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Management infantilisant rime avec harcèlement. Par Arthur Tourtet, Avocat.
Parution : lundi 6 juin 2022
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Le management infantilisant n’est pas défini juridiquement.

Toutefois, comme son nom l’indique, ce type de management n’a rien de bienveillant ou de normal dans une relation de travail.

Un management infantilisant peut être constitutif d’un harcèlement moral, dont les conséquences seront désastreuses.

Quelle est la définition d’un management infantilisant ?

En recherchant de la jurisprudence, on peut se rendre compte que le management infantilisant est une expression utilisée pour désigner certaines pratiques de gestion du personnel.

Par exemple, le management infantilisant peut se manifester par des propos autoritaires ou rabaissants.

C’est notamment le cas lorsqu’un manager justifie ses décisions par les paroles suivantes : « j’ai raison, c’est moi la cheffe », ou bien encore : « c’est comme ça et pas autrement » [1].

Autre illustration, est infantilisant le fait de proférer les paroles suivantes : « vous n’êtes pas payé pour penser [...] je suis votre supérieure, j’ai un DESS de management » [2].

Est encore qualifié de management infantilisant, un contrôle excessif des salariés.

Tel est le cas d’un manager qui demande systématiquement des explications à des employés qui s’absentent quelques minutes pour aller aux toilettes [3].

Est également qualifiable de management infantilisant, le fait d’obliger les salariés à consigner sur un cahier la moindre tâche effectuée, cahier dont la responsable n’hésite pas à y inscrire des reproches au stylo rouge [4] !

Caractérise encore un management infantilisant, le fait de porter des jugements sur la personne d’un salarié (et non sur son travail) [5], ou bien le fait de ne pas communiquer normalement [6].

Dans tous ces exemples précités, on peut remarquer des détails communs : le manager abuse largement de son pouvoir hiérarchique et ses subordonnées sont privés de toute autonomie.

On peut donc définir le management infantilisant, comme toute méthode de gestion des salariés, ayant pour effet de placer ces derniers dans une position ouvertement inférieure à celle de leur supérieur.

C’est une manière de gérer le personnel très interventionniste, qui se base sur un rapport de pouvoir malsain. On juge des salariés incapables de réfléchir comme des adultes, simplement parce qu’ils ne sont pas assez bien placés dans l’organigramme de l’entreprise.

Autant dire que le respect n’est pas de mise…

Le salarié objet d’un tel management, est considéré comme une personne immature qui a besoin d’être tenue par la main, même pour les démarches les plus simples.

Tout est bon pour lui faire comprendre que la punition peut facilement tomber et que la docilité n’est pas une option.

Bien entendu, l’entreprise n’a aucun intérêt à mettre en place un tel management, lequel a pour dérive d’inciter les salariés à privilégier les caprices du chef, plutôt que la qualité du travail, lorsque ces deux objectifs sont inconciliables.

Sans compter que le management infantilisant, rime très souvent avec harcèlement.

Pourquoi le management infantilisant pose problème ?

Il est évident qu’un management infantilisant est inadapté sur le plan relationnel.

Qui aurait envie de travailler dans une entreprise où l’on vous traite comme un enfant ?

Assurément personne.

Avoir un manager qui se comporte comme un surveillant d’école, c’est devoir travailler tous les jours avec la boule au ventre. Même avec un mental d’acier, le moral finit par décliner.

Un management infantilisant peut fortement dégrader les conditions de travail et occasionner des arrêts-maladies, voire provoquer des départs de l’entreprise.

Dans une affaire tranchée par un arrêt Cour d’appel de Pau, arrêt déjà précité, les salariés avaient tellement été infantilisés que cela avait généré plusieurs départs et dépressions, au point que l’employeur avait fini par déclencher une enquête [7].

Sans surprise, la jurisprudence admet que des méthodes de management douteuses peuvent être constitutives d’un harcèlement moral [8].

Pour rappel, un harcèlement moral est défini comme étant des agissements répétés, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel [9].

Au regard de cette définition, un management infantilisant peut être constitutif d’un harcèlement [10].

