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Saisine du tribunal par l’entrepreneur individuel en difficulté.
Parution : dimanche 26 juin 2022
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Le décret relatif au traitement des difficultés de l’entrepreneur individuel est enfin publié : l’entrepreneur individuel doit distinguer dans sa demande d’ouverture ses biens, droits et obligations relevant du patrimoine personnel de ceux de son patrimoine professionnel. Voici le 3e et dernier volet de notre triptyque consacré à l’entreprise individuel.
Cet article constitue le troisième volet d’un triptyque consacré au patrimoine de l’entrepreneur individuel.

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Le décret d’application n° 2022-890 du 14 juin 2022 publié au Journal Officiel du 16 juin ajoute un titre VIII bis après le titre VII du livre VI de la partie réglementaire du code de commerce (D. art. 1er, VI). Comme l’indique la notice de ce décret, il est entré en vigueur le lendemain de sa publication, donc le 17 juin 2022. Par application du nouvel article L. 681-1, alinéa premier résultant de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 dès lors que le débiteur est un entrepreneur individuel, c’est le tribunal de la procédure collective qui est compétent pour connaître d’une demande d’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire ; pour le rétablissement professionnel, le texte réserve des règles propres), ou d’une procédure de surendettement des particuliers (C. com., art. L. 681-1, al. 1er).

Demande d’ouverture

Le décret du 14 juin 2022 précise que cette demande est notamment régie par les dispositions habituelles concernant l’ouverture des procédures collectives du livre VI du code de commerce. De surcroît, le débiteur doit également distinguer ses biens, droits et obligations relevant du patrimoine personnel de ceux de son patrimoine professionnel. Plus précisément, « la situation de trésorerie, l’état chiffré des créances et des dettes, l’état actif et passif des sûretés ainsi que celui des engagements hors bilan et l’inventaire sommaire des biens du débiteur exigé par les 2° et 5° à 7° de l’article R. 621-1 et les 3° et 5° à 7° de l’article R. 631-1 sont présentés en distinguant les biens, droits ou obligations du débiteur relevant du patrimoine professionnel et ceux relevant du patrimoine personnel » (C. com., art. R. 681-1, I, 1°).

Par ailleurs, si le débiteur a renoncé à la protection de son patrimoine personnel en faveur d’un créancier dont la créance est née de son activité professionnelle, comme le permet l’article L. 526-25 du code de commerce, les actes de renonciation sont mentionnés en précisant le nom du créancier concerné ainsi que le montant de l’engagement (C. com., art. R. 681-1, I, 1° ; D. n° 2022-799, 12 mai 2022, JO : 13 mai ; Arr. 12 mai 2022, JO : 13 mai).

Informations relatives à la procédure de surendettement

Outre les pièces et informations qui doivent habituellement être produites lors de la demande de l’ouverture d’une procédure collective (V. C. com., art. R. 621-1 et R. 631-1), le débiteur doit également fournir celles mentionnées aux articles R. 721-2 et R. 721-3 du code de la consommation (C. com., art. R. 681-1, I, 2°) qui concernent la procédure de surendettement des particuliers.
Ainsi, il doit notamment mentionner « sa situation familiale » et fournir « un état détaillé de ses revenus et des éléments actifs et passifs de son patrimoine et indique le nom et l’adresse des créanciers ». Il mentionne également « les procédures d’exécution en cours à l’encontre de ses biens ainsi que les cessions de rémunération qu’il a consenties à ses créanciers. Il précise également s’il fait l’objet d’une mesure d’expulsion de son logement. Lorsqu’il bénéficie d’une mesure d’aide ou d’action sociale, il indique le nom et les coordonnées du service chargé de cette mesure ».

Le décret du 14 juin 2022 précise, enfin, que le débiteur peut demander, dans sa demande d’ouverture de la procédure du livre VI du code de commerce, le bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers, sous-entendu, pour ce qui concerne son patrimoine privé (C. com., art. R. 681-1, II). En effet, cette procédure ne peut être ouverte qu’avec l’accord du débiteur, accord qui peut d’ailleurs être recueilli lors de l’audience au cours de laquelle il est statué sur l’ouverture de la procédure collective du livre VI du code de commerce (C. com., art. R. 681-2).

