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NFTs : quelle rémunération pour l’artiste ? Par Jonathan Pouget, Avocat.
Parution : jeudi 2 juin 2022
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Les NFTs (Non-Fongibles Tokens) sont le plus souvent des jetons représentatifs d’une œuvre d’art qui ont vocation à être déployés sur une Blockchain (Ethereum, Polygon, Solana, Klaytn, Elrond...). Les NFTs d’un même projet sont regroupés au sein d’une "collection". Des artistes sont amenés à travailler avec des équipes porteuses de projets NFTs. Dans l’optique d’une vente des NFTs, à quelle type de rémunération peuvent-ils alors prétendre ?

Comme mentionné dans un article précédent : NFT : faut-il prévoir un contrat de cession de droits d’auteur avec l’artiste ?, le contrat de cession de droits d’auteur constitue l’acte juridique le plus efficace afin de permettre à une société porteuse d’un projet NFT d’exploiter commercialement les œuvres d’un artiste notamment sous forme de NFTs.

En l’absence d’un tel contrat, l’artiste pourrait être en mesure de réclamer à la société la totalité des gains tirés des ventes initiales des NFTs (MINT) et des royalties, du fait d’une exploitation commerciale qui serait exercée en fraude des droits de l’artiste.

Par ailleurs, des règles s’imposent en matière d’intéressement financier de l’artiste.

En effet, il existe un principe d’intéressement proportionnel (I) au bénéfice de l’artiste, mais qui peut dans certains cas être tempéré par l’instauration d’une rémunération forfaitaire (II).

I. Un principe d’intéressement proportionnel de l’artiste.

A) La règle applicable.

Une cession de droits d’auteur rend possible l’exploitation commerciale des œuvres de l’artiste par le cessionnaire (c’est à dire le bénéficiaire de la cession), notamment sous forme de NFTs.

L’article L131-4 du Code de propriété intellectuelle prévoit que l’auteur a par principe droit à une rémunération proportionnelle aux recettes générées par l’exploitation commerciale des œuvres.

« La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation ».

Dans le cadre de la vente de NFTs, cet intéressement se calculera donc sur les ventes initiales (MINT) ainsi que sur les Royalties perçues au titre des ventes s’effectuant sur le marché secondaire.

Dans le cas où les œuvres donneraient lieu à la commercialisation de produits dérivés (vêtements, mugs, affiches etc…), l’intéressement proportionnel de l’artiste serait évidemment de droit au titre de cette exploitation commerciale supplémentaire.

B) La sanction de l’absence d’un intéressement proportionnel.

A défaut de rémunération proportionnelle, la nullité du contrat de cession de droits d’auteur pourrait être invoquée par l’artiste [1].

Dans ce cas-là les conséquences financières pourraient être défavorables à la société ayant gagné de l’argent grâce à l’exploitation des œuvres de l’artiste. En effet, l’artiste pourrait être fondé à demander tout ou partie des profits réalisés par la vente des NFTs puisque la nullité d’un contrat produit des effets rétroactifs.

Autrement dit, prononcer la nullité du contrat revient à considérer que le contrat n’a jamais existé. Par voie de conséquence, cela devrait revenir à considérer que la cession de droits n’a jamais eu lieu et donc que l’exploitation commerciale s’est effectuée en fraude des droits de l’artiste !

Du côté de l’artiste, le fait de ne pas avoir été rémunéré de façon proportionnelle constitue bien évidemment un argument de taille dans le cadre d’une demande amiable et éventuellement judiciaire, aux fins d’obtenir révision de la rémunération perçue.

Si la collection de NFTs a été vendue entièrement (sold out), les demandes de l’artiste pourront être conséquentes car les ventes initiales de NFTs (le MINT) génèrent à elles seules des gains de plusieurs centaines de milliers d’euros voire parfois de quelques millions d’euros.

C) Le droit à une rémunération proportionnelle supplémentaire.

