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Comment sécuriser la mise en place du télétravail international ? Par Cécile Cottin-Dusart et Amandine Colla, Avocates.
Parution : vendredi 10 juin 2022
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Le télétravail international est un des nouveaux enjeux RH pour attirer ou répondre aux nouvelles attentes des salariés.
Depuis la sortie de crise sanitaire, le télétravail international devient ce que le télétravail sur le territoire national était depuis 2017 et les ordonnances « Macron » [1] : un véritable outil d’attractivité et de fidélisation des salariés et des nouvelles générations.

Depuis 2020, les cas de télétravail depuis l’étranger se sont multipliés. Au départ contraint par le contexte sanitaire (cas du travailleur frontalier obligé de télétravailler depuis son domicile à l’étranger), le télétravail à l’international est devenu à l’heure de la sortie de crise une réelle opportunité pour le collaborateur. Nombreux sont les salariés qui souhaitent pouvoir bénéficier de cette flexibilité. Temporaire (suivi du conjoint en mission à l’étranger pour son employeur) ou permanent (transfert du domicile familial à l’étranger pour une plus longue durée), occasionnel (quelques jours/semaines par an) ou régulier (cas du travailleur nomade), le télétravail international ouvre de nouvelles portes aux entreprises et aux salariés.

Mais attention cette pratique n’est pas sans conséquence pour l’employeur à qui il appartient d’anticiper les impacts légaux, sociaux et fiscaux. Même si le télétravail peut en principe résulter d’un simple accord oral, sa formalisation reste très recommandée, a fortiori dans un contexte international où les enjeux sont multiples.

1. L’immigration : attention aux contraintes locales pour les salariés non-européens ou le télétravail hors Europe

L’acceptation du télétravail hors de France doit tenir compte des contraintes de visa, autorisations de séjour et autorisations de travail du pays d’accueil.

S’il n’y a pas d’obstacle pour un salarié européen télétravaillant au sein de l’Union européenne, il convient d’être vigilant pour les salariés non européens.

Si certains Etats ont mis en place des visas spécifiques pour « digital nomads » (Allemagne, Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Italie, Malte, République Tchèque, …) ayant chacun leurs propres conditions, cette voie n’est pas ouverte dans tous les pays du monde.

Une mise en place sécurisée du télétravail international au sein de l’entreprise doit donc anticiper ces contraintes voire limiter le recours au télétravail hors de France à certains pays.

2. Le droit du travail : attention à l’ordre public du pays d’accueil

En application du Règlement Rome 1, le contrat de travail est régi par la loi choisie par les parties ou à défaut par la loi du lieu d’exercice habituel du travail. En tout état de cause, la loi choisie doit respecter les dispositions plus favorables de la loi du lieu d’exercice habituel du travail.

En conséquence, la loi française choisie continuera à s’appliquer même en cas de télétravail à l’étranger, si ce télétravail est temporaire ou occasionnel.
Toutefois, si le télétravail à l’étranger est permanent (le salarié part vivre à l’étranger), les dispositions impératives plus favorables du pays d’accueil devront être respectées.

Par ailleurs, en cas de télétravail au sein de l’Union européenne, les dispositions d’ordre public local devront en tout état de cause être respectées (salaire minimum, temps de travail, congés payés, etc.)

Il conviendra également d’être vigilent au regard des horaires de travail compte-tenu du potentiel décalage horaire.

3. La protection sociale et les cotisations : et si l’Urssaf n’était plus compétente ?

Au sein de l’Union européenne, le salarié d’une entreprise française peut rester soumis à la sécurité sociale française, sans qu’il n’y ait d’obligation de cotiser dans l’Etat où il télétravaille, si un certificat A1 est délivré.