Jugement d’ouverture

On se souvient que par application de l’article L. 681-1, alinéa 2, sous réserve des règles propres au rétablissement professionnel, le tribunal apprécie à la fois si les conditions d’ouverture de la procédure collective et de la procédure de surendettement sont remplies. Le décret d’application ajoute que le tribunal statue dans un même jugement. De surcroît, si les deux patrimoines sont en difficulté, et que « la distinction des patrimoines professionnel et personnel a été strictement respectée et que le droit de gage des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel ne porte pas sur le patrimoine personnel de ce dernier », deux procédures peuvent être ouvertes, une procédure livre VI et une procédure de surendettement.

Dans ce cas, le tribunal qui ouvre la procédure saisit, avec l’accord du débiteur, la commission de surendettement aux fins de traitement des dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable sur son patrimoine personnel (C. com., art. L. 681-2, IV). En telle hypothèse, « le greffe du tribunal transmet sans délai au secrétariat de cette commission une copie du jugement et de l’ensemble des pièces du dossier » (C. com., art. R. 681-3, al. 2).

Par ailleurs, le décret envisage également l’hypothèse dans laquelle seules les conditions d’ouverture d’une procédure de surendettement sont réunies, auquel cas, par application de l’article L. 681-3 du code de commerce, le tribunal renvoie l’affaire, avec l’accord du débiteur, devant la commission de surendettement. Le greffe du tribunal « transmet sans délai au secrétariat de la commission de surendettement territorialement compétente une copie du jugement ainsi que l’ensemble des pièces du dossier » (C. com., art. R. 681-3, al. 2).

Dans ces deux hypothèses, dès lors que la commission de surendettement est saisie, elle en informe la Banque de France pour qu’il soit procédé à l’inscription au fichier prévu à l’article L. 752-2 du code de la consommation. Elle informe également la Banque de France, aux mêmes fins, lorsqu’elle est saisie par la cour d’appel statuant sur un recours formé contre une décision de rejet de la demande d’ouverture (C. consom., art. R. 752-2 créé par D., art. 2).

Publicités au BODACC

Le jugement d’ouverture fait l’objet des publicités habituelles (C. com., art. R. 621-8 modifié en son 4e alinéa pour prendre en compte l’ « EI » ; v. D. art. 1er, II) étant ajouté que l’avis de ce jugement inséré au BODACC mentionne la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle incorporant le nom ou nom d’usage du débiteur, précédé ou suivi immédiatement des initiales « EI » ou « entrepreneur individuel » ( D. n° 2022-725, 28 avr. 2022, art. 1er et 2, II, JO : 29 avr. ) et l’indication de la procédure ouverte en application du II, du III ou du IV de l’article L. 681-2 du code de commerce, à savoir, procédure collective du livre VI concernant le patrimoine professionnel, procédure unique concernant les deux patrimoines, ou enfin, dans l’hypothèse où les deux patrimoines sont strictement distincts, procédures collectives et procédure de surendettement (C. com., art. R. 681-4, al. 1er).

Il est de surcroît précisé que la mention de la dénomination utilisée pour l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel figure également dans l’avis du jugement mentionné à l’article R. 611-43, texte qui vise le jugement d’homologation dans le cadre d’une conciliation (C. com., art. R. 681-4, al. 1er).

Notifications faites par le greffe du tribunal ou la commission de surendettement

Lorsque deux procédures sont ouvertes : une procédure collective et une procédure de surendettement (C. com., art. L. 681-2, IV) ou uniquement la procédure de surendettement (C. com., art. L. 681-3), le jugement est notifié par le greffe au débiteur et aux créanciers dont l’existence a été signalée par le débiteur. S’il y a lieu, le greffe en avise également le mandataire judiciaire, le ministère public et l’administrateur judiciaire lorsqu’il en a été désigné un (C. com., art. R. 681-4, al. 2).

La notification aux autres organismes et personnes mentionnés aux articles R. 722-1 (débiteur, créanciers, établissements de paiement et établissements de crédit teneurs de comptes du déposant) et R. 722-6 du code de la consommation (agents chargés de l’exécution et, le cas échéant, au greffier en chef du tribunal judiciaire en charge de la procédure de saisie des rémunérations ou de la cession des rémunérations, qui en informe le tiers saisi ou le cessionnaire) est effectuée par la commission de surendettement (C. com., art. R. 681-4, al. 2). Et il en va de même pour la notification de la décision de recevabilité à la caisse d’allocations familiales ou à la caisse de mutualité sociale agricole dont relève le débiteur, en vue du rétablissement de l’aide personnalisée au logement ou des allocations de logement (C. consom., art. R. 722-6, dernier al. sur renvoi de C. com., art. R. 681-4, al. 2)
Le décret précise enfin que la décision de rejet de la demande d’ouverture mentionnée à l’article L. 681-1, à savoir procédure collective ou de surendettement, est notifiée par le greffe au débiteur (C. com., art. R. 681-4, dernier al.).

