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Regard sur les litiges de consommation des services financiers dans l’espace UEMOA. Par Jonathan Péléni Koné, Doctorant.
Parution : jeudi 2 juin 2022
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L’inclusion financière prônée au sein de l’espace UEMOA peut-elle s’écarter de la protection des consommateurs ? Cette question mérite d’être élucidée pour une meilleure appréhension de la politique d’inclusion financière qui est devenue une thématique particulièrement importante dans les politiques et programmes des pays en développement.

En effet, l’on ne saurait denier l’impact grandissime des services financiers dans notre société contemporaine ainsi que leur apport bénéfique à la croissance à travers le financement du progrès technique et de l’innovation.
Ces services financiers apparaissant comme un levier du développement économique, voire le « mode de financement nécessaire d’une société de consommation ».

Selon le rapport annuel de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest BCEAO sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA au titre de l’année 2019, « Le taux global d’utilisation des services financiers s’est situé à 60,1% contre 55,5% un an auparavant ». Une performance reflétant notamment les efforts déployés dans l’Union par toutes les parties prenantes pour rendre les services financiers plus accessibles aux populations.

Le taux de pénétration démographique des services financiers étant consécutif d’une relation au sein du marché commun entre consommateurs et professionnels, force est de constater qu’en laissant libre cours aux forces du marché et en assouplissant les règlementations donnant accès à un plus grand nombre d’individus au marché financier, les consommateurs peuvent se retrouver victimes des effets néfastes de l’inclusion financière. Ainsi, pour parer au risque des consommateurs et dans le souci de permettre une meilleur(e) gestion ou traitement des difficultés et /ou des risques qui gangrènent ce droit des services financiers dont l’utilisation est souvent dévoyés, il est alors apparu nécessaire de s’intéresser à la question du traitement des litiges de consommation au sein de l’espace UEMOA.

Le secteur financier pouvant regorger certaines difficultés empiétant considérablement les droits du consommateur, notons qu’au sein de l’UEMOA, ces risques peuvent conduire à un litige de la consommation. A ce titre la notion de litige de consommation s’appréhende comme le contentieux afférent au secteur bancaire et financier résultant pour le consommateur d’une consommation des services financiers. Au sein de l’UEMOA il convient de noter que le litige de consommation peut être connu tant d’un point de vue communautaire que d’un point de vue des juridictions nationales. Dès lors, le cadre juridique du traitement des litiges de consommation dans l’espace UEMOA est-il participatif à une protection réelle du consommateur des services financiers ?

L’analyse textuelle nous donne de constater une complexité quant aux recours institutionnels du consommateur dans la résolution du litige de consommation (I), puis une difficile articulation de la compétence juridictionnelle des litiges de consommation (II).

I- La complexité quant aux recours institutionnels spécifiques en cas de litige de consommation.

Antérieurement, notons que la situation relative aux litiges de consommation était confiée aux administrations publiques nationales ou aux juridictions nationales de droit commun. Ces instances ayant la possibilité de connaitre du contentieux relatifs aux établissements bancaire et financiers.

Toutefois, notons que la fin de l’année 2020 a été marquée par une avancée notable en matière de litige de consommation notamment à travers l’adoption de la Circulaire n°002-2020/CB/C du 18 septembre 2020 relative au traitement des réclamations des clients des établissements assujettis au contrôle de la Commission Bancaire de l’UMOA.
Par conséquent au sens des dispositions de l’article 2 de la présente circulaire, elle s’applique aux produits et services bancaires offerts par les établissements assujettis qui regroupent les établissements de crédit, les établissements de monnaie électronique et les systèmes financiers décentralisés soumis au contrôle de la Commission Bancaire.

Toutefois, notons que dans sa mise en œuvre, cette circulaire recèle quelques difficultés quant à la protection du consommateur.

Il s’agira pour nous d’analyser le dispositif interne de traitement des réclamations des clients imposé aux établissements de monnaie électronique et aux établissements bancaires (A), puis analyser secondairement les mécanismes de communautaires de règlement des litiges de consommation (B).

A- Une ambiguïté du dispositif de traitement des réclamations des clients.

