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Antennes relais : étapes d’implantation et droits des riverains. Par Lucas Dermenghem, Avocat.
Parution : lundi 30 mai 2022
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Les antennes relais constituent l’outil indispensable au déploiement des réseaux de téléphonie mobile 2G, 3G, 4G et plus récemment 5G. La couverture mobile constitue une priorité gouvernementale, qui s’est traduite notamment par le lancement des programmes « France mobile » et « New deal mobile » et l’institution de dérogations et d’expérimentations sur le plan juridique, afin d’accélérer le rythme d’implantation des antennes relais.

Le présent article a pour objet de présenter les grandes étapes d’implantation d’une antenne relais (I) puis de rappeler les recours offerts aux riverains contre un projet potentiellement impactant pour leur cadre de vie (II).

I - Les étapes d’implantation d’une antenne relais.

Afin d’implanter une antenne relais, l’opérateur de téléphonie mobile est tenu de respecter différentes étapes :
1. La maîtrise foncière du terrain d’implantation,
2. La fourniture d’un dossier d’information en Mairie (DIM) destiné à l’information de la commune et du public,
3. La délivrance préalable d’un accord de l’ANFR,
4. La délivrance d’une autorisation d’urbanisme.

1. La maîtrise foncière du terrain d’implantation.

Afin d’être en mesure d’implanter une antenne relais, l’opérateur doit préalablement assurer la maîtrise foncière du terrain soit en achetant la parcelle, soit en la louant auprès d’un propriétaire privé.

Il n’est pas rare non plus que les antennes soient implantées sur le domaine public ; dans ce cas une convention d’occupation du domaine public sera requise. On note sur ce point que la loi « Elan » du 23 novembre 2018 [1] a institué une dérogation au principe prévu par l’article L2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) selon lequel l’occupation du domaine public en vue d’une exploitation économique doit être précédée d’une procédure de sélection préalable. Ainsi l’article 223 de la loi « Elan » a crée l’article L2122-1-3-1 du CG3P dispensant l’autorité publique de procédure de sélection préalable « lorsque le titre d’occupation est destiné à l’installation et à l’exploitation d’un réseau de communications électroniques ouvert au public ».

Par ailleurs, il convient de rappeler que tout acquéreur ou preneur d’un contrat de bail ou de réservation d’un terrain qui, sans être lui-même un opérateur de téléphonie mobile, destine ce terrain à l’implantation d’une antenne relais, doit en informer par écrit l’autorité compétente en matière d’urbanisme et joindre le mandat de l’opérateur de téléphonie mobile. Les travaux de construction de l’antenne ne peuvent débuter sans cette information préalable [2].

2. La fourniture d’un dossier d’information en Mairie (DIM).

Aux termes de l’article L34-9-1 du Code des postes et des communications électroniques :

« […] Toute personne souhaitant exploiter, sur le territoire d’une commune, une ou plusieurs installations radioélectriques soumises à accord ou à avis de l’Agence nationale des fréquences en informe par écrit le maire ou le président de l’intercommunalité dès la phase de recherche et lui transmet un dossier d’information un mois avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme ou de la déclaration préalable, sauf accord du maire ou du président de l’intercommunalité sur un délai plus court […] ».

Ce texte a été précisé par un décret n° 2016-1211 du 9 septembre 2016.

Il s’infère de ces dispositions que l’opérateur de téléphonie mobile est tenu d’informer par écrit l’autorité compétente en matière d’urbanisme sur le territoire visé (Maire ou Président de l’EPCI) de son intention d’implanter une antenne relais sur le territoire.

Cette information consiste notamment en un dossier d’information en mairie (DIM), qui doit être transmis 1 mois avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme (sauf accord de l’autorité compétente sur un délai plus court).

Le dépôt d’un DIM est également exigé en cas de « modification substantielle » d’une antenne relais.

En revanche, à titre expérimental, l’article 220 de la loi « Elan » déroge, jusqu’au 31 décembre 2022, au principe du dépôt d’un DIM pour les travaux d’installation de la 4G sur des supports existants (une simple information du Maire suffit).

Le contenu du DIM est défini par l’arrêté ministériel du 12 octobre 2016. Si le Maire en fait la demande, le DIM doit comprendre une simulation de l’exposition aux champs électromagnétiques générée par l’installation et une justification du choix de l’opérateur de ne pas avoir recouru à une solution de partage d’une antenne dans les zones rurales.

Une fois le DIM réceptionné, le Maire doit (dans un délai de 10 jours) le mettre à disposition des habitants par tout moyen approprié. En revanche, le Maire a simplement la faculté de leur laisser la possibilité de formuler des observations ; en ce cas les remarques doivent être émises dans un délai de 3 semaines à compter de la mise à disposition du dossier.

