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Les barèmes Macron, oui... la fin du préjudice personnel, non ! Par Amélie Chauvin, Avocate.
Parution : mardi 21 juin 2022
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Par deux arrêts du 11 mai 2022, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation valide les barèmes Macron de l’article L1235-3 du Code du travail, mais les deux arrêts en cause ouvrent des exceptions et d’autres possibilités pour assurer l’indemnisation et l’appréciation du préjudice personnel du salarié.

Par un arrêt du 11 mai 2022, la Cour de cassation s’est prononcée sur la conformité du barème d’indemnisation de l’article L1235-3 du Code du travail, à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail.

C’est ainsi que la Cour de cassation, reprenant la définition développée par l’OIT dans le cadre d’une réclamation d’un Etat membre, soutient qu’une réparation adéquate repose sur deux critères [1] :
- Son caractère dissuasif,
- Son caractère raisonnable.

D’après l’OIT, ces deux critères sont cumulatifs, la réparation doit être dissuasive et raisonnable.

Dissuasif en principe, mais pas tout le temps !

Pour retenir le caractère dissuasif du barème d’indemnisation de l’article L1235-3 du Code du travail, la Cour de cassation le rattache à l’article L1235-4 du Code du travail :

« Il en résulte, d’autre part, que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L1235-4 du Code du travail » [2].

Ainsi, pour réparer de façon adéquate le licenciement abusif prononcé par l’employeur, le juge ordonnera systématiquement le remboursement des indemnités pôle emploi en application de l’article L1235-4 du Code du travail, la Cour de cassation rappelant « l’application d’office par le juge » de cette disposition.

Autrement dit : Barème d’indemnisation + Remboursement pôle emploi = Dissuasif.

Excepté que l’article L1235-5 du même code prévoit expressément que le remboursement des indemnités pôle emploi n’est pas applicable :
- Pour les entreprises de moins de 11 salariés,
- Pour les salariés ayant moins de 2 ans d’ancienneté.

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a omis cette exception législative en se fondant uniquement dans sa décision sur « l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L1235-4 du Code du travail ».

Ainsi, à défaut d’application d’office de l’article L1235-4, le caractère dissuasif n’est plus assuré, le barème inadéquat.

En conséquence, en cas de licenciement abusif dans les entreprises de moins de 11 salariés, ou d’un salarié de moins de 2 ans d’ancienneté, la réparation du licenciement abusif prévu par l’article L1235-3 du Code du travail seul, n’est pas adéquate.

Une indemnité raisonnable pour la seule perte injustifiée de l’emploi...

Une indemnité.

L’arrêt d’assemblée plénière a tranché le débat de l’indemnité prévue à l’article L1235-3 dans son arrêt du 11 mai 2022 par la motivation suivante :

« les dispositions des articles L1235-3 et L1235-3-1 du ode du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi » [3].

La Cour de cassation juge que la détermination du montant réparant le préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se prête pas à un contrôle de conventionnalité in concreto.

Autrement dit, elle réfute la possibilité d’écarter le barème au cas par cas, au motif que son application ne permettrait pas de tenir compte des situations personnelles de chaque justiciable.

Par là même, la Cour de cassation confirme le caractère d’indemnité de la réparation prévue à l’article L1235-3, terminologie distincte de la notion de dommages et intérêts :
- L’indemnité est une compensation financière, dont les conditions de fixation sont définies à l’avance, visant à la fois à réparer un dommage et à sanctionner l’auteur du dommage ;
- Les dommages-intérêts eux ont pour but l’indemnisation de la victime en fonction du préjudice réellement subi et sont déterminés in concreto, sur la base des pertes subies, des frais et de toutes les conséquences physiques et morales du dommage.

En l’occurrence, les barèmes définissent le plancher et le plafond d’une compensation financière due en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, indépendamment des pertes réellement subies.

D’ailleurs, dans l’arrêt du 11 mai 2022, alors même que la Cour de cassation constate une perte financière de 32 000 euros de la salariée en cause, préjudice supérieur au montant de l’indemnité du barème, elle estime qu’il n’y a pas lieu à l’application de l’article L1235-3 in concreto, c’est à dire en fonction des pertes subies.

Ainsi, il s’agit bien d’une indemnité au sens juridique du terme.

Un préjudice.

Cette indemnité a pour but, d’après l’OIT et la Cour de cassation, la dissuasion de l’employeur et « l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi » du salarié. [4].