Au sens de l’approche définitionnelle retenue de la notion de réclamation par le vocabulaire juridique, notons qu’il s’appréhende comme étant l’action de réclamer, un acte par lequel un sujet de droit s’adresse à une autorité afin d’obtenir ce qu’il estime être son dû, de faire respecter son droit. En vertu des dispositions de l’article 4 de la présente Circulaire n°002-2020/CB/C du 18 septembre 2020 relative au traitement des réclamations des clients des établissements assujettis au contrôle de la Commission Bancaire de l’UMOA, les établissements assujetties sont tenus de se doter d’un dispositif interne de traitement des réclamations formulées par la clientèle. Ainsi, il est fait mention que le dispositif interne doit être proportionnel à la taille de l’établissement assujetti, à sa structure, à la comptabilité de ses activités et à son profil de risque.

En particulier, les établissements assujettis doivent porter à la connaissance de la clientèle les informations afférentes au dispositif interne de traitement des réclamations notamment par voie d’affichage, sur leur site internet ainsi que dans les documents contractuels, à l’occasion de la fourniture d’un produit ou service financier.

Toutefois, se fondant sur les dispositions prévues dans la zone CEMAC, les associations de consommateurs régulièrement déclarées à la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) peuvent, si elles ont été agréées à cette fin par les autorités nationales, assister les consommateurs dans le traitement des réclamations auprès des établissements assujettis. Il serait bienséant pour le législateur communautaire de procéder à une modification des dispositions en la matière afin de permettre aux consommateurs de la zone UEMOA de pouvoir se faire assister des associations de consommateurs qui pourront mieux défendre leur droit en face d’un service financier mieux aguerri. Dans cette situation, l’asymétrie d’information résultant de la complexité du domaine ne saurait contribuer en la satisfaction de la prétention du consommateur UEMOA.

Considérant l’instruction UEMOA relative à la monnaie électronique, notons que celle-ci prévoit que les émetteurs de monnaie électronique mettent en place des dispositifs pour traiter les réclamations, tant des clients que des accepteurs. Ces systèmes doivent être accessibles au travers de plusieurs canaux de communication à tout moment, définir des délais pour la résolution des réclamations, et suivre toutes les réclamations reçues et traitées. Toutefois, Ces exigences ne sont pas énoncées en détail. Ainsi, les procédures ne sont pas standardisées, et les fournisseurs ne sont pas, de plus, tenus d’informer les consommateurs de la façon dont leurs plaintes doivent être traitées.
Or, cette situation ne saurait être de nature à préserver la protection du consommateur. L’information étant un élément déterminant à la protection du consommateur des services financiers, il aurait été bienséant que le consommateur puisse être informé de la procédure dans le fond. Aussi une information des méthodes de traitement des réclamations permettra de protéger efficacement le consommateur. Il appartiendra au législateur communautaire de définir, de réadaptera la réglementation en faveur d’une bonne protection du consommateur.

La question se pose également de savoir si l’épuisement des voies de recours internes aux établissements assujettis est également une condition de recevabilité des actions en justice devant les juridictions nationales en matière de contentieux bancaire et financier dans l’UEMOA. En effet, s’il n’est pas contesté que la circulaire est un acte communautaire de droit dérivé bénéficiant du principe d’applicabilité directe et de primauté sur les normes nationales, alors il n’est pas infondé d’affirmer que la disposition devraient s’appliquer en lieu et place des règles nationales de procédure notamment les dispositions des codes nationaux de procédure civile.
De ce fait, cette circulaire en dépit de son caractère supranational peut-elle coexister avec la législation interne des Etats en matière de procédure civile ? Ne serait-ce pas bienséant pour les Etats de procéder à une modification de la législation en matière procédure civile du contentieux à la réglementation bancaire et financière ? Ces questions relevant d’une importance capitale pour la protection du consommateur, il demeure nécessaire pour le législateur communautaire UEMOA de pouvoir s’y appesantir.

Notons que lorsque les voies de recours internes aux établissements de crédit sont épuisées, les clients et usagers peuvent avoir recours aux mécanismes de règlement des différends institués par les textes communautaires. Il s’agira pour nous de procéder à une analyse de la phase contentieuse devant l’institution communautaire qu’est la Commission Bancaire de l’UEMOA.

B- Une approche contrastée du recours aux mécanismes communautaire de traitement des litiges de consommation.

