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Pour une indemnisation correcte des victimes d’accidents médicaux. Par Christophe Quézel-Ambrunaz et Vincent Rivollier, Enseignants-chercheurs.
Parution : vendredi 27 mai 2022
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Le barème de l’ONIAM, révisé en avril 2022, est très en-deça d’une réparation qui peut être qualifiée "d’intégrale". Les sommes allouées pour la tierce personne, notamment, ne sont pas suffisantes pour que la victime-employeuse respecte les obligations légales et conventionnelles. Partant, sa légalité est douteuse et contestable.

Les vingt ans de la loi dite Kouchner du 4 mars 2002 ont été célébrés lors de nombre de manifestations.
Cette loi a notamment permis de distinguer, parmi les accidents médicaux, ceux qui résultent d’une faute médicale, et ceux qui ressortissent à l’aléa thérapeutique.
Dans le premier cas, le médecin, l’établissement de santé, ou leur assureur, sont tenus de réparer les préjudices résultant de leur faute.
Dans le second, la solidarité nationale, personnifiée par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), indemnise la victime.

La mission de l’ONIAM s’est peu à peu étoffée, et il intervient, à titre principal ou subsidiaire, en matière d’infections nosocomiales, de vaccinations obligatoires, de contaminations transfusionnelles, d’exposition au benfluorex (commercialisé sous le nom Mediator) ou au valproate de sodium (notamment commercialisé sous le nom Depakine). Dans tous ces cas, la réparation doit être intégrale, selon les termes mêmes de la loi : cela signifie que les victimes doivent être aussi bien indemnisées que si un juge avait à connaître de leur dommage.

L’ONIAM a, avec bien moins de publicité, mis à jour son référentiel indicatif d’indemnisation en avril 2022.
Ce document propose des sommes très inférieures à ce que donneraient des juges. Par exemple, pour les souffrances endurées, les fourchettes s’élèvent à la moitié de celles du référentiel faisant autorité devant les juridictions judiciaires. Le préjudice esthétique temporaire n’est pris en compte que si l’altération de l’apparence physique est majeure – condition en principe absente.
Pire, s’agissant des préjudices patrimoniaux, pourtant plus tangibles, les sommes allouées pour financer l’assistance tierce personne, c’est-à-dire l’aide humaine, sont inférieures à celles des dispositifs d’aide sociale, et ne permettent pas de rémunérer sur cette base un intervenant en respectant les minimas salariaux légaux et conventionnels. Le taux du barème de capitalisation retenu (0,24%), postule qu’existent des placements sans risque, accessibles aux particuliers, rémunérés à 0,24 point de plus que l’inflation, ce dont on peut douter dans le contexte économique actuel…

Cet échantillon suffit à se convaincre que les sommes offertes aux victimes d’accidents médicaux sont très inférieures à ce qu’elles pourraient obtenir devant un juge. L’économie pour les finances publiques ou sociales n’est qu’apparente. Alors même que l’une des nobles ambitions de l’ONIAM est de favoriser une indemnisation sans recours au juge, les victimes bien conseillées contestent les montants en justice.
Pire, cette faiblesse du référentiel de l’ONIAM est génératrice d’un effet pervers, au profit d’assureurs de médecins, ou de laboratoires pharmaceutiques fautifs. Ceux-ci ont en effet intérêt à ne pas jouer le jeu de l’indemnisation amiable proposé par les différents organes rattachés à l’ONIAM, et à refuser d’indemniser les victimes. En effet, lorsqu’ils ne formulent pas d’offre, l’ONIAM se substitue à eux pour indemniser la victime, puis se retourne contre ces fautifs pour obtenir remboursement.
Néanmoins, l’ONIAM émet des indemnisations faibles, reflétant son référentiel, et ne peut recourir au-delà de ce qu’il a payé, sauf dans la mesure où la loi permet une pénalité.

Toutefois, pour les responsables, la faiblesse des sommes versées par l’ONIAM peut rendre lucratif ce refus d’indemnisation, la pénalité qui leur est infligée ne majorant pas les sommes au niveau de ce qui aurait dû être payé en application du principe de la réparation intégrale.

Par ailleurs, devant certaines juridictions, notamment administratives, le référentiel de l’ONIAM a longtemps été utilisé de manière implicite, conduisant à une distorsion entre les victimes en fonction de la juridiction compétente et à une indemnisation plus faible de celles ayant subi un accident médical dans un établissement public que dans un établissement privé.
Les victimes d’accidents médicaux sont ainsi systématiquement perdantes. Au-delà, l’encombrement des juridictions ainsi généré pèse sur l’ensemble du système judiciaire. Dès 2017, la Cour des comptes avait relevé le rééquilibrage indispensable du dispositif en faveur des victimes ; rien ne semble avoir été fait depuis.

Aux pouvoirs publics de mettre fin à l’hypocrisie actuelle, soit en donnant les moyens à l’ONIAM d’une indemnisation correcte de toutes les victimes, soit en officialisant le caractère partiel de l’indemnisation des accidents médicaux ; en toute hypothèse, rien ne justifie une telle sous-évaluation de l’aide humaine ni d’asseoir le calcul de l’indemnisation sur des données économiques parfaitement obsolètes.
Pour ces raisons, et en attendant une action des pouvoirs publics, nous contestons ce référentiel de l’ONIAM qui, ne respectant pas les droits des victimes, nous semble frappé d’illégalité.

Christophe Quézel-Ambrunaz et Vincent Rivollier, Enseignants-chercheurs à l’Université Savoie Mont Blanc, centre de recherche en droit Antoine Favre ; membres du collège d’experts pour l’indemnisation des victimes du valproate de sodium et ses dérivés.