L’arrêt de la Cour de cassation valide ainsi le caractère raisonnable de l’indemnité prévue par les barèmes, mais uniquement pour la réparation du préjudice né de la perte injustifiée de l’emploi.

Il est intéressant de noter que la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de rappeler en 2017 que la seule perte injustifiée d’emploi cause un préjudice au salarié, indépendamment de la démonstration d’un préjudice par le salarié [5].

La lecture conjointe de ces deux arrêts permet donc de considérer que l’indemnité de l’article L1235-3 du Code du travail répare raisonnablement le préjudice né de la seule perte injustifiée de l’emploi, indépendamment de la démonstration d’un préjudice, même plus important.

Sauf à ce que les instances internationales changent la donne, à ce jour, les justiciables et magistrats auront du mal à résister à l’indemnité susvisée pour la réparation de ce préjudice, puisque validée par l’Assemblée plénière.

En revanche, l’analyse juridique de la décision autorise parfaitement le cumul de cette indemnité avec des dommages et intérêts spécifiques.

Mais ne couvrant pas nécessairement tous les préjudices causés par le licenciement.

Le droit du travail relève plus globalement du droit civil et plus précisément de la responsabilité civile contractuelle.

Le Code civil consacre une section à la réparation du préjudice lié à l’inexécution ou l’exécution fautive du contrat.

L’article L1231-4 du Code civil dispose :

« Dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution ».

La faute dolosive implique une volonté délibérée et consciente de méconnaître ses obligations par dissimulation ou fraude, mais n’implique pas l’intention de nuire. [6].

L’employeur qui licencie un salarié délibérément, sans motif valable, méconnaît forcément ses obligations par dissimulation ou fraude.

Le salarié est alors en droit d’obtenir d’après l’article susvisé les dommages et intérêts des préjudices constituant « une suite immédiate et directe » du licenciement.

Le mécanisme du cumul des indemnités et dommages et intérêts en droit du travail n’est pas nouveau.

A titre d’exemple, s’agissant de l’indemnité prévue pour le travail dissimulé, la Cour de cassation avait rappelé que le cumul de cette indemnité avec toute autre indemnité liée à la rupture du contrat était possible en se fondant sur « la nature de sanction civile de cette indemnité » [7].

Il a été démontré que la Cour de cassation a consacré par son arrêt le caractère d’indemnité et de sanction civile des barèmes, en recherchant son caractère dissuasif et en refusant le contrôle in concreto.

Cela est d’autant plus vrai que cette indemnité est considérée adéquate notamment sur la base des remboursements pôle emploi qui devront être fait par l’employeur, confirmant la nature de sanction et non seulement de réparation puisque ces sommes n’iront pas au salarié.

Cette sanction civile doit donc juridiquement pouvoir se cumuler avec toutes autres indemnités visant à réparer un préjudice spécifique suite au licenciement.

Ainsi, le Conseil devra s’assurer, en parallèle du versement de l’indemnité de l’articleL1235-3, et en application de l’article L1231-4 du Code civil, de la réparation de tous les préjudices constituant une suite immédiate et directe du licenciement abusif.

En conclusion, faisant application des apports de l’arrêt du 11 mai 2022 relatif aux barèmes de l’article L1235-5 du Code du travail, les juridictions pourront :
- Ecarter les barèmes pour les salariés de moins de 2 ans d’ancienneté, et/ou embauchés par une entreprise de moins de 11 salariés, du fait de l’absence de caractère dissuasif et de réparation adéquate ;
- Dans les autres cas, d’ordonner systématiquement le remboursement des indemnités pôle emploi et d’assurer, en parallèle du versement de l’indemnité validé par la Cour de cassation, la réparation de tous les préjudices constituant une suite immédiate et directe du licenciement abusif.

Amélie Chauvin, Avocate au Barreau de Grenoble Associée de la Selarl Alter Avocat

[1(Réclamation (article 24) du Venezuela n° C095, C158 -1997.

[2Cass soc., Ass Plénière, 11 mai 2022, n°21-14490 et n°21-15247.

[3Cass soc., Ass Plénière, 11 mai 2022, n°21-14490 et n°21-15247.

[4Réclamation (article 24) du Venezuela N° C095, C158 - 1997.

[5Cass. Soc. 13 septembre 2017, n°16-13.578.

[6Cass. 3e civ. 8-7-2021 n° 19-23.879.

[7Cass soc, 19 septembre 2013, n°12-13093.