Antérieurement sous le prisme des anciennes dispositions communautaires, notamment le traité de 2007 de l’UMOA, notons que la Commission Bancaire de l’UMOA jouissait d’une compétence spécifique. Ainsi, elle était un organe chargé de veiller à l’organisation et au contrôle des banques et établissements financiers vis-à-vis de la réglementation applicable en la matière. La commission bancaire disposait d’une compétence spécifique au contrôle des services financiers.

Toutefois, dans le but de contribuer en la protection du consommateur des services financiers, au sens des dispositions l’article 11 de la Circulaire n°002-2020/CB/C du 18 septembre 2020 relative au traitement des réclamations des clients des établissements assujettis au contrôle de la Commission Bancaire de l’UMOA, il est fait mention que ; tout client non satisfait du traitement réservé à sa requête par l’établissement assujetti ou qui n’a pas reçu de réponse dans le délai d’un mois conformément à l’article 7, peut saisir la Commission Bancaire de l’UMOA. Cette disposition entrée en vigueur le 18 septembre 2020, vient pour se faire affirmer une avancée communautaire quant à la protection du consommateur des services financiers.

Ainsi, il est fait mention qu’avant de statuer sur le bien-fondé de la requête, la Commission Bancaire de l’UMOA en apprécie la recevabilité sur la base de l’article 12, notamment des critères ci-après mentionnés : la demande doit être liée aux produits et/ou services financiers fournis par l’établissement assujetti ; la demande doit avoir été préalablement soumise par le requérant à l’établissement assujetti ; et la demande ne doit pas faire l’objet d’un examen par une instance judiciaire, extra-judiciaire ou administrative, en particulier par les mécanismes de règlement des litiges mis en place dans le cadre des observatoires de la qualité des services financiers.

Suivant les dispositions de l’article 11 de la présente circulaire, la Commission Bancaire dispose alors d’un délai de soixante jours calendaires, à compter de la date de réception du dossier complet, pour instruire la réclamation du client. Lorsque la réclamation résulte d’un non-respect de la réglementation en vigueur, les correctifs nécessaires sont apportés par l’établissement assujetti à la demande de la Commission Bancaire de l’UMOA. En outre, le client est informé de la suite réservée à sa réclamation.

Cette initiative communautaire étant salutaire au regard de la protection des consommateurs des services financiers dans l’espace UMEOA, notons toutefois, que cette commission n’est pas sans poser de problèmes juridiques.

La question de la valeur juridique de la réponse de la Commission bancaire se pose. S’impose-t-elle aux parties ? Qu’en n’est-il de sa force contraignante ? Quelle est la nature de cette décision ? Est-ce un acte juridictionnel ? Une mesure admirative communautaire ? Une mesure institutionnelle ?

En principe à l’égard des établissements assujettis, l’action résultant d’une violation de la réglementation bancaire, de microfinance et de monnaie électronique peut être considérée comme une injonction c’est-à-dire une mesure administrative, dont le non-respect peut entraîner une sanction disciplinaire et pécuniaire à l’égard de l’établissement en cause. Par conséquent, les clients et usagers insatisfaits devraient pouvoir exercer des recours contre les réponses de la Commission Bancaire devant la Cour de Justice de l’UEMOA puisque celles-ci sont des décisions d’une institution communautaire.
Cependant, la condition de recevabilité des réclamations par la Commission Bancaire de l’UMOA afférente notamment à l’exclusion des demandes faisant l’objet d’un examen par une instance judiciaire, extra-judiciaire ou administrative, en particulier par les observatoires de la qualité des services financiers institués au Sénégal et en Côte d’Ivoire ne manquera pas de soulever certains problèmes juridiques. En effet, si la demande a déjà fait l’objet d’un examen par ces instances, un recours devant la Commission Bancaire de l’UMOA est-il toujours possible ? Si le dossier est en instruction par la Commission Bancaire, quelle doit être l’attitude des instances judiciaire, extra-judiciaire ou administrative ? Quelle est la portée des réponses de la Commission Bancaire vis-à-vis des instances ?

