soutenu par la Première Avocate générale, Madame Anne Berriat, rappelant que plusieurs études consacrées à l’application du barème démontrent une baisse du montant moyen des indemnités octroyées après l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2017 pour les salariés dont l’ancienneté est de moins de cinq ans [9].

Enfin, la rédaction de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT- qui est désormais très officiellement d’effet direct - invite précisément le juge national à opérer ce contrôle de conventionnalité in concreto.

Rappelons en effet que cet article dispose que « si [le juge] arrive à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » [10]. Or, en droit français, le législateur n’habilite les juges qu’à verser une indemnisation comprise dans le barème. Il n’est pas certain que cette habilitation soit celle visée par les rédacteurs de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.

2.3) Pas d’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne [11].

Enfin, dans la continuité des deux avis de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 juillet 2019, la chambre sociale considère que l’article 24 de la charte sociale européenne, qui impose également une indemnisation adéquate au préjudice subi, ne peut pas être invoqué dans un litige entre particulier.

L’incompréhension autour de cette distinction avec l’article 10 de la Convention n° 158 a déjà été largement exprimée par la doctrine, à l’occasion de l’avis rendu par l’Assemblée plénière du 17 juillet 2019, dans la mesure où leur contenu respectif est très similaire [12].

Il est donc désormais confirmé par la chambre sociale que le justiciable licencié sans cause réelle et sérieuse ne saurait se prévaloir de l’article 24 de la charte sociale européenne afin de demander l’éviction de l’application de l’article L1235-3 du Code du travail.

En l’occurrence, le raisonnement de la Cour de cassation repose sur une longue série d’énumérations des articles de la Charte sociale européenne à l’issue duquel elle conclut que ce texte européen renvoie les modalités de son application au législateur et non aux juges.

Une telle conclusion reflète cependant une lecture rapide de ce texte.

Après avoir rappelé que, d’une part, la Charte sociale européenne lie les Etats signataires et, d’autre part, que ces derniers doivent poursuivre ses objectifs par « tout moyen utile », la chambre sociale de la Cour de cassation fait paradoxalement abstraction du fait que son article 1er autorise sa mise en œuvre par tout « autres moyens appropriés », ce qui inclut par essence le juge [13].

3) Conséquences : validation du barème Macron, et après ?

De prime abord, un arrêt des décisions des juges du fond jugeant que l’article L1235-3 du Code du travail n’est pas conforme aux normes internationales, et en particulier à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, est très probable. [14].

Actuellement,10% des arrêts des cours d’appel écartent l’application du barème [15]. Un tel constat ne saurait surprendre dans la mesure où, dans nombre de cas, le contrôle in concreto n’a pas pour vocation d’écarter le barème en toute hypothèse (sinon, ce serait un contrôle in abstracto), mais seulement dans des cas exceptionnels.

A l’inverse, un renforcement possible du glissement des contentieux en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse vers celui en matière de licenciement nul peut aussi être anticipé [16].

A cet égard, nous avions identifié les différentes options pour échapper au barème Macron [17].

En tout état de cause, les controverses entourant le barème Macron et les évolutions jurisprudentielles qui en découlent mettent en exergue l’imperfection du système d’indemnisation issu de l’article L1235-3 du Code du travail.

Certains veulent une réforme du barème avec une augmentation des plafonds et montants planchers pour les salariés de moins de 5 ans d’ancienneté. D’autres réclament tout simplement son abrogation [18].

La décision attendue du Comité européen des droits sociaux (CEDS), saisi de la question de la conformité du barème litigieux à l’article 24 de la charte sociale européenne, pourrait, espérons-le, inviter le législateur à emprunter l’une de ces deux voies [Le Comité européen des droits sociaux a déjà rejeté la conformité de législations similaires, italienne et finlandaise, à l’article 24 de la Charte sociale européenne dans deux décisions : CEDS, Décision n° 158/2017, du 11 février 2020, CGIL c. Italie ; CEDS, décision n° 106/2016, du 8 septembre 2016, Finnish Society of Social Rights c. Finlande.]]

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Sur ce sujet voir notre article.

[3Déterminé selon des critères précisés par l’article L. 1233-5 du Code du travail.

[4C. cass. 11 mai 2022, n°21-14.490.

[6C. cass. 11 mai 2022, n°21-14.490.

[8Interview du Professeur Julien Icard, « Barème Macron : la fin des contentieux ? », ActuEl CSE, 13 mai 2022 (https://www.actuel-ce.fr/content/bareme-macron-la-fin-des-contentieux#.Yn06s2ZibRw.twitter) ; J. ICARD, « Barème : une fin de saga bâclée », SSL, 16 mai 2022, n° 2000.

[9A. Berriat, Avis sur l’arrêt n° 655 du 11 mai 2022, n° 21-15.249, 21-15.247, 21-15.250, Voir ég. : F. Mehrez, « Le barème a entrainé resserrement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse », Actuel RH, 12 mai 2022.

[11C. cass. 11 mai 2022 n°21-15.247.

[12Par ex : P. Lokiec, « L’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019, épilogue de l’affaire du barème ? », Lexbase, 24 juill. 2019 ; J. Icard, « Avis relatifs au barème Macron : la stratégie du flou », SSL, n° 1871 26 août 2019.

[13J. IcarD, « Barème : une fin de sage bâclée », SSL, 16 mai 2022, n° 2000.

[14J. Icard, « Barème Macron : la fin des contentieux ? », Actuel CSE, 13 mai 2022 : (https://www.actuel-ce.fr/content/bareme-macron-la-fin-des contentieux#.Yn06s2ZibRw.twitter).

[15N. SENEZE, « Licenciement abusif : le « barème Macron » a limité le recours aux prud’hommes », La Croix, 11 mai 2022 (https://www.la-croix.com/Economie/Licenciement-abusif-bareme-Macron-limite-recours-prudhommes-2022-05-11-1201214534).

[16J. Icard, « Barème Macron : la fin des contentieux ? », Actuel CSE, 13 mai 2022 (https://www.actuel-ce.fr/content/bareme-macron-la-fin-des contentieux#.Yn06s2ZibRw.twitter) ; Pour un autre point de vue : J.E. Ray « Deux arrêts exemplaires » : SSL, 16 mai 2022, n° 2000.