Ce certificat, qui permet d’attester du maintien sous sécurité sociale française auprès des autorités étrangères, peut régulièrement être obtenu (directement en ligne via le compte Urssaf de l’employeur) dans les cas suivants :

-  Le télétravail est temporaire (moins de 24 mois). Si le cas du télétravail n’entre pas stricto sensu dans la définition du détachement au sein du Règlement CE 883/2004 applicable, il nous semble que le certificat émis pourrait difficilement être contesté si le télétravail accepté par l’employeur est temporaire et répond aux conditions habituelles du détachement ;

-  Un accord exceptionnel est obtenu auprès du Cleiss ;

-  Le salarié travaille régulièrement dans plusieurs Etats membres mais soit a conservé sa résidence en France, soit ne travaille pas plus de 25% dans l’Etat membre de sa résidence (moins de 2 jours par semaine). A noter que ce plafond de 25% pourrait être amené à évoluer, à tout le moins pour les frontaliers, la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale ayant établi un rapport sur la proposition de résolution européenne visant notamment à augmenter la possibilité de télétravailler à l’étranger pour les frontaliers sans modification du lieu de paiement des cotisations sociales (pour leur permettre de télétravailler 2 jours par semaine dans leur Etat de résidence contre un seul aujourd’hui).

Dans les autres cas, le télétravail au sein d’un autre pays de l’Union européenne implique une affiliation du salarié à la sécurité sociale du pays étranger imposant, souvent, la mise en place d’une paie locale pour le précompte des cotisations dues et le paiement aux organismes d’accueil.

En dehors de l’Union Européenne, si la France a conclu une convention de sécurité sociale avec le pays dans lequel le salarié souhaite télétravailler, le principe reste identique : un certificat de détachement doit être obtenu pour ne pas risquer un rappel de cotisations dans l’Etat d’accueil, voire pour garantir un continuité de protection sociale.

S’agissant des pays avec lesquels la France n’a pas conclu de convention, il est possible de maintenir le salarié sous sécurité sociale française en application de l’article L 761-2 du code de la sécurité sociale, mais une obligation de cotiser localement pourrait également trouver à s’appliquer, ce qu’il conviendrait de vérifier en amont pour éviter tout risque local.

En tout état de cause, la couverture frais de santé pourrait limiter son application aux frais engagés en France : une vérification auprès de l’assureur est recommandée, à tout le moins pour informer le salarié des conséquences de son choix si la convention collective n’impose pas de couverture sociale équivalente.

4. La fiscalité : attention à l’impact fiscal pour l’entreprise et le salarié

Au-delà du risque d’établissement stable dans l’Etat d’accueil selon les fonctions exercées, le télétravail international aura des conséquences fiscales si le salarié transfère sa résidence fiscale hors de France ou, bien souvent, s’il est présent plus de 6 mois dans un autre Etat.

La règle des 6 mois dépend en réalité des conventions fiscales. Certaines prévoient que la rémunération liée aux jours travaillés dans l’autre Etat est imposable à l’impôt sur le revenu si le salarié, qui conserve sa résidence en France, y est présent plus de 183 jours par année fiscale (l’Italie par exemple). D’autres seront plus souples en retenant 183 jours sur 12 mois consécutifs (les Etats-Unis par exemple). D’autres permettent 18 mois de télétravail sans impact fiscal (la Roumanie).

L’impact sur l’impôt sur le revenu n’est plus de la seule responsabilité du salarié (qui peut d’ailleurs voir son net en poche fortement impacté) puisque selon le pays dans lequel le salarié décide de télétravailler, l’obligation de prélever l’impôt à la source hors de France peut peser sur l’employeur.

En outre, si le salarié a transféré sa résidence fiscale, mais rentre travailler régulièrement en France dans les locaux de l’entreprise entre ses périodes de télétravail à l’étranger, les salaires liés à l’activité exercée en France devront faire l’objet d’une retenue à la source spécifique différente du PAS, à déclarer trimestriellement.

Le transfert de la résidence fiscale du salarié autorisé à télétravailler à l’étranger impacte également la paie : le PAS doit être supprimé, la CSGCRDS ne sont plus dues et s’il est maintenu sous sécurité sociale française, le taux de la cotisation maladie doit être porté à 5.5%.

La mise en place d’une politique de télétravail international devra anticiper l’ensemble de ces impacts.

Cécile Cottin-Dusart, Avocate associée Amandine Colla, Avocate collaboratrice Vaughan Avocats

[1Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, JO. n° 223 du 23 septembre 2017.