L’on peut également s’interroger sur l’étendue des pouvoirs de la Commission Bancaire. Peut-elle quantifier ou allouer des dommages et intérêts aux clients et usagers des établissements assujettis ? En définitive, les destinataires traditionnels des décisions de la Commission Bancaire étant les établissements assujettis et leurs dirigeants en application de l’Annexe à la Convention régissant la Commission Bancaire de l’UMOA, l’inclusion des clients et usagers parmi ces destinataires dans le cadre de litiges horizontaux constitue incontestablement un facteur nouveau qui modifiera la logique du contentieux communautaire notamment dans son articulation avec les ordres juridiques nationaux.

Le litige auprès des institutions communautaires soulevant quelques difficultés à égard du consommateur du consommateur des services financiers, il convient de s’intéresser à la résolution des litiges de consommation d’un point de vue juridictionnelle.

II- La difficile articulation de la compétence juridictionnelle aux litiges de consommation.

En principe la justice fait partie des institutions les plus importantes, tant par son statut par rapport aux autres pouvoirs que par son rôle. L’action de la justice partout est de plus en plus attendue, les populations étant elles-mêmes de plus en plus conscientes de la nécessité pour le juge de dire le droit et de défendre leurs libertés lorsqu’elles sont menacées, notamment lorsque le contentieux résulte du secteur bancaire et financier. Ce faisant, le juge contribue de manière non-négligeable à la gestion de l’économie et partant à la consolidation du marché financier, toute en protégeant l’intérêt du consommateur.
Au sein de dans l’espace U.E.M.O.A, l’on note toutefois une difficile articulation quant à la compétence juridictionnelle aux litiges de consommation afférente au secteur financier.
Effet, cette situation résulte notamment l’uniformité d’interprétation de la réglementation bancaire et financière (A) puis, de l’effectivité de la compétence de la Cour de justice de l’UEMOA en matière bancaire (B).

A- La question de l’uniformité d’interprétation de la réglementation bancaire et financière.

Il convient de noter que suivant l’application des dispositions communautaires dans l’espace UEMOA, les juges peuvent être confrontés à l’interprétation des normes communautaires, les juges peuvent poser ainsi des questions préjudicielles. Par conséquent, dans le souci d’une application uniforme des normes uniformes, il est institué au sein de l’espace de UEMOA un système de coordination entre la juridiction communautaire, et celles qui sont propres aux territoires des Etats parties. En effet ont aurait couru le risque d’une incohérence si les juridictions nationales pouvaient chacune de manière séparée, et selon leur bon vouloir et leur entendement, interpréter le droit communautaire.
Or en laissant la possibilité aux Etats de pouvoir eux même interpréter les normes communautaires, il y aurait autant d’interprétations que de juridictions nationales, et par conséquent l’uniformisation serait fortement obérée. Pour cette raison l’analyse des textes fondamentaux de l’UEMOA révèle que c’est à la juridiction communautaire qu’est dévolue la mission d’interprétation des normes communautaires en cas de difficultés pour leur application dans un litige au plan interne. La Cour de justice de l’UEMOA dispose alors de l’exclusivité du règlement des litiges afférent à l’interprétation ou l’application du droit communautaire.
L’interprétation consiste à préciser le sens et la portée des dispositions du droit communautaire.

Cependant qu’en-est-il de l’interprétation des dispositions communautaires en matière afférent aux services financiers dans l’espace UEMOA ?

En principe hormis la saisine de la commission Bancaire de l’UEMOA en vue d’un règlement du litige de consommation, notons que les juridictions de droit commun des Etats membres disposent d’une compétence leur permettant de connaitre des litiges de consommation des services financiers.
Cependant, la compétence des juridictions nationales pour connaitre des litiges relatifs à l’application de réglementations uniformes à huit Etats membres pose la question de l’existence d’une juridiction supranationale chargée d’assurer l’uniformité d’interprétation et d’application de la réglementation bancaire et financière. En effet, des incertitudes juridiques persistent quant à l’effectivité de la compétence de la Cour de justice de l’UEMOA pour jouer ce rôle d’uniformisation de l’interprétation et de l’application du droit bancaire et financier.

Existe-t-il une juridiction supranationale en matière bancaire dans le droit communautaire UEMOA ?
Force est de constater l’inexistence d’une hiérarchisation entre les différentes juridictions, ce qui n’est pas sans poser de problèmes entre un conflit de juridiction sur certaines questions entre la CJ-UEMOA, la CCJA et la cour de justice de la CEDEAO.

