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Lutte contre la désinformation : Avocats Sans Frontières et le projet IMPACT.
Parution : mardi 31 mai 2022
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Lancé début avril 2022, le projet IMPACT (Implication des Médias Numériques dans la Prévention Active des Conflits et Tensions) est mis en œuvre en Guinée et en Côte d’Ivoire par un Consortium mené par Avocats Sans Frontière France. En luttant contre la désinformation, la propagation de contenus haineux et la diffusion d’informations trompeuses, l’ambition est de maintenir la paix sociale dans des sociétés démocratiques et respectueuses des droits de l’Homme. Impossible pour un média comme le nôtre de ne pas souhaiter en savoir plus ! Nous nous sommes tournés vers Ahmed Sékou Touré, spécialiste en prévention des conflits et protection des droits humains et chef du projet IMPACT. Il nous l’explique en détail.

Village de la Justice : Pouvez-vous dire en quoi consiste le projet IMPACT ?

Ahmed Sékou Touré : « IMPACT est un projet qui a pour vocation de contribuer au renforcement d’une paix durable en Afrique de l’Ouest, à travers le renforcement de la société civile, en particulier des médias numériques dans la prévention des conflits.

Ce projet met en exergue l’exercice de la liberté d’expression, le cadre juridique dans lequel il s’inscrit et sa régulation dans l’espace numérique. Les actions de ce projet visent à lutter contre les dangers de l’information non « contrôlée » et contre les fausses informations et messages haineux. Corrélativement, le projet permet de promouvoir l’État de droit et de sensibiliser aux valeurs de la démocratie et la citoyenneté.

« IMPACT est un projet qui a pour vocation de contribuer au renforcement d’une paix durable en Afrique de l’Ouest. »

Le projet est mis en œuvre en Guinée et en Côte d’Ivoire pour une période de 24 mois. Ces deux pays ont été choisis comme zones d’intervention compte tenu des pratiques assez similaires dans l’usage des médias numériques par les communautés guinéennes et ivoiriennes surtout en période de crises et de tensions. S’inscrivant dans une dynamique sous-régionale, IMPACT aura des répercussions dans les pays voisins et contribuera à une amélioration notable de la prévention des conflits par les médias numériques ».

Pourquoi ce projet est-il nécessaire ? Quels en sont les enjeux ?

A.S.T. : « IMPACT répond à un besoin de renforcement des capacités et de sensibilisation de la population sur la désinformation et les fausses informations, en outillant les acteurs de la société civile, qu’il s’agisse des médias numériques, des journalistes citoyens ou encore de la jeunesse.

Aujourd’hui, force est de constater que la prolifération des supports de communication, avec la naissance de nombreux médias en ligne et de réseaux sociaux est devenue un couteau à double tranchant.

Il est vrai que l’avènement de ces nouveaux médias contribue fortement à l’expansion de la liberté d’expression et à l’accroissement de la démocratie. Il n’en demeure pas moins que leur mauvaise utilisation exerce une influence négative, en raison de la diffusion d’informations trompeuses, particulièrement pendant les périodes sensibles.

« IMPACT est né de la volonté de renforcer le rôle central de la société civile (...) dans la prévention des tensions. »

Cette mauvaise utilisation conduit à la désinformation et à la propagation de contenus haineux, qui, malheureusement, alimentent les conflits. C’est précisément pour pallier ces inconvénients, que s’inscrit l’enjeu du projet IMPACT, d’où son nom "Implication des Médias Numériques dans la Prévention Active des Conflits et Tensions".

En clair, IMPACT est né de la volonté de renforcer le rôle central de la société civile qu’il s’agisse des journalistes professionnels, des journalistes citoyens ou des communautés dans la prévention des tensions. »

Le premier axe d’intervention du projet est de faire un état des lieux des pratiques. Vous nous en dites un peu plus ?

A. S. T. : « Le projet est construit autour de trois axes d’intervention dont le premier consiste à faire un état des lieux des normes et pratiques en cours, dans les pays d’intervention, que sont la Guinée et la Côte d’Ivoire. L’objectif de cet état des lieux est de pouvoir dégager un cadre stratégique permettant aux médias de jouer un rôle positif dans la couverture et la prévention des conflits.

Il s’agira plus précisément d’un état des lieux des textes en vigueur liés à la liberté d’expression, des pratiques en cours et des risques pour les médias numériques. Cette étude comportera également un point sur les aspects d’investigation et de reporting des violations des droits humains. Ce rapport permettra une analyse comparée des législations, des pratiques et des risques notamment en Guinée et en Côte d’Ivoire.

