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[Réflexion] Internet pour obtenir un titre de séjour, le Conseil d’Etat a tranché ! Par Benjamin Brame, Avocat.
Parution : jeudi 23 juin 2022
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Suite à sa décision historique du 03 juin 2022, le Conseil d’Etat précise :
« Tout d’abord, les usagers qui ne disposent pas d’un accès aux outils numériques, ou qui rencontrent des difficultés dans leur utilisation de l’outil, doivent pouvoir être accompagnés. Ensuite, s’il apparaît que certains usagers sont dans l’impossibilité, malgré cet accompagnement, de recourir au téléservice, pour des raisons tenant à sa conception ou à son mode de fonctionnement, l’administration doit leur garantir une solution de substitution. Ces conditions visent à prendre en compte les caractéristiques et situations particulières des étrangers demandant un titre de séjour, qui pourraient perdre le droit de se maintenir sur le territoire si leur demande n’était pas enregistrée. »

Dans un précèdent article : "Droit des étrangers : usage du référé pour obtenir des rendez-vous en préfecture", nous écrivions que les avocats spécialisés en droit des étrangers ont dû « rivaliser d’ingéniosité pour aider leurs clients à déposer leurs demandes de titre de séjour » et que pour cela, le référé dit « mesures utiles » s’est révélé être un outil juridique crucial.

Ensuite les choses ont évoluées et les préfectures ont à leur tour dû se plier aux exigences des juges des référés ; lesquels ont largement suivi le raisonnement des avocats défenseurs des droits des étrangers.

Il est vrai que l’usage des référés mesures utiles par les avocats pour demander au juge d’enjoindre aux préfectures de fixer un rendez-vous aux demandeurs de titre de séjour a connu un franc succès !

Après tout, avoir accès aux préfectures pour voir sa situation enregistrée et instruite, constitue un droit pour n’importe quel justiciable et non pas seulement une option ouverte à l’administration.

Mais aujourd’hui, après plus de deux ans de combat avec l’administration, et pour éviter les injonctions du juge et contrecarrer l’usage des réfères mesures utiles, les préfectures ont mis en place un nouveau système de prise de rendez-vous toujours en ligne mais via l’usage d’un formulaire prérempli auquel on ajoute les documents numérisés pour l’instruction de la demande.
Si cette méthode de prise de rendez-vous a impacté tout d’abord l’admission exceptionnelle au séjour, elle s’est ensuite développée pour la quasi-totalité des autres titres de séjour et renouvellement de titres de séjour.

Avec ce nouveau système les demandeurs, candidats impétrants à un titre de séjour, semblent être soulagés de ne plus avoir à capturer sans fin leur écran d’ordinateur indiquant la perpétuelle phrase « il n’existe pas de plage horaire disponible. Veuillez recommencer ultérieurement ».

Mais peut-on réellement parler d’un progrès ?
Peut-on aujourd’hui, obtenir plus facilement un rendez-vous en préfecture pour le dépôt de son dossier de demande de titre de séjour ? Ou pour se voir délivrer son récépissé de dépôt ?

Rien n’est moins sûr !
En effet, il semblerait que ce nouveau modus operandi ne soit qu’une étape supplémentaire permettant de faire patienter le demandeur qui aurait déposé en ligne, mais en réalité l’éloignant encore plus de son réel rendez-vous en préfecture.

Une autre question se posait alors : Le juge administratif allait-t-il valider sans concession la nouvelle procédure dématérialisée mise en place par les préfectures ? Qu’elle se présente sous forme d’un formulaire en ligne créé par la préfecture, ou une simple option ouverte aux étrangers sur le site « démarches simplifiées » du service public.

Si tel avait été le cas, alors la voie du référé mesures utiles, aurait été tout le moins plus difficile à utiliser car celle-ci servait surtout à obtenir un rendez-vous en préfecture par injonction du juge administratif.

En effet, le tribunal aurait alors exigé des preuves encore plus convaincantes pour enjoindre aux préfectures de fixer un rendez-vous aux demandeurs dans un délai déterminé.

Le nouveau formulaire affiché désormais sur le site des préfectures aurait pu suffire à ce que le juge des référés ne valide plus l’impossibilité pour le demandeur de prendre un rendez-vous ; celui-ci étant devenu en apparence inutile ;
Le demandeur aurait dû alors attendre une réponse de la préfecture à sa demande de titre de séjour et non à la demande de rendez-vous, le dossier étant alors déjà déposé en ligne sur un formulaire dédié à cet effet où sur « démarches simplifiées ».

Ce n’aurait alors été qu’après une interminable attente, que l’intéressé aurait pu tenter d’aller devant le juge pour lui démontrer l’absence de réponse de la préfecture à la suite de sa demande de titre de séjour.

La situation irrégulière du demandeur n’aurait alors plus suffi à ce que le juge oblige l’administration compétente à fixer rapidement un rendez-vous.
Voilà pourquoi, nous pensons que le Conseil d’Etat, pour toutes ces raisons évoquées dans cet article, a décidé le 3 juin 2022, d’encadrer l’obligation d’utiliser un téléservice pour les demandes de titres de séjour.

Cette décision était très attendue, espérons maintenant que les préfectures n’essaient pas de la contourner ; Car comme nous avons déjà pu l’écrire de nombreuses fois, le droit des étrangers, prétorien par nature, est un vrai jeu du chat et de la souris entre préfectures et avocats en droit des étrangers, avec comme Maître de maison la plus Haute juridiction administrative, le Conseil d’Etat.

Benjamin Brame Avocat au Barreau de Paris Droit des Contentieux Publics Site Web: http://www.brame-avocat.com E-mail: [->contact@brame-avocat.com]