Pour comprendre l’importance de ce rôle de la juridiction communautaire, il est utile de rappeler que c’est à la suite d’un renvoi préjudiciel du Conseil d’Etat français que la Cour de Justice de l’Union Européenne a indiqué que la réglementation bancaire française qui interdisait aux établissements de crédit de rémunérer les comptes de dépôts à vue libellés en euros, ouverts par les résidents en France, constituait une atteinte à la protection des consommateur des services financiers, dont contrevenait à la liberté d’établissement notamment à l’ancien article 43 du Traité CE.

En vue d’apprécier l’effectivité du contentieux en interprétation de la réglementation bancaire, il convient de s’intéresser à la question de l’effectivité de la compétence de la Cour de justice de l’UEMOA en matière bancaire.

B- La question de l’effectivité de la compétence de la Cour de justice de l’UEMOA résultant d’un litige de consommation.

La cour de justice de l’UEMOA est-elle compétente pour connaitre du contentieux relevant d’un litige de consommation à l’égard des services financiers ?
En principe la Cour de Justice de l’UEMOA veille à l’interprétation uniforme du droit communautaire et à son application et juge, notamment, les manquements des Etats à leurs "obligations communautaires". Elle doit ainsi protéger l’esprit du Traité, s’assurer de sa bonne application, construire et promouvoir le droit communautaire de l’UEMOA, afin d’instaurer au plan économique un véritable état de droit dans l’espace UEMOA. La cour de justice de l’UEMOA arbitre les conflits entre les Etats membres ou entre l’Union et ses agents.

La Cour de justice juge les manquements des Etats à leurs "obligations communautaires".
En matière de concurrence, Elle apprécie la légalité des décisions prises par la Commission relativement dans les cas d’ententes et d’abus de position dominante. Elle peut être saisie en ce sens par un État membre ou toute personne physique ou morale intéressée. Toutefois la question se pose de savoir si la cour de justice de l’UEMOA est compétente pour connaitre du contentieux de litige de consommation relevant du domaine bancaire et financier. Notons qu’il existe une succession de jurisprudence en la matière sujette à discussion.
En effet un autre arrêt a été rendu par la Cour de Justice de l’UEMOA suite à un recours en appréciation de légalité (recours en annulation) introduit par un ancien fonctionnaire de l’UEMOA contre une décision du Conseil de l’UMOA confirmant une décision de la Commission bancaire décision n° 213/CBS, le relevant de ses fonctions de commissaire aux comptes titulaire au sein de la banque africaine d’investissement (BAI). Conformément aux dispositions combinées de l’article 8 al 1 in fine et de l’article 16 du protocole additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l’Union, M. Moutairou a saisi la Cour de justice de l’UEMOA aux fins de voir annuler les décisions respectives de la Commission bancaire et du conseil des ministres de l’UMOA. En dépit de la contestation de la recevabilité de la décision auprès de la Cour de justice de l’UEMOA, les juges de la Cour ont débouté M. Moutairou et estimé que sa demande était mal fondée.

Dans un autre arrêt Charles Afolabi Abiola C/ Conseil des Ministres et Commission Bancaire de l’UMOA, notons que Monsieur Charles ABIALA, a introduit un recours en annulation de la décision n° 1941/MEF/ES-01 du 06 avril 2009 du Conseil des Ministres de l’UMOA confirmant la décision n° 372/CB/C du 15 décembre 2008 de la Commission Bancaire portant sa démission d’office des fonctions de Président du Conseil d’administration de « African Investment Bank (A.I.B.) S.A ».
Il ressort de cet arrêt que les juges des de CJ-UEMOA ayant confirmé leur recevabilité à la présente requête ont débouté Monsieur Charles ABIALA de sa demande de recours en annulation.

Notons toutefois qu’en l’espèce, dans ces précédents arrêts, il s’agissait de litiges relatifs aux sanctions disciplinaires infligées par la Commission Bancaire de l’UMOA à des dirigeants de banques et non de litiges de consommation. Cependant quid de la compétence de la Cour de Justice de l’UEMOA d’une question préjudicielle relative à l’application du droit bancaire ou financier ? La cour de justice l’UEMOA peut-elle affirmer sa recevabilité en la matière ?