Or, l’employeur, au titre de son obligation de sécurité, ne peut pas se permettre de cautionner des méthodes de gestion du personnel nocives pour les salariés.

En vertu de l’article L4121-1 du Code du travail, l’employeur doit protéger la santé physique et mentale des salariés.

L’article L1152-4 du Code du travail, rappelle aussi que l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir les agissements constitutifs d’un harcèlement.

Lorsque l’employeur a connaissance de faits pouvant s’apparenter à du harcèlement, il aura tout intérêt à diligenter une enquête [11] et devra tout faire pour que le harcèlement cesse.

Si l’employeur n’agit pas, ou agit trop tardivement, afin de faire cesser un management infantilisant, il pourra être condamné au paiement de dommages et intérêts au titre de la violation de son obligation de prévenir le harcèlement.

L’employeur peut encore être condamné à indemniser le préjudice moral directement causé par le harcèlement en lui-même [12]. Cette indemnisation se cumule avec celle allouée au titre de l’obligation de prévenir le harcèlement [13]

Si le harcèlement a causé un accident du travail ou une maladie professionnelle, le salarié victime peut encore en demander une indemnisation complémentaire auprès du Pôle social du Tribunal judiciaire (ancien TASS), au titre de la faute inexcusable [14].

De plus, si le salarié victime a été licencié parce qu’il était harcelé, il pourra demander des dommages et intérêts pour licenciement nul, lesquels ne peuvent être inférieurs à 6 mois de salaire [15].

Il en va encore de même si le salarié obtient la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison d’un harcèlement [16].

Cette solution est identique si une prise d’acte de rupture du contrat de travail est jugée comme étant imputable à l’employeur en raison d’un harcèlement [17].

Pour résumer, un harcèlement moral peut coûter cher à l’entreprise, car les victimes ne manquent pas de possibilités d’indemnisation.

Lorsque ce même harcèlement résulte d’un management inadapté, il peut potentiellement toucher de nombreux salariés, et donc coûter encore plus cher à l’employeur.

Si le management infantilisant a été causé par l’initiative d’un manager, l’entreprise est fortement incitée à s’en séparer.

Malheureusement pour le manageur-harceleur, si ce dernier est un salarié, le licenciement pour faute grave aura de fortes chances d’être justifié [18].

Également, le harceleur peut être personnellement condamné à verser des dommages-intérêts à la personne harcelée [19].

Conclusions.

Le management infantilisant est une véritable catastrophe, car dans une telle situation, tout le monde est perdant : les salariés subissent une pression extrême, les managers risquent le licenciement et les employeurs peuvent se retrouver à verser des indemnisations qui peuvent être importantes.

En outre, il n’est pas certain que ce management soit la meilleure manière de stimuler la productivité des employés.

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d\'Oise

[1Cour d’appel d’Amiens, 11 mai 2022, n° 21/02013.

[2Cour d’appel de Nîmes, 20 mai 2014, n° 13/00022.

[3Cour d’appel de Versailles, 4 novembre 2021, n° 18/04599.

[4Cour d’appel de Pau, 10 février 2022, n° 19/01417.

[6Cour d’appel de Douai, 17 décembre 2021, n° 18/03425

[7Cour d’appel de Pau, 10 février 2022, n° 19/01417.

[8Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.321.

[9C. trav. art. L. 1152-1.

[10Cour d’appel de Rennes, 30 avril 2015, n° 13/04582 et Cour d’appel de Paris, 20 janvier 2022, n° 18/07971

[11Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551.

[12Cass. soc., 19 mai 1993, n° 91-44.277.

[13Cass soc., 19 novembre 2014, 13-17.729.

[14Cass. civ. 2., 22 février 2007, 05-13.771.

[15C. trav., art. L. 1235-3-1.

[16Cass. soc., 20 févr. 2013, n° 11-26.560

[17Cass. soc. , 19 janv. 2012 , n° 10-20.935.

[18Cass. soc., 21 mai 2014, n° 12-29.832.

[19Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914 et Cass. soc., 3 février 2017, n° 15-23.499.