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La Fiscalité des crypto monnaies et des NFT. Par Myriam Benarroche, Avocat.
Parution : lundi 6 juin 2022
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Un monde parallèle émerge, les crypto monnaies et les NFT ont pris une place considérable sur les marchés spéculatifs.
Si l’administration fiscale semble encadrer le domaine de la cryptomonnaie depuis peu, la fiscalité des NFT reste incertaine.

I. La crypto-monnaie, qu’est-ce que c’est ?

La crypto monnaie ou crypto actif est une monnaie numérique (bitcoin, ethereum …) qui ne nécessite pas de banque centrale, elle est une devise numérique décentralisée qui repose sur une la blockchain qui examine et approuve les transactions.

L’article L54-10-1 de code monétaire et financier, introduit par la loi Pacte du 22 mai 2019, consacre deux sous-familles d’actifs financiers : les cryptomonnaies et les jetons.

Les crypto monnaies y sont définies comme étant « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

Ils endossent le rôle de “moyens d’échanges”.

Le principe fondamental quant à la fiscalité de la crypto monnaie est que la simple détention de la cryptomonnaie ne fait pas entrer celle-ci dans l’assiette d’imposition.

L’administration fiscale prévoit pour les particuliers l’imposition des trois catégories d’opérations suivantes :
- La vente de cryptomonnaie échangées contre des devises étatiques comme l’euro ou le dollar ou toute autre devise étatique ;
- L’usage de cryptomonnaies pour l’acquisition de biens ou de services ;
- Les gains qui découlent du minage de cryptomonnaies.

La cryptomonnaie naît grâce au minage, c’est grâce à ce processus qu’elle est créée.

II. L’activité de minage.

1. Définition.

Apparu en 2009, le terme minage de cryptomonnaie désigne une méthode de calcul algorithmique (appelé proof of work) qui permet de sécuriser des blocs de données sur une blockchain en contrepartie d’une rémunération en crypto monnaie. Comparable aux mineurs d’or, les mineurs de cryptomonnaie sont à la recherche de richesse et vérifient la validité des transactions grâce à des calculs mathématiques et équipés d’un ordinateur. C’est un service rendu par des particuliers, professionnels ou entreprises compétents dans le domaine en échange d’un bénéfice en crypto monnaie. Ils jouent également un rôle de “police des transactions numériques” ou de “tiers de confiance” à l’égard des utilisateurs étant donné qu’il n’y a pas un organisme central, une autorité de régulation à l ’image des banques, chargées de contrôler les échanges.

2. L’imposition des gains produits par l’activité de minage.

Les gains générés par cette activité professionnelle ne répondent pas au même régime fiscal que ceux des plus-values. Les interprétations, concernant le régime fiscal du minage, divergent mais il est reconnu, depuis une décision du Conseil d’Etat du 26 avril 2018, que le minage entre dans la catégorie des BNC, défini par l’article 92 du CGI. Le minage de crypto-monnaies est défini comme étant une prestation de services.

« Sont considérés comme provenant de l’exercice d’une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n’ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ».

Selon l’administration fiscale « la valeur d’acquisition retenue pour le calcul du résultat imposable est nulle lorsque les actifs numériques ont été attribués gratuitement » [1]. C’est-à-dire que la somme perçue, en contrepartie de 0 euros, grâce à l’activité de minage est imposable sur sa totalité.
Pour le professionnel, la cryptomonnaie perçue grâce à l’activité de minage est imposable dès sa réception. Il est imposé sur la totalité des recettes de l’activité de minage.

Néanmoins, la loi ne contraint pas le contribuable à une imposition tant que les gains, générés en crypto monnaies, ne sont pas convertis en monnaie fiduciaire.
Les BNC peuvent être imposés sous deux régimes :
- Soit le micro, qui est forfaitaire : plus avantageux, il est applicable lorsque les recettes annuelles sont inférieures à 72 600 euros hors taxe [2]. Dans ce cas, le contribuable peut bénéficier d’un abattement forfaitaire de 34% pour frais et charges.
- Soit le réel dit « déclaration contrôlée » : régime qui s’applique lorsque les recettes annuelles sont supérieures à 72 000 euros hors taxe.
De plus, depuis 2019, le minage n’est pas soumis à la TVA [3]. Une décision partagée par la plupart des Etats de l’Union Européenne.