Les règles d’information du public en matière d’implantation d’antennes relais apparaissent donc particulièrement légères :
- le dépôt d’un DIM intervient tardivement (un mois seulement avant le dépôt d’une demande d’autorisation d’urbanisme, et ce délai peut encore être réduit en accord avec le Maire), laissant peu de temps pour informer le public,
- le DIM n’est plus requis en cas d’implantation d’une antenne 4G sur des supports existants,
- l’exigence d’une simulation de l’exposition des riverains aux champs électromagnétiques est laissée à la discrétion du Maire, qui dispose de seulement 8 jours pour la solliciter,
- le Maire a l’obligation de mettre le DIM à disposition des habitants de la commune mais les modalités de cette information ne sont pas définis par les textes,
- en revanche, le Maire n’est pas tenu de laisser la possibilité aux habitants de formuler des observations.

Au demeurant, le non-respect de ces règles par l’opérateur ou la commune n’apparaît guère sanctionnable au contentieux. Ainsi, de manière constante, le juge administratif saisi de la légalité de l’autorisation d’urbanisme d’une antenne relais considère inopérant le moyen tiré de la méconnaissance desdites normes [3].

3. La délivrance d’un accord par l’Agence nationale des fréquences (ANFR).

Dans la majorité des cas, l’implantation d’une antenne relais est soumise à l’accord préalable de l’ANFR [4].

La décision d’accord ou de refus intervient à l’issue d’une procédure « COMSIS » tendant à instruire la demande de l’opérateur et destinée notamment à vérifier l’existence d’éventuels brouillages entre les différents émetteurs déjà en place et à veiller au respect des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques.

Le juge administratif a déjà reconnu la possibilité de contester la décision de l’ANFR [5], mais cette démarche est très rarement mise en œuvre en pratique.

Notons que l’article D98-6-1 du Code des postes et des communications électroniques dispose que l’opérateur « fait en sorte, dans la mesure du possible, de partager les sites radioélectriques avec les autres utilisateurs du site […] ». Cependant ce texte est rédigé en des termes permissifs et le Conseil d’Etat a jugé qu’il n’instituait aucune obligation à la charge des opérateurs [6].

Depuis la loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021, les opérateurs doivent justifier du choix de ne pas mutualiser en zone rurale, mais uniquement si le Maire leur demande [7].

Fin 2020, 28% des antennes étaient considérées « en partage actif » selon la Cour des comptes [8].

4. La délivrance d’une autorisation d’urbanisme.

Au moins un mois après avoir déposé le DIM en Mairie, l’opérateur de téléphonie mobile peut déposer un dossier de demande d’autorisation d’urbanisme afin d’édifier son antenne relais (soit un permis de construire, soit une déclaration préalable). En pratique il s’agit presque systématiquement de déclarations préalables car le permis de construire n’est requis que si l’emprise au sol de l’antenne excède les 20 m² ou si l’ouvrage doit être implanté dans certains secteurs sensibles : périmètre de sites patrimoniaux remarquables, abords des monuments historiques et des sites classés / en instance de classement).

Le dossier de demande d’autorisation d’urbanisme doit comprendre les pièces exigées par le Code de l’urbanisme.

S’agissant des demandes de déclarations préalables, le délai d’instruction de droit commun est d’un mois [9]. En l’absence de réponse dans ce délai, il existe une décision tacite de non-opposition à déclaration préalable qui permet donc à l’opérateur de construire.

II. Les voies de droit offertes aux riverains de l’antenne relais.

En dépit des obligations prévues en ce sens, il est fréquent que les riverains ne soient pas informés en amont de l’existence d’un projet d’antenne relais. Ce n’est qu’à l’occasion de l’affichage de l’autorisation d’urbanisme (dans le meilleur des cas) ou du début des travaux (dans le pire des cas) qu’ils découvrent le projet. En outre, la localisation de certaines antennes s’avère parfois hasardeuse et conduit légitimement les riverains à vouloir empêcher la construction, compte-tenu de l’atteinte portée à leur cadre de vie.

La seule solution permettant aux riverains de faire efficacement obstacle à l’antenne relais est de contester l’autorisation d’urbanisme nécessaire à sa construction.

Attention : cette contestation n’est possible que jusqu’à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter de l’affichage de l’arrêté sur le terrain d’implantation du projet. Pour être régulier et déclencher valablement le délai de recours, l’affichage doit être permanent durant 2 mois et comporter certaines mentions obligatoires [10] devant être lisibles depuis la voie et les espaces publics [11].

1. Le recours gracieux.

Au cours du délai de 2 mois, il est tout d’abord possible de former un recours gracieux à l’encontre de l’autorisation d’urbanisme. Le recours gracieux permet de proroger de deux mois le délai de recours contentieux.

En principe, le recours gracieux a pour objet de demander au Maire de retirer l’autorisation d’urbanisme délivrée. Cependant, les antennes relais bénéficient sur ce point du régime particulièrement dérogatoire (et néanmoins conforme à la Constitution : cf. CE, 11 décembre 2019, n°434741 de l’article 222 de la loi « Elan ») qui prive les Maires, à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2022, de la possibilité de retirer l’autorisation délivrée.

Outre qu’il proroge le délai de recours contentieux, le recours gracieux n’a donc plus vraiment d’intérêt juridique.