Dans le cas où la rémunération initialement prévue s’avérerait finalement faible par rapport aux gains retirés de l’exploitation des œuvres, l’article L131-5 II du même code prévoit un droit à une rémunération supplémentaire :

« L’auteur a droit à une rémunération supplémentaire lorsque la rémunération proportionnelle initialement prévue dans le contrat d’exploitation se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de l’exploitation par le cessionnaire. Afin d’évaluer la situation de l’auteur, il peut être tenu compte de sa contribution ».

Cette rémunération supplémentaire pourrait être négociée à l’amiable, ou fixée par un juge si les parties n’arrivaient pas à tomber d’accord à l’amiable.

D) Le taux de l’intéressement proportionnel.

A la question de savoir quel pourcentage des ventes initiales de NFTs (MINT) et des royalties perçues doit revenir à l’artiste, la loi reste silencieuse.

Ainsi, en cas de contestation judiciaire par l’artiste, les juges se poseront plusieurs questions :
- L’artiste est-il intervenu seul dans la réalisation des œuvres ?
- L’exploitation commerciale des œuvres s’effectue-t-elle au travers de la vente de NFTs ?
- L’œuvre est-elle en 2d, en 3d, non animée, animée … ?
Etc…

Si les juges estiment que le pourcentage accordé à l’artiste est trop désavantageux pour celui-ci, ils pourront prononcer la nullité du contrat de cession de droits d’auteur pour « vileté » du prix.

Or, comme dit plus haut, prononcer la nullité du contrat revient à considérer que le contrat n’a jamais existé. Par voie de conséquence, cela devrait revenir à considérer que la cession de droits n’a jamais eu lieu et donc que l’exploitation commerciale s’est effectuée en fraude des droits de l’artiste !

Autre point important, le fait de ne pas mentionner dans le contrat de cession de droits d’auteur un pourcentage précis revient à prévoir une cession de droits sans contrepartie. Une telle opération serait contraire aux principes généraux du droit et pourrait conduire à la nullité du contrat.

II. Les hypothèses d’une rémunération forfaitaire de l’artiste.

La rémunération forfaitaire consiste à payer l’artiste de façon fixe, sans aucun intéressement proportionnel autre, que ce soit vis-à-vis des gains générés par le MINT ou des gains générés par les royalties.

L’article L131-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’une rémunération forfaitaire peut être envisageable notamment lorsque :
- La base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ;
- Les moyens de contrôler l’application de la participation font défaut ;
- Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ;
- La nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle.

Plus concrètement, étudions donc les cas dans lesquels en matière de NFTs l’artiste pourrait être rémunéré de façon forfaitaire et non pas proportionnelle, en se basant notamment sur des illustrations jurisprudentielles.

A) L’œuvre est l’accessoire d’un bien matériel.

Il a déjà été reconnu par la jurisprudence qu’un artiste pouvait être rémunéré au forfait si son œuvre n’est que l’accessoire d’un bien matériel :
- Le dessin du joaillier est l’accessoire du bijou ;
- Le dessin qui sert d’étiquette à un produit alimentaire est l’accessoire de ce dernier [2] ;
- Le meuble dans lequel est incrusté un écran plat est l’accessoire de l’écran [3] ;
- Le flacon d’un parfum est l’accessoire du parfum [4].

En matière de NFTs, certaines collections mettent non seulement en lumière des NFTs mais aussi des actifs physiques. Les NFTs de la collection peuvent par exemple conférer un droit d’échange contre des actifs physiques tels que des produits de luxe ou des objets de collection.

Dans ce cas-là, n’est-il pas possible de considérer que le NFT et donc que l’œuvre ne sont que l’accessoire d’un actif physique ? Si oui, une rémunération forfaitaire de l’artiste deviendrait possible.

B) L’œuvre est une œuvre composite.

L’article L113-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle définit l’œuvre composite comme suit : « Est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ».

Plusieurs œuvres composent donc l’œuvre composite. En principe, l’œuvre composite n’est pas frauduleuse si les autorisations d’exploitation commerciale des auteurs des différentes œuvres présentes sur l’œuvre composite ont été données.