III. Quel régime fiscal est applicable aux crypto-monnaies ?

La loi de finances 2019, vient encadrer le traitement fiscal des cessions de crypto actifs réalisées et rend la déclaration des gains imposables en crypto obligatoire. En effet, le contribuable est imposé sur les plus-values générées par son activité d’achat et de revente d’actifs numériques à titre occasionnel. Conformément à l’article 150 VH bis CGI la plus-value globale sur actifs numériques est soumise à un impôt forfaitaire de 30 %. Une fiscalité proche de celle des gains du capital puisque c’est le prélèvement forfaitaire unique qui s’applique (12,8 % d’impôt et 17,2 % de prélèvements sociaux).
Toutefois, il existe un abattement de cession de 305 euros par an pour les investisseurs non-professionnels. La somme convertie et la plus value n’est alors pas imposable.
S’agissant des personnes dont les activités en crypto-monnaies sont considérées comme étant des activités habituelles et donc professionnelles leurs gains sont imposables au titre des bénéfices industriels et commerciaux(BIC) jusque là mais à partir du 1er janvier 2023, en tant que bénéfices non commerciaux (BNC) et, de ce fait, sont également soumis au barème progressif de l’impôt et aux prélèvements sociaux (sous déduction d’un abattement de 50 % ou de leurs frais d’activité). Les gains restent jusqu’alors des bénéfices industriels et commerciaux.
Les critères de l’administration fiscale d’exercice habituel ou occasionnel de l’activité résultent de l’examen, au cas par cas, des circonstances de fait dans lesquelles les opérations d’achat et de revente sont réalisées (les délais séparant les dates d’achat et de revente, le nombre d’actifs numériques vendus, les conditions de leur acquisition) l’ exercice d’une activité professionnelle en dehors des cryptomonnaies, volume des ordres passés,
L’investisseur professionnel, pour un taux marginal d’imposition de 45%, sera taxé à plus de 60%, contrairement aux investisseurs non professionnels qui sont taxés à 30% (PFU).

Les investisseurs non professionnels pourront, à partir du 1er janvier 2023, choisir entre :
- le PFU (prélèvement forfaitaire unique) ;
- Une application du barème progressif de l’impôt sur le revenu (IR) sur les plus-values résultant des activités en crypto-monnaies.

Ceux qui ne payent pas d’impôt sur le revenu seront uniquement taxés à hauteur de 17,2 %, correspondant au montant des prélèvements sociaux, et les investisseurs se situant dans la tranche d’imposition à 11 % seront, quant à eux, taxés hauteur de 28,2 %, c’est-à-dire la somme des 11 % d’impôt et des 17,2 % de prélèvements sociaux. Par ailleurs, la CSG sera déductible, à hauteur de 6,8%, des revenus imposables. Cependant les échanges de crypto à crypto en entreprise sont fiscalisés.

IV. Quels impacts cette monnaie virtuelle peut avoir sur la société financière d’aujourd’hui ?

Contrairement à la monnaie fiduciaire, la cryptomonnaie est caractérisée par son instabilité. Les banques centrales sont les garants de la stabilité des prix, du niveau des taux d’intérêts et de l’inflation, des capacités qui pourraient être limitées par l’avènement des crypto-monnaies. De nombreuses banques centrales tentent de mettre en place de monnaies numériques en utilisant la technologie de la blockchain afin de fluidifier les échanges de monnaies. La crypto-monnaie peut être choisie par un Etat comme monnaie nationale comme le Salvador en septembre 2021.

Depuis peu, certaines universités de Chypre, de Suisse, des États-Unis et d’Allemagne acceptent que le paiement des frais de scolarité soit fait en crypto-monnaies. Les entreprises de voyage permettent également l’achat de billets d’avion, les réservations d’hôtel, des locations de voiture et des croisières se font par cryptomonnaie. Cela permet d’accélérer la diffusion de ce nouveau système.

Compte tenu de la croissance de ce système, la loi tente de l’encadrer, toutefois le fisc et le législateur restent encore indécis sur certains points. Nous sommes dans une zone sur l’imposition des portefeuilles numériques.

V. Le marché des NFT.

De nombreuses interrogations quant à la qualification des Nfts font peser de sérieux doutes sur la fiscalité applicable à cette nouvelle unité de valeur dont les transactions démesurées connaissent actuellement un essor important.
Les NFT (NON-FUNGIBLE-TOKEN) sont définis comme des jetons non fongibles, c’est-à-dire non interchangeable à l’inverse de l’argent, sous forme de donnée numérique valorisée qui représente un objet, une œuvre. Ces données sont inscrites sur la blockchain. Un certificat d’authenticité affirmant l’unicité de l’actif est fourni à l’acheteur d’un NFT témoignant de la fiabilité que procure la blockchain. Ces jetons peuvent prendre la forme de photos, vidéos, d’œuvres reconstituées etc… L’achat considéré le plus important dans ce domaine est celui de l’œuvre reconstituée The Merge, s’est vendu pour l’équivalent de 92 millions d’euros.

Cependant le traitement fiscal applicable aux NFT reste incertain en raison d’une qualification juridique imprécise. Les NFT sont-ils des actifs financiers, des œuvres d’art, des actifs incorporels ?

1. Qualification juridique des NFT.

Les cryptomonnaies sont des actifs fongibles contrairement aux NFT qui ne sont pas des valeurs endossant le rôle de “moyen d’échange”. Le critère de non fongibilité n’étant pas respecté, cette définition ne peut, par conséquent, s’appliquer aux NFT.