En effet dans un autre arrêt entre le Sieur Jean-Yves Sinzogan et la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la cour de justice de l’UEMOA a été saisie par le Sieur Jean Yves SINZOGAN d’un recours en annulation d’une Décision de licenciement à son encontre. Le Sieur Jean Yves SINZOGAN ayant décidé de se présenter aux élections présidentielles de son pays, s’est pour des raisons qu’il explicitera plus tard, absenté de son poste travail dès après sa prise de service sans demander au préalable l’autorisation de sa hiérarchie. Un acte qui lui a valu une sanction disciplinaire pus un licenciement de la part de son employeur la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Le fait remarquable dans cet arrêt est que suite à cette action, la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a affirmé l’incompétence de la Cour de justice de l’UEMOA en se fondant sur les Traités de l’UMOA et de l‘UEMOA, le Protocole Additionnel n°1, le Règlement de Procédures de la Cour.

Suivant les prétentions de la Banque Centrale : « les articles 5 du Traité de l’UMOA et 16 du Traité de l’UEMOA et ses propres statuts ont fait de la BCEAO une institution spécialisée non justiciable de la Cour de justice. Elle a comme mission essentielle d’apporter son « concours » aux politiques monétaires des Etats membres et non « poursuivre la réalisation de leurs objectifs » (art 4 Traité UEMOA).Ses statuts en ont fait un établissement public international doté de la personnalité juridique, disposant d’une autonomie financière, capable d’acquérir, de disposer et d’ester ».

Ainsi la BCEAO estime que les dispositions des articles 8 et suivants du Protocole Additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA reprises par le Règlement de Procédures n°1 du 01/96/CM/UEMOA (art.14) assignent à la Cour de justice, la mission exclusive « de veiller au respect du droit quant à l’interprétation et l’application du Traité de l’UEMOA et des actes pris en application ». La BCEAO considère alors que, n’étant pas un organe de l’UEMOA, la Cour ne saurait appliquer le statut de son personnel dans un litige qui l’oppose à son agent. A l’issu de cet arrêt notons que la Cour de justice de l’UEMOA a estimé qu’elle était compétente au regard du fait qu’aux termes de ces dispositions, la Cour de Justice « statue sur tout litige entre les organes de l’Union et leurs agents dans les conditions déterminées au statut du personnel ».

Considérant les prétentions évoquées en la matière par la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), cet arrêt nous semble fortement critiquable. Suivant le sens des dispositions du Protocole Additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA, en son article 8, que le recours en appréciation de la légalité devant la CJ-UEMOA est ouvert à toute personne physique ou morale contre tout acte d’un organe de l’union lui faisant grief. Aussi, comme susmentionné, le Règlement de Procédures n°1 du 01/96/CM/UEMOA assignant en son article 14 à la CJ-UEMOA la mission « de veiller au respect du droit quant à l’interprétation et l’application du Traité de l’UEMOA et des actes pris en application ».
La banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) souhaitant se détacher en tant qu’un organe de l’UEMOA, Dès lors la Cour peut-elle légitiment connaitre un litige de consommation relevant du contentieux bancaire financier ?

En tout état de cause, cette question du litige de consommation demeure pour notre part une question essentielle qui mériterait une réflexion profonde.

