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La convention judiciaire d’intérêt public - CJIP. Par Avi Bitton, Avocat et Oreline Claudepierre, Juriste.
Parution : vendredi 3 juin 2022
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Qu’est-ce que la convention judiciaire d’intérêt public ?
Quels types d’infractions peuvent faire l’objet d’une CJIP ?
Quelles sont ses conditions de mise en œuvre ?
Quels sont les avantages de cette procédure ?
Les réponses dans cet article.

La Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) a été créée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

La loi du 24 décembre 2020 est venue étendre le domaine de la CJIP à la matière environnementale.

La CJIP est actuellement régie par les articles 41-1-2 et 41-1-3 du code de procédure pénale ainsi que les articles R15-33-60-1 et suivants.

I. Définition.

La Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) est une alternative aux poursuites qui consiste, avant la mise en mouvement de l’action publique, en la conclusion d’une convention entre le procureur de la République et une personne morale mise en cause pour des faits d’atteinte à la probité ou à l’environnement.

II. Conditions de mise en œuvre.

La CJIP ne peut pas être conclue dans n’importe quelle situation.

En effet :
- La CJIP ne peut être conclue qu’entre le procureur de la République et une personne morale (association, entreprise, etc.) ;
- De plus, cette personne morale doit être mise en cause, c’est-à-dire soupçonnée d’avoir commis une infraction ;
- Seuls certains délits sont visés :
- Délits d’atteinte à la probité [1].
Par exemple, le trafic d’influence, la corruption ou encore leur blanchiment.
- Délits prévus par le Code de l’environnement et les infractions qui leur sont connexes [2].

Il faut préciser qu’une telle convention peut être proposée dans le cadre d’une enquête préliminaire ou dans le cadre d’une information judiciaire [3].

III. Contenu de la CJIP.

La CJIP est une convention qui prévoit une ou plusieurs obligations à l’encontre de la personne morale qui est soupçonnée d’avoir commis un des délits précités [4] :

Le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public.

Etant précisé que le montant de l’amende est fixé proportionnellement aux avantages tirés de l’infraction, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel (ce chiffre d’affaire est calculé sur les 3 derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements).

Le versement de l’amende peut être échelonné sur une période qui ne peut être supérieure à 1 an et qui est précisée par la convention. Le procureur de la République fixe alors l’échéancier.

La soumission à un programme de mise en conformité pour une durée maximale de 3 ans.

- En cas d’atteinte à la probité, ce programme vise à la mise en place de dispositifs permettant de prévenir et lutter en interne contre ces atteintes.
Il peut s’agir par exemple d’un code de conduite, d’une cartographie des risques, d’un régime disciplinaire ou encore d’un dispositif d’alerte interne (mesures de l’article 131-39-2 du code pénal).
En cas de mise en place d’un tel programme, l’Agence française anticorruption (AFA) sera chargée d’en contrôler l’exécution.

- En cas d’atteinte à l’environnement, le programme vise à régulariser la situation de la personne morale concernée au regard de la loi ou des règlements.
Les services compétents du ministère chargé de l’environnement contrôleront son exécution :
- La réparation des dommages causés par l’infraction, lorsqu’une victime est identifiée ; dans un délai qui ne peut être supérieur à 1 an ;
- La réparation du préjudice écologique résultant de l’infraction (en cas d’atteinte à l’environnement), et ce dans un délai maximal de 3 ans.

IV. La procédure de conclusion d’une CJIP.

La procédure se déroule en deux temps :
- La proposition de CJIP par le procureur de la République d’abord ;
- La validation de la CJIP par le président du Tribunal judiciaire ensuite.

A. La proposition de CJIP par le procureur de la République.

S’agissant d’une alternative aux poursuites, la CJIP doit être proposée par le procureur et conclue avant la mise en mouvement de l’action publique.

Lorsqu’il décide de proposer de recourir à la CJIP, le procureur doit informer la victime - lorsque celle-ci est identifiée - de sa décision et fixer le délai dans lequel elle peut transmettre tout élément de nature à établir le préjudice subi [5].

Cette proposition doit contenir certains éléments :
- La dénomination sociale de la personne morale concernée ;
- Un descriptif précis des faits ainsi que leur qualification juridique ;
- La nature et le quantum des obligations proposées ainsi que les délais et leurs modalités ;
- Le montant maximum des frais exposés pour le contrôle de la mise en œuvre du programme et qui seront supportés par la personne morale mise en cause [6].
Il faut également préciser le service en charge du contrôle du programme :
- Le montant et les modalités de la réparation des dommages causés.

La proposition doit être adressée aux représentants légaux de la personne morale par lettre recommandée avec accusé de réception. Ceux-ci doivent être informés, dès la proposition du procureur, de la possibilité de se faire assister d’un avocat avant de donner leur accord à la proposition de convention.

Enfin, la proposition de CJIP doit être signée par le procureur ainsi que les représentants légaux de la personne morale.

B. La validation de la CJIP par le président du Tribunal judiciaire.

Une fois la convention signée, le procureur saisit par requête le président du Tribunal judiciaire aux fins de validation. La proposition de convention est jointe à cette requête.

Une audience publique est alors organisée : la personne morale mise en cause et la victime sont entendues. Les deux peuvent être assistées de leur avocat.

Pour se prononcer, le président doit vérifier le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de celle-ci, la conformité du montant de l’amende aux limites prévues ainsi que la proportionnalité des mesures.

