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Qui peut connaitre de la recevabilité des demandes nouvelles, le Conseiller de la mise en état ou la Cour ? Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : lundi 27 juin 2022
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La combinaison de l’ensemble des dispositions des articles 907, 789 - 6° et 123 du Code de Procédure Civile autorise-t-elle le Conseiller de la mise en état à statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles interdites par l’article 564 du Code de Procédure Civile à hauteur d’appel ?
La Cour de cassation n’a pas encore tranché la question et des hésitations demeurent en l’état des textes.
Les praticiens sont confrontés à de multiples questionnements traduits en incidents de procédure.

Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 attribut le pouvoir au Juge de la mise en état de statuer sur une fin de non-recevoir dont on sait qu’il est partagé avec le Conseiller de la mise en état par renvoi de l’article 907 du Code de Procédure Civile.

Si l’on comprend à l’évidence que le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, qu’en est-il du Conseiller de la mise en état pour statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles interdites par l’article 564 du Code de Procédure Civile à hauteur d’appel ?

C’est la question la plus délicate.

Elle suscite des interrogations pratiques.

En ajoutant un 6° dans l’énoncé de l’article 789 du Code de Procédure Civile, les rédacteurs pouvaient-ils imaginer déclencher un tel torrent de perplexité et d’interrogations ?

Quels sont les textes qui déterminent la compétence attribuée au Conseiller de la mise en état ?

Les articles consacrés aux compétences du conseiller de la mise en état devant la cour n’ont pas été modifiés par le décret du 11 décembre 2019.

Seul l’article 907 du Code de procédure civile a fait l’objet d’une modification pour prévoir l’application des articles relatifs à la mise en état devant le tribunal et devant la cour, soit les articles 780 à 807 dudit Code.

Cet article confère t-il compétence au Conseiller de la mise en état du sort des demandes nouvelles en appel : recevabilité ou irrecevabilité ?

L’article 564 du Code de Procédure civile prévoit que les demandes nouvelles en appel sont par principe frappées d’irrecevabilité relevée d’office.

La combinaison de l’ensemble des dispositions des articles 907, 789 - 6° et 123 du Code de Procédure Civile autorise-t-elle le Conseiller de la mise en état à statuer sur cette fin de non-recevoir lorsque la connaissance de cette question n’est pas expressément réservée au Conseiller par un texte ?

Doit-on au contraire considérer, par analogie avec le régime applicable aux exceptions de procédure, que l’étendue du pouvoir du conseiller de la mise en état en matière de fins de non-recevoir est limitée aux fins de non-recevoir essentiellement relatives au droit d’agir ?

Par avis n°15008 du 3 juin 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a retenu :

« Le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge ».

Certes, l’avis du 3 juin 2021 ne répond pas expressément à la question de savoir si le Conseiller de la mise en état est compétent pour statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel.

Mais il livre indirectement la solution.

Tout d’abord, la Cour de cassation invite à distinguer là où l’article 789-6° ne distingue pas : certaines fins de non-recevoir doivent être soumises au Conseiller de la mise en état.

D’autres ne le peuvent pas dont l’examen impliquerait une appréciation et pourrait conduire à une infirmation.

Ensuite, l’article 907 du Code de procédure Civile ne saurait avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétences définies par la loi.

Le conseiller de la mise en état n’est pas juge d’appel.

Il ne peut connaître des fins de non-recevoir qui auraient pour conséquences si elles étaient accueillies de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge.

Il est exclusivement le juge des incidents nés au cours de la procédure d’appel.

En conséquence, il n’a pas le pouvoir de confirmer ou d’infirmer la décision du premier juge.

L’effet dévolutif relève donc de la Cour d’appel.

Or, la prohibition des demandes nouvelles de l’article 564 du Code de Procédure Civile a tout à voir avec l’étendue de la saisine de la Cour.

Le Conseiller de la mise en état ne pourra donc être saisi d’une fin de non-recevoir pour statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel qui aurait des conséquences si elle était accueillie de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge et l’amènerait surtout à empiéter sur le périmètre de la Cour.

Ainsi seule la cour d’appel le peut en vertu de l’effet dévolutif.

Disons-le d’emblée, cet avis est d’une portée pratique considérable.

L’avis le dit : son intervention ne doit pas avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi ou de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge.

Comment peut-on en effet admettre l’idée d’un conseiller de la mise en état qui puisse juger de l’excès de pouvoir du premier juge ?

Comment peut-on en effet admettre l’idée d’un conseiller de la mise en état saisi d’un incident d’irrecevabilité d’un recours en révision qui puisse apprécier les conditions de son ouverture et qui l’amènerait à rétracter un arrêt d’appel ?

Comment un conseiller de la mise état qui qualifierait des demandes comme nouvelles devant la Cour et les jugeraient irrecevables ne remettrait-il pas en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge, ne serait-il pas amené à méconnaître les effets de l’appel ?

C’est sans doute la problématique qui sera la plus délicate à trancher pour les proches années à venir.

Pour aller plus loin sur le sujet :
- La structuration des conclusions devant le tribunal judiciaire.
- Focus sur le décret d’application du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.
- Guide pratique du décret d’application du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.
- Guide pratique du décret du 11 décembre 2019 : quels pièces et actes à produire devant le tribunal judiciaire par type de contentieux.
- Avis n°15008 du 3 juin 2021 de la Deuxième Chambre Civile de la Cour de cassation.

Benoit Henry, Avocat Spécialiste de la Procédure d'Appel [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau Récamier Membre de Gemme-Médiation https://www.facebook.com/ReseauRecamier/