Voie de recours et contestation de la séparation des patrimoines

Les jugements rendus en application de l’article L. 681-2, IV (ouverture de deux procédures) et de l’article L. 681-3 (demande d’ouverture d’une procédure collective ou de surendettement) sont susceptibles d’appel par les parties dans un délai de 10 jours à compter de leur notification (C. com., art. R. 681-5).
Le créancier qui n’est pas partie aux jugements précités, peut contester la séparation des patrimoines de l’entrepreneur individuel par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de 10 jours à compter de la notification qui lui a été faite, ou à compter de la publication du jugement au BODACC (C. com., art. R. 681-6, al. 1er).

En cas de contestation, l’entrepreneur individuel, les créanciers connus, le mandataire judiciaire, le ministère public et l’administrateur judiciaire, lorsqu’il en a été désigné un, sont convoqués par tout moyen et sans délai par le greffe. Le tribunal recueille leurs observations et statue sur l’ensemble des contestations soulevées (C. com., art. R. 681-6, al. 2). La décision est notifiée par le greffe et est susceptible d’appel dans un délai de 10 jours à compter de sa notification (C. com., art. R. 681-6, dernier al.).

Réunion des patrimoines

La loi du 14 février 2022 prévoit notamment la possibilité d’ouvrir une seule procédure à l’encontre du patrimoine personnel et professionnel. Même si le texte légal précise que le tribunal traite alors « dans un même jugement, des dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable sur ses patrimoines professionnel et personnel, en fonction du droit de gage de chaque créancier, sauf dispositions contraires » (C. com., art. L. 681-2, III), ce qui postule en quelque sorte deux procédures en une seule.

La situation est donc bien différente de celle d’une procédure résultant d’une réunion de l’actif pour confusion des patrimoines qui reste possible comme en atteste le décret qui modifie l’article R. 621-8-1 du code de commerce, relatif à la saisine du tribunal à cette fin. Plus précisément, il n’est plus fait mention de l’EIRL dans ce texte, mais de l’entrepreneur individuel.

Communication réciproque entre tribunal et commission de surendettement
Lorsque deux procédures distinctes sont ouvertes, une procédure livre VI et une procédure de surendettement, le tribunal et la commission de surendettement s’informent réciproquement de l’évolution de chacune des procédures ouvertes (C. com., art. L. 681-2, IV). Le décret du 14 juin 2022 précise que cette communication porte sur « toutes informations qu’ils jugent utiles à l’accomplissement de leur mission, et notamment les décisions et mesures qu’ils prennent ainsi que les pièces versées à leurs dossiers susceptibles d’éclairer la situation financière générale de l’entrepreneur individuel concerné par les deux procédures. » (C. com., art. R. 681-7).

Modifications du code rural et de la pêche maritime

Quelques modifications mineures de ce code sont à signaler. Ainsi, l’intitulé du chapitre 1er du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime est désormais « Règlement amiable et procédures instituées par les titres II, III et IV du livre VI du code de commerce » et non plus « Règlement amiable, le redressement et la liquidation judiciaires de l’exploitation agricole » (D., art. 3, 1°). Parallèlement, la section 2, intitulée « Redressement et liquidation judiciaire » devient « Les procédures instituées par les titres II, III et IV du livre VI du code de commerce » (D., art. 3, 4°).

L’article R. 351-5 relatif au règlement amiable agricole précise désormais qu’en cas de prononcé de la suspension provisoire des poursuites, l’avis inséré au BODACC comporte s’il y a lieu la dénomination de l’activité professionnelle exercée par l’entrepreneur. L’EIRL n’est donc plus expressément visé (D.., art. 3, 2°). L’article R. 351-6-3, relatif à l’avis de l’ordonnance d’homologation au BODACC connaît une modification identique (D.., art. 3, 3°).

Philippe Roussel Galle, Professeur à l’université Paris Cité, membre du CEDAG D. n° 2022-890, 14 juin 2022 : JO, 16 juin

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