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Quelle base juridique pour une répartition inégalitaire des bénéfices sociaux ? Par Louis Brulé-Naudet, Etudiant.
Parution : jeudi 23 juin 2022
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Une décision unanime des associés est-elle un véhicule de droit conforme à la pratique jurisprudentielle ?

La nécessité d’une modification statutaire.

Il est, depuis le 1er juillet 1978 [1] et l’apport de l’article 1844-1 au Code civil [2], dans l’orthodoxie juridique de considérer la clé de répartition des dividendes, entendus en les parts des sommes distribuables de l’exercice que l’assemblée générale des associés ou des actionnaires décide de répartir entre eux conformément aux dispositions statutaires [3], comme une variable de décision soumise à tempérament par la loi contractuelle.

A cet effet, le sous-syntagme « le tout sauf clause contraire » du premier alinéa de l’article 1844-1 a pu bénéficier d’un éclairage jurisprudentiel sur la question de la compétence pour la détermination de la formule de répartition des dividendes, et la chambre commerciale jugera finalement, à l’occasion d’une décision du 18 décembre 2012 [4] que la « modification de la répartition de la part de chaque associé dans les bénéfices sociaux ne pouvait résulter que d’une décision collective des associés », en l’occurrence prise dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire approuvant une résolution modificative des dispositions statutaires.

La ratification par décision unanime extra-statutaire : une pratique dérogatoire à la portée limitée.

Après l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 2 mars 2004 [5], une double observation s’est trouvée sacralisée dans la nature des actes ratifiant une pratique modificative des prévisions statutaires : d’une part, l’exigence d’un respect de conditions de fond et de forme se trouve réaffirmée en la nécessité d’une matérialisation non équivoque de la volonté commune des associés de modifier la clé de répartition des bénéfices sociaux, usant comme véhicule le consentement unanime et l’indication précise de l’objet de la stipulation [6] ; d’autre part, la validité de l’acte est indifférente de sa nature, pourvu qu’il soit régulièrement ratifié et qu’il en résulte une indiscutable et régulière modification statutaire.

A ce niveau, il n’en résulte pas moins une interrogation concernant le formalisme encadrant une telle pratique, notamment en ce qui porte sur les éléments requis par l’article 46 du décret no 78-704 du 4 juillet 1978 [7].

Ainsi, si aucune mention n’est faite de la part de la Cour de cassation, on espèrerait la soumission à un certain cadre permettant le maintien des dispositions réglementaires en droit positif. Finalement, la question de la portée semble être fondamentale pour la résolution de la problématique, la conséquence étant qu’en la manifestation unique d’un acte unanime, et à défaut de respecter les formalités de publicité attachées aux modifications statutaires, la décision de bouleversement d’une formule de répartition des bénéfices sociaux ratifiée ne saurait être opposable aux tiers et se présenterait davantage comme un résidu imparfait de la pratique sociétaire : son opposabilité se trouve limitée par l’effet relatif du contrat, l’acte demeurant inopposable aux tiers.

En somme, bien qu’une répartition inégalitaire des bénéfices sociaux puisse trouver sa base au sein d’un acte constatant la décision unanime des associés, on préférera une modification statutaire dans le cadre d’une ratification pérenne, notamment en vue de l’objectif de protection des intérêts des tiers.

Louis Brulé-Naudet, Etudiant Recherche en droit des affaires et fiscalité, Université Paris-Dauphine

[1Voir : loi 78-9 1978-01-04 JORF du 5 janvier 1978, en vigueur le 1er juillet 1978.

[2Article 1844-1 du Code civil : « La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire.

Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

[3Lamy Sociétés commerciales, §2432.

[4Cass. com., 18 déc. 2012, no 11-27.745.

[5Cass. 1re civ., 2 mars 2004 : BRDA, 2004/6, no 3 ; D., 2004, p.807, obs. A. Lienhard.

[6Celui-ci étant naturellement astreint à la licéité.

[7Article 46 du décret no 78-704 du 4 juillet 1978, modifié par le décret no 2019-1118 du 31 octobre 2019 : « Lorsque la décision des associés résulte de leur consentement exprimé dans un acte, cette décision est mentionnée, à sa date, dans le registre prévu à l’article 45 ci-dessus. La mention dans le registre contient obligatoirement l’indication de la forme, de la nature, de l’objet et des signataires de l’acte. L’acte lui-même, s’il est sous seing privé ou sa copie authentique, s’il est notarié, est conservé par la société de manière à permettre sa consultation en même temps que le registre des délibérations ».