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[Point de vue] Le cas spécifique du Mineur Non Accompagné, en France, en Espagne et en Italie. Par Pierre Marsaut, Juriste.
Parution : mardi 21 juin 2022
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Auparavant appelé Mineur Isolé Étranger (MIE), il est depuis 2016 appelé Mineur Non Accompagné (MNA). Ce terme concerne les mineurs entrés sur le territoire français sans être accompagnés d’un adulte, ou encore ceux privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et qui sont laissés seuls sur le territoire français.
En théorie, ils bénéficient des mesures mises en place par les services de la protection de l’enfance.

Pratiques et difficultés dans la prise en charge du MNA

Entre janvier et septembre 2020, presque 7 000 MNA ont été confiés aux départements par des décisions judiciaires. Aujourd’hui en France, ils sont environ 40 000 à être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Tous ne sont cependant pas pris en charge par la justice, et beaucoup se trouvent dans des situations humainement inacceptables. Toute la difficulté pour les services résident dans la difficulté à déterminer s’il est effectivement mineur, ou s’il est question d’un majeur tentant de se faire passer pour un mineur, afin d’obtenir les aides inhérentes au statut.

Plusieurs procédures sont applicables, mais comme le dit Pierre Henry, président de France Fraternités, « l’outil de détermination de l’âge est obsolète et est basé sur un référentiel datant de 1930, et qui présente une incertitude de 18 mois par rapport au résultat ». S’ajoute à cela la remise en cause de l’authenticité des papiers, lorsque le migrant en a, ou encore l’appartenance de ces papiers, autrement l’identité clamée par le migrant. Ce détail est important car l’article L311-1 du CESEDA dispose qu’un migrant majeur doit être en possession de papiers d’identité pour pouvoir rester sur le territoire français, contrairement au mineur. Par conséquent, les jeunes qui ne contestent pas la remise en cause de leur minorité peuvent faire l’objet d’une mesure d’éloignement.

De plus, dans certaines situations on détermine l’âge du migrant en mesurant la taille de ses mains, et le développement osseux. Cependant, la machine est souvent défaillante, et c’est alors que les services préfectoraux pratiquent le jugé : à l’œil, ils estiment l’âge de la personne, souvent sans référentiel, et généralement pour la catégoriser comme majeure.

Se présentent plusieurs situations :
1) Le jeune est dépourvu de documents d’état civil le désignant comme mineur, mais considérés comme les services de protection de l’enfance comme majeurs suite aux examens médico-légaux ;
2) Le jeune est en possession des documents le désignant comme mineur, mais il est considéré comme majeur par les services de la protection de l’enfance après une contestation d’authenticité de ces documents, bien que sa majorité ne soit formellement avérée ;
Dans cette situation, le jeune doit continuer de bénéficier du principe de présomption de minorité, car établir qu’un document d’état civil n’est pas authentique ne préjuge en rien de l’âge de celui qui est en possession des papiers en question [1] ;
3) Le jeune est en possession de documents d’état civil le désignant comme mineur, et ces documents sont déclarés authentiques. Cependant, les services de protection de l’enfance contestent les conditions d’obtention de ces documents, et considèrent alors le jeune comme majeur.
Dans cette situation, le jeune doit bénéficier de la présomption de minorité qui court toujours, pour les mêmes raisons que la situation précédente [2] ;
4) Le jeune est en possession de documents d’état civil le désignant comme mineur, mais il est considéré comme majeur par les services de protection de l’enfance à la suite d’examens médico-légaux sans qu’ait été contesté l’authenticité de leurs documents d’état civil.
Dans cette situation, si l’authenticité des documents d’état civil n’a pas été contestée, ces derniers sont toujours valables. Le jeune doit donc être considéré comme mineur dans l’ensemble des démarches qui s’ensuivent ;
5) Le jeune est considéré comme majeur par le juge des enfants, mais comme mineur par le juge administratif.
Cette situation s’est présentée notamment lorsqu’une décision de la CAA de Paris en date du 18 février 2014 a annulé une OQTF sans preuve de sa majorité, tandis que l’arrêt de la CA de Paris du 10 septembre 2013 la déclarait majeure. Dans cette situation, le jeune est donc mineur pour la procédure administrative, mais majeur vis-à-vis des services de protection de l’enfance, et donc en dehors de leurs services. Autrement dit, le jeune se situe dans une zone de flou juridique, entre minorité et majorité.

Une fois le migrant reconnu comme « mineur », celui-ci doit pouvoir bénéficier de l’ASE. Il va alors être réparti sur le territoire, comme d’autres dans son cas, pour éviter de saturer une région ou un département subissant trop de pression migratoire. Dans le cas où il serait reconnu majeur, il a la possibilité de contester cette décision prise par le département.