A l’issue de l’audition, le président du Tribunal judiciaire prend la décision de valider ou non la CJIP, étant précisé que cette décision est notifiée à la personne morale et la victime et est insusceptible de recours. Dès lors, un pourvoi formé contre l’ordonnance de validation ne peut être admis [7].

Deux situations sont envisageables :

- Si le président du tribunal rend une ordonnance de validation, la personne morale a 10 jours pour exercer son droit de rétractation. A défaut de l’exercice de ce droit, les obligations de la CJIP seront mises à exécution. En revanche, si la personne morale se rétracte, la proposition sera caduque. La rétractation devra être notifiée au procureur par LRAR.

Il est important de souligner que l’ordonnance de validation n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a pas la nature ni les effets d’un jugement de condamnation. Dès lors, elle ne sera pas inscrite au bulletin n°1 du casier judiciaire.

L’ordonnance de validation fait cependant l’objet d’un communiqué de presse du procureur.

De plus, l’ordonnance est publiée ainsi que le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sur les sites internet :
- Du ministère de la Justice et du ministère du Budget en cas d’atteinte à la probité ;
- Du ministère de la Justice et du ministère chargé de l’Environnement et de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise en cas d’infraction au code de l’environnement (ou à défaut sur le site de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune appartient).

- Si le président ne valide pas la proposition de convention, le procureur mettra en mouvement l’action publique. Il en est de même si la personne morale mise en cause exerce son droit de rétractation.

Dans ce cas, le procureur ne pourra faire état devant la juridiction d’instruction ou de jugement des déclarations faites ou des documents remis par la personne morale au cours de la procédure de CJIP.

En revanche, le dossier de procédure est joint au dossier de la procédure dont est saisie la juridiction de jugement afin qu’il puisse être tenu compte, en cas de condamnation, de l’exécution partielle des obligations mises à la charge de la personne morale [8].

V. Exécution de la CJIP.

Durant l’exécution de la CJIP, la prescription de l’action publique est suspendue.

A l’issue de l’exécution, deux situations sont à distinguer :
- Si les obligations prévues par la CJIP ont été intégralement exécutées, le procureur avise les représentants de la personne morale - ainsi que la victime si elle est identifiée - de l’extinction de l’action publique ;
- Si les obligations prévues par la CJIP ne sont pas intégralement exécutées, l’interruption de l’exécution de la CJIP est constatée par le procureur et notifiée par celui-ci à la personne morale mise en cause. Elle entraîne de plein droit la restitution de l’amende d’intérêt public versée au Trésor public. En revanche, le procureur mettra en mouvement l’action publique, sauf élément nouveau.

VI. Les avantages de la CJIP.

La CJIP présente de nombreux avantages pour la personne morale mise en cause :
- L’absence d’aléa judiciaire ;
- L’absence de sanctions indirectes telles que l’exclusion de l’accès aux marchés publics ;
- L’absence de déclaration de culpabilité.

Mais cette mesure présente également de nombreux avantages pour le parquet :
- La célérité de la réponse pénale ;
- L’allègement de la démonstration de la preuve ;
- Le prononcé d’une amende d’un montant conséquent.

VII. Exemples de CJIP conclues.

A. En matière d’atteinte à la probité.

Le 14 novembre 2017, le président du TGI de Paris a homologué la première CJIP concernant la banque HSBC. La banque reconnaît les faits de démarchage bancaire et financier illicite et de blanchiment illicite aggravé de fraude fiscale. Elle s’est notamment engagée au paiement d’une amende et de dommages et intérêts à hauteur de 300 millions d’euros.

De plus, le 29 janvier 2020, la 6ème CJIP a été signée avec la société Airbus pour des faits de corruption d’agent public étranger, abus de biens sociaux, abus de confiance, escroqueries en bande organisée, blanchiment de ces délits, faux et usage de faux. L’amende d’intérêt public s’élève à plus de 2 milliards d’euros.

Enfin, le 15 décembre 2021, une CJIP a été conclue avec la société LVMH pour des faits de trafic d’influence, recel et autres infractions connexes. La société s’est engagée à payer une amende d’intérêt public de 10 millions d’euros.

B. En matière d’atteinte à l’environnement.

Le 16 décembre 2021, la première CJIP en matière environnementale a été conclue pour des faits de déversement de substances nuisibles dans les eaux souterraines superficielles ou de la mer. Elle prévoit :
- Une amende versée au Trésor public d’un montant de 5 000 euros ;
- Un programme de mise en conformité d’une durée de 30 mois ;
- La réparation du préjudice environnemental.

Le 18 février 2022, le Tribunal judiciaire du Puy en Velay a validé la seconde CJIP environnementale pour des faits de déversement en eau douce de substances nuisibles. Elle concerne le Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) des Beaudor. Il s’agissait du déversement dans la Sérigoule de lisier émanant de l’exploitation agricole. A l’issue de cette CJIP, le GAEC s’est engagé :
- Au paiement d’une amende de 1000 euros ;
- A s’astreindre à un programme de mise en conformité d’une durée de 30 mois ;
- A réparer le préjudice environnemental à hauteur de 23 688€ au bénéfice de la Fédération départementale de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPMA) dans un délai de six mois.

Avi Bitton, Avocat, et Oreline Claudepierre, juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Article 41-1-2 du Code de procédure pénale.

[2Article 41-1-3 du CPP.

[3Article R15-33-60-9 du CPP.

[4Article 41-1-2 et 41-1-3 du CPP.

[5Art. R15-33-60-1 du CPP.

[6R15-33-60-2 du CPP.

[7Cass, Crim, 12 avr. 2021, n° 21-81.865.

[8Art. R15-33-60-10 du CPP.

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