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"SO..." marque distinctive ? Coup dur pour L’Oréal dans la procédure d’opposition. Par Florence Chapin, Conseil en PI.
Parution : mardi 7 juin 2022
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Dans l’affaire L’Oréal/Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) (affaire T-30/21, 30 mars 2022), le Tribunal a rendu son jugement dans le cadre du recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 3 novembre 2020 (affaire R 158/2016-5), relative à une opposition initialement formée par Debonair Trading Internacional contre une demande de marque déposée par L’Oréal.

Le tribunal a adopté pour un raisonnement très détaillé sur les facteurs permettant de retenir un risque de confusion.

- La société Debonair s’est opposée à la demande de marque de L’Oréal « SO COUTURE » (visant les produits de maquillage) en se basant sur sa marque antérieure SO...? (visant les parfums).
- Le tribunal a retenu que l’élément "so" était l’élément dominant et intrinsèquement distinctif de la marque antérieure.
- Le terme "SO" étant également l’élément d’attaque de la marque contestée, les consommateurs prêtent davantage d’attention au début d’une marque qu’à sa fin.

Contexte.

Le 3 octobre 2013, L’Oréal a déposé une demande d’enregistrement de la marque européenne SO COUTURE pour des produits de maquillage relevant de la classe 3. Le 4 février 2014, Debonair a formé une opposition fondée sur sa marque européenne antérieure SO... ? visant également la classe 3 (parfums).

Le 14 décembre 2015, l’EUIPO a rejeté l’opposition dans son intégralité, ce qui a donné lieu à un recours de Debonair le 25 janvier 2016. La deuxième chambre de recours de l’EUIPO a annulé la décision de la division d’opposition et a fait droit à l’opposition le 3 novembre 2020. La chambre de recours a estimé qu’il existait un risque de confusion, notamment pour le public anglophone et francophone de l’Union européenne.

L’Oréal a donc sollicité l’annulation de la décision de la chambre de recours.

Décision.

L’Oréal avait allégué une violation de l’article 8, paragraphe 1, point b), du règlement 207/2009 (risque de confusion). L’Oréal avait également fait valoir que, depuis le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, les éléments de preuve fournis ne pouvaient plus soutenir le caractère distinctif renforcé de la marque antérieure (c’est-à-dire, en substance, son caractère hautement distinctif et l’existence d’une famille de marques). Elle a toutefois retiré cet argument.

Conformément à la décision de la chambre de recours, le Tribunal a considéré que, dans la mesure où les produits couverts par les marques en cause, à savoir les produits de maquillage et les parfums, sont des produits de consommation courante, ils s’adressent au grand public ayant un niveau d’attention moyen.

Quant au territoire concerné, étant donné que la marque antérieure était une marque de l’Union européenne, ce territoire est constitué de l’ensemble des pays membres de l’UE.

Concernant la comparaison des produits, la chambre de recours avait conclu que les « produits de maquillage » sont similaires aux « parfums » en raison de leurs propriétés hygiéniques et cosmétiques communes. La preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure a également été apportée.

L’aspect le plus intéressant dans cette affaire est le raisonnement retenu dans le cadre de la comparaison des signes pour isoler l’élément distinctif et dominant afin de conclure à un risque de confusion.

En effet, le tribunal a tout d’abord souligné que la marque antérieure était une marque verbale composée du terme "SO", suivi de trois points de suspension et d’un point d’interrogation. La demande de marque contestée est quant à elle constituée de l’élément "SO" suivi du terme "couture". La chambre de recours a ainsi conclu à l’existence, au moins un degré modéré, de similitude visuelle entre les signes en conflit ainsi qu’à un degré modéré de similitude phonétique. Sur le plan conceptuel, elle avait estimé que la marque antérieure n’avait pas de signification ni de lien spécifique avec les produits en cause et que le terme "couture" faisait quant à lui référence à la haute couture et au luxe.

La chambre de recours a également estimé que l’élément "so", bien qu’il s’agisse d’un terme anglais simple et courant pouvant avoir différentes significations, serait probablement perçu, sans autre contexte, comme une introduction, un début de phrase ou une question créant un certain suspense.

Elle a déterminé que, ce mot ne faisant pas allusion à la nature ou à la qualité des produits en cause, il n’avait aucun lien avec ceux-ci. Elle a donc conclu à la distinctivité intrinsèque normale de ce terme pour les cosmétiques et les parfums.

Le Tribunal rappelle également que la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà établi, dans un litige relatif à la même marque antérieure que, dans la mesure où les consommateurs sont généralement censés prêter plus d’attention au début du nom d’une marque qu’à sa fin, les points de suspension et le point d’interrogation étaient négligeables par rapport à l’élément verbal unique "so" [1].

Par conséquent, la chambre de recours avait considéré que l’élément verbal "so" était l’élément dominant et intrinsèquement distinctif de la marque antérieure et l’argument de L’Oréal selon lequel l’élément de ponctuation était le plus frappant et le plus distinctif n’a pas été retenu.

Ainsi, c’est l’élément "so" qui remplirait ce rôle d’indication de l’origine commerciale des produits permettant au consommateur de distinguer, sans risque de confusion, les produits en cause de ceux d’une autre entreprise. En ce qui concerne par ailleurs l’élément "couture", le tribunal a souligné que la chambre de recours n’avait pas indiqué que cet élément était insignifiant, mais qu’elle l’avait simplement envisagé comme tel et, en substance, faiblement distinctif par rapport aux produits concernés.

Ainsi, le tribunal a considéré que le terme "couture", bien que n’étant pas un adjectif, pouvait également être compris par le public concerné, notamment les consommateurs anglophones et francophones de l’Union européenne, comme désignant un style, synonyme de haute qualité.

Le tribunal a relevé que, malgré sa longueur limitée, le premier élément " SO" de la marque antérieure était également présent en tant qu’élément d’attaque de la marque contestée, et que les consommateurs ont pu constater que le mot "couture" avait un caractère distinctif.

Le tribunal s’est donc inscrit dans la ligne du raisonnement de la chambre de recours selon lequel, pour les consommateurs anglophones et francophones de l’Union européenne, les marques en conflit présentaient un degré modéré de similitude visuelle.

Commentaire.

Le raisonnement suivi par la chambre de recours et le Tribunal pour isoler le mot "so" afin de conclure qu’il y avait un risque de confusion mérite d’être souligne. Ce raisonnement est conforme à celui retenu dans l’affaire précédente (mais toujours pendante) contre la société française Groupe Léa Nature et sa marque SO BIO ETIC.

L’accent mis sur l’élément "so" est également dû au fait que la société Debonair possède une famille de marques, ce qui a été rappelé dans la décision. Par ailleurs, la marque SO COUTURE de L’Oréal a été déposée le 3 octobre 2013 et Debonair a également procédé au dépôt d’une marque SO... ? COUTURE le 2 octobre 2014 (faisant actuellement l’objet d’une opposition sur la base de la marque antérieure de L’Oréal).

En conclusion, l’un des points qui pourrait être retenu - et qui a été soulevé par L’Oréal - est que le raisonnement de la chambre de recours et du tribunal contredit la pratique décisionnelle de l’EUIPO dans le cadre de l’examen des marques, qui tend à être plus stricte en considérant les termes génériques et ordinaires tels que "so", "very", "most" et "like" comme dépourvus de caractère distinctif.

So... ? Surpris ou convaincu ?

Florence Chapin - Conseil en Propriété Industrielle Novagraaf - Conseils en Propriété Intellectuelle Brevets - Marques - Dessins & Modèles https://www.novagraaf.com/fr