Cependant, pendant le délai de la procédure juridique, le migrant ne dispose d’aucune procédure de mise à l’abri. De plus, en cas d’une décision défavorable du département le migrant, s’il est bien un mineur, se retrouve catalogué majeur, et donc en dehors des critères de protection de l’enfance. Malgré toutes les définitions données par les institutions européennes, comme le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), et malgré les moyens qui sont en théorie disponible, la situation du MNA est catastrophique.

Autre problème : la superposition de plusieurs règles juridiques. En effet, si le droit international aborde ce statut du MNA, le droit national quant à lui régule la migration dans son ensemble.

Différences de régime et relations transfrontalières méridionales.

En France, le CESEDA, qui codifie le droit des étrangers, ne fait aucune distinction avec un migrant adulte, et ne consacre pas de régime dérogatoire, pour un mineur se présentant à une frontière du territoire français. S’il est déjà sur le territoire, la protection de l’enfance s’applique directement. Mais lorsqu’il se présente à la frontière, il peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement ou encore de refoulement.

En Italie, le gouvernement a décidé de réagir à la situation déplorable de gestion des mineurs non accompagnés sur le sol italien. En 2017, une loi est votée mettant en place un cadre juridique d’entrée du MNA sur le territoire italien, ainsi que des procédures liées à l’accueil et au traitement de ces mineurs. Cette loi « Zampa », du nom du politicien italien à l’origine du projet de loi, vient reconnaître les vulnérabilités particulières des mineurs non accompagnés, et leur consacre des droits. Dans le cadre de la procédure de vérification de l’âge d’un nouvel arrivant, dans le cas où un doute s’installe, les techniques employées se doivent d’être les moins intrusives possible.

La loi énonce également les différents points de la procédure d’accueil de ces MNA, allant de la prise en charge des soins, mais également du logement. Cependant, malgré toute la bonne volonté initiée par cette loi, la mise en place s’est avérée plus difficile que prévue, et de nombreux MNA sont encore dans des situations précaires, exclus de ce système d’accueil et de protection.

En Espagne, la question se pose différemment. Une loi de 1996 étend les dispositions de protection de l’enfance à tous les mineurs présents sur le territoire espagnol. Les dispositions en question sont celles énoncées par l’article 20 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), et s’appliquent donc aux MNA. Malgré la bonne volonté de cette loi, elle rencontre elle aussi le problème de la cohabitation avec les dispositions nationales sur les étrangers. La politique migratoire visant à contrôler et restreindre les flux migratoires aux frontières espagnoles semble être à contre-courant de cette loi. Ce point de conflit trouve sa réponse en théorie dans le droit international, et plus précisément dans ladite CIDE, à l’article 3, qui consacre l’intérêt de l’enfant comme un intérêt supérieur, et devant être considéré comme prioritaire.

Être un MNA en Espagne, et reconnu comme tel, c’est avoir accès immédiatement à tous les services de protection de l’Enfance disponible. Dans le Code Civil espagnol, cette situation est jugée prioritaire car elle est jugée desemparo, autrement dit une situation de détresse et d’abandon. C’est d’ailleurs là un point de droit assez intéressant à étudier par rapport à la situation en France. L’Espagne accorde une importance tout aussi grande que la France à la situation des MNA, mais la différence réside dans les moyens que déploie l’Espagne à protéger ces mineurs. Lorsqu’un mineur est reconnu comme tel et comme non accompagné sur le territoire, il est très compliqué pour ce mineur de quitter l’Espagne, car il est considéré comme étant en détresse, et donc très bien pris en charge.

En France, un mineur non accompagné a ses chances de bouger sur le territoire et donc de pouvoir éventuellement continuer son périple plus au Nord de l’Europe. C’est pour cette raison que beaucoup de migrants se disent adulte en Espagne, et une fois à la frontière française se réclament de leur statut de mineur non accompagné, car ils savent qu’en Espagne le droit est « trop en leur faveur » et les contraint, dans une certaine mesure, à rester sur le territoire espagnol.

Si chacun de ces trois pays prônent une protection de l’Enfance, et mettent en œuvre des moyens pour aider et protéger ces MNA, il est tout de même possible de constater que dans les faits, la situation est beaucoup plus compliquée. De manière générale, les politiques migratoires nationales, et comprenant donc le statut des MNA, est impossible à mettre en place dans son entièreté.

Pierre Marsaut, Juriste, Expert en questions migratoires.

[1CA Lyon, 6 novembre 2013, RG n°13/01698.

[2CA Lyon, 6 novembre 2013, RG n°13/01698.