Conformément à l’article L552-2 du code monétaire et financier les jetons, quant à eux, définis comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ». La fongibilité des jetons n’étant pas indiquée, la marge d’appréciation s’élargit ce qui permettrait d’inclure les NFT dans cette dernière catégorie. Toutefois la réglementation des jetons publiques (ICO/STO) essentiellement ceux rattachés à une valeur immobilière caractérisés par leur fongibilité s’appuie sur cette même disposition législative. De ce fait, d’une fongibilité sous-entendu, il est difficile de rattacher les NFT à la catégorie des jetons.

Les NFT ne sont pas, a priori, une composante de la catégorie des actifs financiers.

Bien que, les NFT artistiques pourraient être identifiés à de l’art, voire même créer une nouvelle catégorie dans le domaine, il est difficile de les soumettre au même traitement fiscal que les œuvres d’art et d’esprit au sens du code de la propriété intellectuelle. L’administration fiscale exclut pour le moment cette hypothèse car seuls les travaux artistiques exécutés à la main ont le statut d’œuvres d’art. Le régime fiscal des œuvres d’art étant l’un des plus avantageux, il serait pourtant une aubaine pour les investisseurs d’y soumettre les NFT.

Qualifier les NFT d’œuvres de l’esprit sous-entendrait un rattachement de ces premiers à la notion d’actif incorporel (ressource intangible, non monétaire mais identifiable indépendamment de l’entreprise). Néanmoins nous pouvons constater une difficulté sur l’éligibilité des biens virtuels à une protection des droits d’auteur dont le fondement est posé par l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle disposant que le créateur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. De plus l’article L111-3 du Code de la propriété intellectuelle insiste sur l’indépendance de la propriété de l’objet matériel. Le changement de propriétaire après la vente d’une toile n’emporte nullement cession des droits d’auteur détenus par l’artiste sur son œuvre. La cession d’un NFT portant sur une œuvre de l’esprit devrait donc suivre ici le même principe mais qu’en est-il d’une mise aux enchères d’une partie du corps humain par l’intermédiaire d’un NFT afin de donner à l’acquéreur le droit d’y faire poser le tatouage de son choix ? Une joueuse de tennis a mis aux enchères, sous la forme d’un NFT, une partie de son corps pour laisser le droit à l’heureux acquéreur la possibilité d’y faire poser un tatouage.
Le NFT n’est pas défini comme étant un simple support mais pourrait s’identifier à un acte d’authenticité, cela étant, il est tout à fait possible que l’auteur d’un NFT décide d’introduire une cession de ses droits patrimoniaux sur son œuvre. Le NFT peut s’apprécier pour l’acquéreur comme un titre de propriété.

Enfin, si l’éligibilité des NFT à la protection par le droit d’auteur venait à être confirmée, le régime de cession des œuvres d’art devrait pouvoir s’appliquer.

2. Traitement fiscal des NFT.

Avant la loi Pacte de 2019 le Conseil d’Etat, dans une décision du 26 avril 2018, avait défini le bitcoin de bien meuble incorporel et jugea que les gains, uniquement réalisés par des particuliers, relevaient de la catégorie des BIC lorsqu’il s’agissait d’une activité d’achat revente de Bitcoins exercée à titre habituel et les gains réalisés à titre occasionnel devaient être traités comme des plus-value sur des biens meubles conformément à l’article 150 UA de CGI.

Finalement la loi de finances pour 2019 vient encadrer l’imposition des actifs numériques à travers l’article 150 VH bis du CGI. Aussi, sont passibles de l’impôt sur le revenu les plus-values réalisées lors d’une cession à titre onéreux d’actifs numériques sous la forme d’un PFU (prélèvement forfaitaire unique).

Cependant il n’est pas certain que les NFT puissent être qualifiés d’actifs numériques.
Si l’on suit le raisonnement du Conseil d’Etat dans sa décision de 2018 alors, les NFT définis comme étant des biens meubles incorporels, il leur serait applicable le régime de cession de biens meubles au sens de l’article 150 UA du CGI et les gains, uniquement supérieurs à 5000 euros, seraient assujettis à un taux à hauteur de 36,2% suite à un abattement de 5% pour une durée de détention au-delà de la deuxième année.
Si concrètement, un investisseur est concerné par des gains de NFT aujourd’hui, il doit faire un choix sur le traitement fiscal à appliquer, en l’absence de position tranchée de l’administration fiscale.
Ce choix doit être prudent et se fait au cas par cas.

Myriam Benarroche, Avocat Barreau de Paris Selarl MAB Avocat 9 rue Le Tasse 75116 Paris https://mab-avocat-fiscaliste.com/

[1BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40/paragraphe 1080, consacré aux actifs numériques.

[2Articles 95 à 105 ter du CGI.

[3BOI-TVA-CHAMP-10-10-10.