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A quelle date faut-il apprécier le motif économique du licenciement ? Par Myriam Adjerad et Clara Galdeano, Avocats.
Parution : lundi 20 juin 2022
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La durée d’une baisse significative du chiffre d’affaires ou des commandes retenue pour justifier le licenciement pour motif économique, de nature à caractériser les difficultés économiques rencontrées par l’entreprise, s’apprécie en comparant le niveau de l’indicateur retenu au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période [1].

Le licenciement pour motif économique doit être justifié par [2] :
- Un élément matériel : une suppression, une transformation d’emploi ou une modification d’un élément essentiel du contrat de travail, appréciée au niveau de l’entreprise ;
- Et, un élément causal établi notamment par :
- Des difficultés économiques « caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés » ;
- Des mutations technologiques ;
- Une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
- La cessation d’activité de l’entreprise.

Parmi ces 4 éléments, les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de l’entreprise, ou le cas échéant, au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise (les seules entreprises établies sur le territoire national étant retenues, sauf fraude).

Si les difficultés économiques et notamment sur la baisse significative des commandes et du chiffre d’affaires, sont invoquées par l’employeur pour justifier le motif économique du licenciement, il convient de se référer au Code du travail pour apprécier cette notion de baisse significative.

« Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus
 » [3].

L’indicateur retenu est toujours comparé à celui de l’année précédente. La durée d’appréciation de la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires varie quant à elle selon les effectifs.

Mais à quelle date faut-il apprécier cette baisse ?

La Cour de cassation répond à cette interrogation dans un arrêt récent du 1er juin 2022, qui concernait une salariée dont le contrat de travail avait été rompu pour motif économique dans une entreprise de plus de 300 salariés.

La salariée faisait grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’avoir jugé que son licenciement était fondé sur un motif économique réel et sérieux.

Suivie dans son argumentation, la salariée a obtenu la cassation et l’annulation de l’arrêt rendu le 25 juin 2020 par la Cour d’appel de Poitiers.

Dans cet arrêt du 1er juin 2022, la Cour de cassation rappelle que le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier son motif [4].

La baisse significative s’apprécie ainsi « en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période  » [5].

Elle censure le raisonnement de la Cour d’appel qui avait retenu que les difficultés économiques devaient être appréciées à la date du déclenchement de la procédure (second trimestre 2017) et selon les indicateurs connus à cette période (jusqu’au 1er trimestre 2017).

La Cour d’appel avait retenu que l’entreprise justifiait du recul de 4 trimestres consécutifs (l’effectif étant supérieur à 300 salariés) de chiffre d’affaires sur l’année 2016 par rapport à l’année 2015 et que la faible augmentation du chiffre d’affaires au premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 n’était pas suffisante pour caractériser une amélioration tangible de cet indicateur. Elle se référait ainsi au dernier exercice clos par rapport à celui de l’année précédente.

Erreur !

Le contrat de travail avait été rompu en juillet 2017 : à cette date devait donc être étudiée la baisse significative du chiffre d’affaires sur 4 trimestres invoquée par l’employeur par rapport à l’année précédente.

L’augmentation du chiffre d’affaires au premier trimestre 2017, aussi faible était-elle, faisait ainsi obstacle à la succession de 4 trimestres de baisse significative. La Cour d’appel ne pouvait pas, dans ces conditions, caractériser les difficultés économiques.

La Cour de cassation n’a eu d’autre choix que de casser et annuler l’arrêt.

La caractérisation des difficultés économiques est complexifiée par cette contrainte temporelle. L’employeur doit ainsi être certain d’enregistrer une baisse significative du chiffre d’affaires ou des commandes sur le trimestre au cours duquel est notifiée la rupture pour motif économique, avant d’engager une procédure fondée sur ce motif.

Myriam Adjerad Clara Galdeano Adjerad Avocats, Avocats au Barreau de Lyon [->contact@adjeradavocats.fr] https://www.linkedin.com/company/adjerad-avocats/

[1Cass. Soc., 1er juin 2022, n° 20-19.957.

[2Art. L1233-3 c. trav.

[3Art. L1233-3 c. trav.

[4Cass. Soc., 21 nov. 1990, n° 87-44.940.

[5Cass. Soc., 1er juin 2022, n° 20-19.957.