Cet état des lieux va être réalisé sur place par des équipes des consultants, qui connaissent le monde des médias et les sujets de prévention des conflits. Et comme il s’agit aussi de faire une revue de l’ensemble des normes applicables, ils ont forcément des connaissances juridiques ! C’est cet état des lieux qui va baliser la suite des activités du projet. »

Ensuite, il sera question d’agir contre les pratiques disons… douteuses ?

A.S.T : « En effet oui ! Le deuxième axe d’activités répond à une dynamique de formation des médias numériques à la couverture des conflits, à la lutte contre la désinformation et les incitations à la haine et la violence. Ces formations vont produire des médias capables de traiter les conflits de manière équitable et de riposter face aux fausses nouvelles et aux "entrepreneurs de haine". Il est aussi prévu la création d’une plateforme sécurisée qui contient quatre fonctions concourant à la réactivité d’un système d’alerte, à savoir signaler, analyser, riposter et sensibiliser.

« C’est une sorte de système de modération et d’alerte contre les fake news. »

De nombreux journalistes en Guinée et de Côte d’Ivoire seront sélectionnés et formés à l’utilisation des outils et pourront, à chaque fois qu’ils constateront un message ou une information problématique, non seulement écrire sur le sujet – pour rectifier l’information par exemple –, mais aussi alerter l’opinion sur le contenu de ce média problématique. Comme vous le disiez, c’est une sorte de système de modération et d’alerte contre les fake news, qui mobilise une partie de la communauté des journalistes professionnels en Guinée et en Côte d’Ivoire. »

Et sur le 3e axe, il s’agit de sensibiliser aux dangers de l’information non contrôlée, ou plutôt non vérifiée ?

A. S. T. : « Les deux. En effet, le troisième axe est la suite logique du précédent. Il correspond à la sensibilisation des acteurs de la société civile qui interagissent avec les médias numériques sur le rôle de l’information et la communication. On aura ainsi des "caravanes de sensibilisation" pour toucher le plus grand nombre : le grand public bien sûr, mais aussi tous ceux qui interagissent avec les médias numériques et qui ne sont pas des professionnels, puisque, bien sûr, les journalistes professionnels n’ont pas le monopole de la communication !

« Il faut [sensibiliser] à une utilisation responsable et éthique des médias. »

C’est le cas par exemple des "journalistes citoyens" : ces personnes qui peuvent être témoins d’un événement et qui utilisent par exemple leur smartphone au cours de cet événement pour en parler sur les réseaux sociaux notamment. Il faut que ces personnes soient sensibilisées à une utilisation responsable et éthique des médias. Et tout ceci nécessite la mise en place d’un certain nombre de modules de formations et des actions de communication, à la fois pour sensibiliser et mobiliser. »

Qui sont les parties prenantes du projet ? Comment les choses s’organisent-elles concrètement ?

A. S. T. : « Le projet est financé par l’Union européenne, sous son Instrument contribuant à la Stabilité et à la Paix, pour un montant total de près de d’un million d’euros. Il est le fruit de la collaboration de cinq organisations :
- Avocats sans Frontières (ASF), qui, comme vous le savez, a pour mission de promouvoir l’accès à la Justice et au Droit et qui pilote le projet et coordonne le consortium ;
- Danaïdes, qui est une ONG qui développe des outils technologiques et des canaux de communication pour la protection des populations civiles dans les pays en zones conflictuelles ;
- AfricTivistes, qui est une organisation panafricaine composée de blogueurs et de web-activistes, basée au Sénégal. Elle va apporter son expertise en matière de couverture médiatique dans les pays en conflits et qui a déjà développé une audience dans l’Ouest africain sur le sujet de la lutte contre la désinformation et la sensibilisation à l’utilisation responsable des réseaux sociaux ;
- L’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI), qui promeut depuis plusieurs années la participation citoyenne à l’édification de la démocratie à travers le numérique, spécifiquement pendant les périodes sensibles comme les élections par exemple ;
- Et le Réseau des Professionnels de la Presse en Ligne de Côte d’Ivoire (REPPRELCI), qui va s’occuper plus particulièrement des activités de formation et de sensibilisation.

Les groupes cibles du projet sont les auteurs et les utilisateurs des média numériques et les bénéficiaires finaux sont les populations de Guinée et de Côte d’Ivoire.

Nous sommes dans une dynamique d’ouverture et comme je le disais tout à l’heure, même si la zone géographique du projet est pour l’instant délimitée à la Guinée et à la Cote d’Ivoire, notre ambition est de pouvoir répliquer les actions dans la sous-région ouest africaine. Donc toute forme d’appui technique ou financier de nature à nous aider dans le déroulement, la mise en œuvre et, surtout, dans la prolongation et la pérennisation du projet sera la bienvenue ! »

Interview d'Ahmed Sékou Touré réalisée par A. Dorange, Rédaction du Village de la Justice.