L’œuvre composite peut permettre de rémunérer de façon forfaitaire l’artiste auteur de cette œuvre dans la mesure où l’intéressement proportionnel devient trop compliqué à déterminer dès lors que l’œuvre composite emprunte des éléments d’autres œuvres, et implique donc la participation d’une multitude d’artistes.

Toutefois, s’il est possible de constater l’existence d’œuvres composites dans certaines collections de NFTs, avec par exemple des œuvres qui reprennent certaines caractéristiques de personnages de mangas, de jeux vidéo et plus généralement de la pop culture, il est fort probable qu’aucune autorisation n’ait été donnée par les détenteurs des droits. L’exploitation des œuvres composites sous forme de NFTs sans ces autorisations expose les exploitants à des revendications financières futures de la part des détenteurs des droits.

C) L’œuvre est une œuvre collective.

L’article L113-2 du Code de la propriété intellectuelle définit l’œuvre collective comme suit :

« Est dite collective l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».

Ainsi, si une société spécialisée dans l’émission de NFTs demande à plusieurs artistes de réaliser des œuvres tout en ne leur laissant qu’une faible marge de manœuvre et d’initiative, et que la contribution de chaque artiste n’est pas individualisable, alors l’œuvre pourrait être qualifiée d’œuvre collective.

Dans ce cas-là, une rémunération forfaitaire pourrait être prévue comme l’indique la jurisprudence (TGI Paris, 4 janvier 1971).

D) L’œuvre est une œuvre de collaboration.

L’article L113-2 du Code de la propriété intellectuelle définit l’œuvre de collaboration comme suit : « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ».

A moins que l’œuvre de collaboration ne puisse être également qualifiée d’œuvre composite ou qu’elle soit l’accessoire d’un bien matériel, il semble que le principe d’intéressement proportionnel des auteurs doive s’appliquer. Chaque auteur percevrait alors un pourcentage proportionnel à son engagement au regard de la réalisation de l’œuvre.

Toutefois, une rémunération forfaitaire devrait pouvoir être prévue si les caractéristiques de la réalisation de l’œuvre font qu’il est impossible de déterminer le niveau de contribution de chaque auteur.

III. Conseils aux artistes et aux développeurs de collections de NFTs.

Il est important pour les développeurs d’une collection d’être vigilants sur la forme de la rémunération accordée à l’artiste. Lui octroyer une rémunération forfaitaire alors qu’il aurait droit à une rémunération proportionnelle les expose à des recours judiciaires ultérieurs, aux fins de réévaluation de la rémunération de l’artiste selon les règles de la proportionnalité.

Du côté de l’artiste, il est intéressant pour lui d’être éclairé sur ses droits afin de ne pas être lésé. En pratique, accepter une rémunération forfaitaire peut toutefois s’inscrire dans une stratégie de long terme afin d’établir une collaboration pérenne avec les développeurs de collections de NFTs.

En cas de contestation judiciaire de la rémunération, il pourrait être prononcée la révision de la rémunération de l’artiste ce qui pourrait avoir un impact fort négatif sur les finances des développeurs.

Egalement, la nullité de la clause prévoyant la rémunération pourrait être prononcée. Cette nullité pourrait entraîner la nullité du contrat dans son ensemble. En effet, la Cour d’appel de Paris a déjà pu estimer que la clause de rémunération est un élément essentiel du contrat et donc déterminant du consentement de l’auteur, et que la nullité de cette clause emportait donc nullité du contrat [5].

Jonathan Pouget Avocat au barreau d'Aix-en-Provence & Docteur en droit [->jonathan@pouget-avocat.fr] https://pouget-avocat.fr/

[1CA Paris, 25 octobre 1994.

[2TGI Annecy, 1re ch., 10 sept. 1998.

[3TGI Paris, 3e ch., 11 mars 2010.

[4CA Paris, pôle 5-1, 31 oct. 2012, n° 10/21777.

[5Paris, 9 octobre 1995.