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Fraude fiscale France-Israël : quelles conséquences de l’obligation de déclaration ? Par Johanna Kupfer, Avocate.
Parution : mercredi 15 juin 2022
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L’objectif de lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent est devenu si prioritaire ces dernières années que les contribuables prennent de plus en plus conscience de leurs obligations.

L’entrée d’Israël dans l’OCDE, l’adoption de la loi n. 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, ainsi que l’instauration progressive de l’échange automatique d’informations bancaires n’ont fait qu’alarmer les personnes physiques, résidentes fiscales françaises et détenteurs de biens en Israël.

Cependant, le contribuable français n’aurait pas dû attendre la mise en place de tous ces dispositifs contraignants avant de se rendre compte de ses obligations déclaratives vis-à-vis de l’administration fiscale française et du risque de faire face à de multiples sanctions, tant pénales que fiscales.

I. L’enjeu de la détermination de la résidence fiscale.

A. Critères de résidence.

La question de la résidence fiscale est primordiale car il ne suffit pas de devenir israélien pour être résident fiscal israélien ou ne plus être considéré comme résident fiscal français.

L’article 4 A du Code Général des Impôts dispose que :

« les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l’impôt sur le revenu en raison de l’ensemble de leurs revenus. Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française ».

Plusieurs textes posent des critères qui permettent de définir la résidence fiscale.

D’une part, l’article 4 B du CGI définit comme résidentes fiscales françaises les personnes : « a. qui ont en France leur foyer ou leur lieu de séjour principal ; b. qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; les dirigeants des entreprises dont le siège est situé en France et qui y réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 250 millions d’euros sont considérés comme exerçant en France leur activité professionnelle à titre principal, à moins qu’ils ne rapportent la preuve contraire ; c. celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques  ».

D’autre part, la convention fiscale entre la France et Israël en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Jérusalem le 31 juillet 1995 et entrée en vigueur le 18 juillet 1996, prévoit dans son article 4 que lorsqu’une personne physique réside en France ou en Israël, elle est considérée comme résidente de l’État dans lequel elle dispose d’un «  foyer d’habitation permanent  » ou, si c’est le cas dans les 2 États, résidente de l’État «  avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux)  ». Elle précise que si ce dernier ne peut être déterminé, alors l’État dans lequel elle «  séjourne de façon habituelle  » prévaut.

B. Conséquences : une obligation déclarative.

La personne physique doit déclarer dans le pays où elle est résidente fiscale l’intégralité de ses revenus et comptes bancaires, et peu importe que ces derniers soient bénéficiaires.

Néanmoins, Israël, dans un souci d’encourager l’immigration, a posé un principe d’exonération déclarative pour les personnes résidentes depuis le 1er janvier 2007 :elles n’ont pas à déclarer leurs revenus produits et générés à l’étranger pendant dix ans. Cet avantage fiscal concerne les revenus actifs provenant de société étrangère ; les dividendes et intérêts perçus par une société étrangère ; les revenus fonciers provenant d’un bien immobilier situé à l’étranger, ou encore les retraites [1]. Il existait également avant 2007 une exonération de 5 ans sur les revenus passifs et 4 ans sur les revenus tires d’activité professionnelle.

En revanche, dans un souci d’amélioration de la transparence et de lutte contre le blanchiment, l’administration fiscale israélienne a émis fin 2021 une position de revirement très forte en posant pour l’avenir le souhait de l’obligation de déclarer ses revenus de source étrangère (même sils continuent à être exonérés), mais qui n’a pas été votée pour le moment.

II. Les sanctions en cas de revenus non déclarés.

Lorsque des personnes physiques sont résidentes fiscales étrangères et ont des comptes et appartements en Israël, elles doivent les déclarer à l’administration fiscale étrangère dont elles sont résidentes (par exemple la France), sous peine de doubles sanctions, pénales et fiscales.

A. Les sanctions fiscales.

Concernant les comptes bancaires, l’article 1649 A du CGI dispose une obligation de déclarer, « en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger » [2]. Cela s’applique aussi aux contrats d’assurance vie et revenus de source étrangère comme les loyers. Il s’agit de remplir chaque année le formulaire CERFA numéro 11916.

Concernant les immeubles, l’obligation est de déclarer leur valeur locative en cas d’imposition à l’IFI ou dans le cas où ces biens génèrent des revenus.

En cas de non-déclaration, il y peut y avoir plusieurs sanctions dont les principales sont i) une amende de 1 500 euros par compte par an sur les cinq dernières années [3] et ii) un rappel d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur la fortune immobilière ainsi qu’une majoration qui peut s’élever jusqu’à 40 à 80% du montant de l’impôt, en plus des intérêts de retard qui peuvent monter jusqu’à 2.4% depuis 2018.

B. Les sanctions pénales.

Le délit de fraude fiscale est prévu à l’article 1741 du CGI qui dispose que

« quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts (…) est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction ».

Les peines peuvent être portées à 7 ans d’emprisonnement et 3 millions d’euros d’amende dans certains cas, et notamment celui d’ouverture de comptes ouverts à l’étranger, l’interposition de personnes, l’utilisation d’une fausse identité ou de faux documents ou de domiciliation fiscale fictive [4].

Il faut cependant noter que depuis 2018 et la fin du « verrou de Bercy », qui subordonnait le déclenchement des poursuites pénales au dépôt d’une plainte préalable de l’administration fiscale, cette dernière est obligée de transmettre au parquet les dossiers de fraude fiscale supérieurs à 100 000 euros.

D’ailleurs, le Conseil Constitutionnel, saisi par la Cour de Cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 1729 et 1741 du CGI, a statué que le principe de nécessité des délits et des peines ne faisait pas obstacle à ce qu’un contribuable poursuivi pénalement pour fraude fiscale fasse également l’objet de sanctions fiscales. Cependant, ce cumul doit être réservé aux fraudes les plus graves [5].

Il précisait ensuite que « cette gravité peut résulter du montant des droits fraudes, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention » [6].

Ainsi, si le risque d’être contacté par l’administration fiscale concerne tous les contribuables, cette tendance va en s’accentuant depuis la mise en place de l’échange automatique d’informations bancaires entre la France et Israël. La banque israélienne catégorise ses clients et leur fait signer une déclaration de résidence fiscale et de renonciation à la confidentialité. Le refus de coopérer peut entrainer le gel des comptes bancaires, parfois du retrait d’espèces, ou le refus de transférer les fonds (ce qui peut entraver les transferts de propriété d’appartements).

Il existe cependant des procédures de régularisation qui permettent aux contribuables ayant des comptes bancaires étrangers non déclarés de bénéficier de pénalités réduites et d’éviter les sanctions pénales. Si les procédures normées n’existent plus, il est néanmoins possible, tant en France qu’en Israël, de recourir à une régularisation spontanée afin de bénéficier des conditions les plus favorables.

Johanna Kupfer Avocate aux Barreaux de Paris et d'Israël https://linkedin.com/in/johannakupfer [->jrk.avocat@gmail.com] Site internet : https://jrk-avocats.com www.linkedin.com/in/johannakupfer

[1Amendement 168 à l’ordonnance fiscale israélienne sur l’impôt sur le revenu.

[2CGI art. 1649 A, al. 2 et 3.

[3CGI, art. 1736 IV et L 188, al. 2 du LPF.

[4Article 1741 du CGI.

[5QPC, 2016-545 du 24 juin 2016 et 2016-556 du 22 juillet 2016.

[6QPC, 2018-745 du 23 novembre 2018.