2. Le recours contentieux assorti, le cas échéant, d’un référé-suspension.

Dans le délai initial de 2 mois ou après l’exercice d’un recours gracieux, il est possible de saisir le tribunal administratif compétent de la légalité de l’autorisation d’urbanisme. En cas d’illégalité de la décision, le tribunal procèdera à son annulation contentieuse.

Attention : l’exercice d’un recours contentieux n’a pas d’effet suspensif ; cela signifie que l’opérateur peut exécuter son autorisation d’urbanisme et débuter les travaux en dépit de l’existence d’un recours et tant que le tribunal ne s’est pas prononcé. En pratique, ce genre de dossier est jugé dans un délai d’environ un an et demi.

En cas de commencement du chantier de construction de l’antenne, il est donc vivement conseillé de former, en parallèle du recours contentieux, une demande de suspension de l’autorisation d’urbanisme, nommée « référé-suspension ».

Il s’agit d’une procédure d’urgence conduisant un juge unique (appelé juge des référés) à se prononcer dans un délai restreint (quelques jours). Si le juge constate une urgence à suspendre les travaux (condition généralement remplie) et un « doute sérieux sur la légalité » de l’autorisation d’urbanisme, il procèdera à sa suspension, empêchant l’opérateur de poursuivre son chantier jusqu’à ce que le tribunal se prononce sur le fond de l’affaire.

En cas d’exercice d’un recours gracieux et/ou d’un recours contentieux, il est impératif de notifier par LRAR ce recours à l’auteur de la décision et à son bénéficiaire (l’opérateur), et ce dans un délai de 15 jours [12].

Par ailleurs la recevabilité d’un recours contentieux nécessite de démontrer un intérêt à agir contre l’autorisation d’urbanisme, généralement justifié par la proximité avec l’antenne. Dans le cas où le recours est porté par une association, celle-ci ne sera recevable que si ses statuts lui confèrent un intérêt à agir et ont été déposés en Préfecture au moins 1 an avant l’affichage en mairie de la demande d’autorisation d’urbanisme [13].

Quels sont les arguments invocables à l’encontre de l’autorisation d’urbanisme d’une antenne relais ? Il s’agit généralement des moyens suivants, lesquels doivent être appréciés in concreto, en fonction des pièces du dossier :
- non-respect du document d’urbanisme applicable à la commune,
- atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants ou des sites et paysages,
- atteinte à l’environnement,
- risque pour la sécurité ou la salubrité publiques,
- etc.

3. L’action en trouble anormal de voisinage.

Dans le cas où une action en contestation de l’autorisation de l’autorisation d’urbanisme ne serait plus possible (par exemple en cas de dépassement du délai de recours) ou aurait échoué, les riverains peuvent envisager un autre type d’action : l’action en trouble anormal de voisinage.

Cette action ne permet plus de contester la présence de l’antenne mais de demander au juge judiciaire des dommages et intérêts en réparation du trouble de voisinage causé par la proximité de l’antenne.

Pour cela, il est nécessaire de démontrer l’anormalité du trouble, c’est-à-dire que la présence de l’antenne occasionne pour les riverains des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage. Il peut notamment s’agir de l’impact paysager du pylône ou du préjudice d’angoisse lié à l’incertitude quant aux effets sanitaires des ondes électromagnétiques.

Plusieurs juridictions ont ainsi reconnu l’existence de troubles anormaux de voisinage causés aux riverains d’une antenne relais.

Cette action peut être exercée dans un délai de 5 ans à compter de la naissance du trouble, soit de l’édification de l’antenne.

NB : La vérification du respect des règles applicables par les opérateurs ainsi que la rédaction d’un recours gracieux et/ou contentieux contre l’autorisation d’urbanisme constituent des missions spécifiques à chaque cas de figure qui requièrent une expertise en droit de l’urbanisme et de l’environnement.

La démarche contentieuse implique notamment une instruction détaillée des pièces du dossier et une analyse des règles d’urbanisme applicables à la zone. En outre, des formalités procédurales doivent impérativement être respectées pour assurer la recevabilité du recours.

Sur cette thématique, l’auteur propose un guide [14].

Lucas Dermenghem Avocat associé Barreau de Lille Géo Avocats (AARPI inter-barreaux Paris/Lille) [->lucas.dermenghem@geo-avocats.com]

[1Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique

[2Articles L34-9-1-1 du Code des postes et des communications électroniques et L425-17 du Code de l’urbanisme

[3Par exemple CAA Douai, 13 sept. 2018, n° 17DA01709.

[4Articles L34-9-1-1 du Code des postes et des communications électroniques et L425-17 du Code de l’urbanisme.

[5TA Toulouse, 19 février 2014, n°1005366.

[6CE, 2 mars 2012, n°352013, Société Orange France.

[7Art. L34-9-1 du Code des postes et des communications électroniques.

[8Rapport de la Cour des Comptes « Réduire la fracture numérique mobile : le pari du « New deal » 4G », publié en juin 2021.

[9Article R423-23 du Code de l’urbanisme.

[10Articles A425-15 et suivants du Code de l’urbanisme.

[11Article A424-18 du Code de l’urbanisme.

[12Art. R600-1 du Code de l’urbanisme.

[13Art. L600-1-1 du Code de l’urbanisme.

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