Bibliographie

Articles et autres études doctrinales :
- A. Ghozi, L’endettement et le droit privé, op. cit., 113, V. à ce sujet, Myriam Mehanna, « La prise en compte de l’intérêt du cocontractant », Thèse de doctorat en droit, Université Panthéon-Assas, décembre 2014, P.445 ;
- Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Rapport sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA au cours de l’année 2018, Juillet 2019, P.8.
- Bérenger Abou N’Guessan, Analyse comparée des évolutions du crédit et de l’activité économique dans l’UEMOA, Document d’Etude et de Recherche, Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest BCEAO, N° DER/10/01 - Juin 2010, P.4 ;
- Daniel Amagoin Tessougue, UEMOA Cour de Justice, en ligne, (Consulté 19 Mai 2022 2021 à 10h44) ;
- Direction Générale des Opérations et de l’Inclusion Financière, Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest BCEAO, Rapport annuel sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA au titre de l’année 2019, Octobre 2020, P.6 ;
- Djibril Welle, « La consécration d’une véritable notion juridique de régulation au sein de l’UEMOA et de l’UE » Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master Droit de l’Intégration et de l’OMC 2007, P.34 ;
- Dramane Sanou, Du nouveau en matière de règlement des litiges de consommation des produits et services bancaires et financiers dans l’UEMOA et dans la CEMAC, Financial Afrik, en ligne (Consulté le 19 Mai 2022 à 18h49) ;
- Note politique de l’alliance pour l’inclusion financière, La protection des consommateurs harmoniser les règles en matière d’inclusion financière, Bangkok, Thaïlande, 2010, P.2 ;
- Patrick Meagher, Cadre réglementaire pour les services financiers numériques en Côte d’Ivoire, Etude diagnostique, Working Paper, Juillet 2017, P. 12
- Yawovi BATCHASSI, La Cour de justice de l’Union économique et monétaire Ouest Africain (UEMOA), Observations, Avis n 001 du 2 février 2000, P 2.

Thèses et mémoires :
- Samba Diouf, “L’Intégration Juridique en Afrique : L’exemple de l’UEMOA et de l’OHADA », Université Cheikh ANTA Diop de DAKAR Ecole Doctorale Régionale Africaine (EDRA) - DEA en Droit de l’Intégration et du système OMC 2005, P. 47.
- Malick Ndiaye, « La régulation des services financiers numériques au sein de l’UEMOA : une quête d’inclusion financière à la lumière des approches de régulation innovantes », Thèse professionnelle réalisée dans le cadre du Mastère Spécialisé : Régulation de l’économie numérique, Session 2015 – 2016, P. 1.
- Ibrahim Zoungrana, « Réflexions autour de la protection des consommateurs de la zone UEMOA dans sa perspective d’intégration économique communautaire : Étude comparative avec le droit européen (Français) », Thèse de doctorat en Droit. Université de Perpignan, 2016, P.8.

Jurisprudence :
- L’aff. N° 04/2013, Toïdi Moutairou et autres c. Conseil des ministres de l’UMOA/Commission bancaire de la BCEAO, 18 décembre 2013 ;
- Arrêt n°03/2013, Charles Afolabi Abiola C/ Conseil des Ministres et Commission Bancaire de l’UMOA ;
- La décision n° 1941/MEF/ES-01 du 06 avril 2009 du Conseil des Ministres de l’UMOA ;
- Arrêt Cour de justice UEMOA, 28 mars 2017, Sieur Jean-Yves Sinzogan/Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Textes et documents officiels :
- Article 8 du protocole Additionnel n°1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA ;
- Circulaire n°002-2020/CB/C du 18 septembre 2020 relative au traitement des réclamations des clients des établissements assujettis au contrôle de la Commission Bancaire de l’UMOA ;
- Article 2 de la Circulaire n°002-2020/CB/C du 18 septembre 2020 relative au traitement des
- Article 43 de l’ancien traité de l’Union Européenne.
- La Décision n°012/24/06/2016/CM/UMOA du 24 juin 2016 portant adoption d’une politique et d’une stratégie régionale d’inclusion financière dans l’UEMOA définit l’inclusion financière comme l’accès permanent des populations de l’UEMOA à une gamme diversifiée de produits et services financiers adaptés, à coûts abordables, et utilisés de manière effective, efficace et efficiente.
- Décision n° 213/CBS commission Bancaire de l’UEMOA.
- Décret n°2009-95 en date du 02 octobre 2008, portant création et organisation de l’Observatoire de la Qualité des Services Financiers (O.Q.S.F/Sénégal)
- Aux termes du décret n°2016-1136 du 21 décembre 2016, portant création, organisation et fonctionnement de l’Observatoire de la Qualité des Services Financiers en Côte d’Ivoire (OQSF-CI).
- Circulaire n°002-2020/CB/C du 18 septembre 2020 relative au traitement des réclamations des clients des établissements assujettis au contrôle de la Commission Bancaire de l’UMOA.

Jonathan Péléni Koné, Doctorant [->Jonathankone75@gmail.com]