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La fiscalité des NFT : quelles certitudes en 2022 ? Par Stéphanie Ernould, Avocat.
Parution : samedi 25 juin 2022
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Quel est le régime de ces nouvelles technologies qui bouleversent l’univers du numérique ?
Les « non-fungible tokens » (jetons non fongibles) existent depuis 2014 mais c’est récemment qu’ils ont connu un essor hors du commun.
Le marché des NFT valait en effet 41 milliards de dollars rien qu’en 2021, un montant qui se rapproche de la valeur totale de l’ensemble du marché mondial de l’art.
Compte tenu de ces montants pharamineux, on peut légitimement se poser la question de leur réglementation fiscale.
Qu’en est-il concrètement en droit positif ?

Qu’est-ce qu’un NFT ?

Avant même de les définir, répondons à la question essentielle suivante : à quoi sert réellement un NFT ?

Les NFT servent à authentifier et rendre uniques des fichiers numériques (texte, image, vidéo, etc.)

D’un point de vue technique, un jeton non fongible est un certificat de propriété numérique, c’est-à-dire une donnée cryptographique représentant la propriété d’un objet virtuel (parfois réel) ; il est acheté avec une cryptomonnaie.

Plus concrètement, l’objet représenté par le NFT peut être une photo, une vidéo, un objet, un dessin numérisé, un fichier digital, ou encore un son. Cet objet, authentifié et validé grâce aux protocoles de sécurité d’une blockchain, peut être acheté et vendu.

En revanche, contrairement aux cryptomonnaies qui peuvent être échangées avec un autre identique de même valeur, la particularité des NFT est qu’ils ne sont pas mutuellement interchangeables, d’où le terme « non fongible ».

Ils attestent ainsi d’une forme de rareté numérique, et garantissent la propriété d’un actif immatériel.

Par ailleurs, leur valeur, déterminée par la loi de l’offre et de la demande, n’est régulée par aucune instance.

Quel est le régime fiscal des NFT ?

Si le législateur a réglementé les cryptomonnaies, à ce jour la loi reste muette sur le régime fiscal (et juridique) des NFT. La solution actuelle consiste ainsi à raisonner par analogie :

- Peut-on appliquer le régime fiscal applicable aux crypto-monnaies ?

Pour rappel, les règles d’imposition des plus-values sur cessions d’actifs numériques (réalisées à titre occasionnel par les particuliers) résultent des dispositions de l’article 150 VH du CGI.

Les plus-values sur cryptomonnaie sont ainsi imposables à la flat-tax de 30% (12,8% impôt sur le revenu + 17,2% prélèvements sociaux). Aucune option pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu n’est possible, contrairement à ce qu’il serait prévu pour une cession d’action.

Les opérations imposables sont les cessions à titre onéreux correspondant à des ventes d’actifs numériques contre toute autre contrepartie en biens et services.

Cependant, les échanges sans soulte - par exemple échange de bitcoins contre des ethers - constituent des opérations intercalaires et ne sont pas imposables.

- Peut-on valablement appliquer ce régime aux NFT ?

Il faudrait que les NFT puissent être qualifiés d’actifs numériques.

Or, d’une part :
- comme le précise Pierre Person dans son récent rapport : « le NFT n’est qu’une enveloppe, une représentation numérique d’un bien virtuel ou physique » ;
- d’autre part, cela signifierait que l’échange d’un NFT contre une cryptomonnaie ne donnerait pas lieu à imposition (en tant qu’opération intercalaire).

Que reste-t-il dès lors en droit positif ?

- Régime fiscal des œuvres d’art.

Ce régime est assez favorable car il consiste dans une taxation forfaitaire de 6,5% (dont 0,5% de CRDS) appliqué sur le prix de cession.

Cependant, d’un point de vue technique les NFT sont des fichiers contenant des informations permettant d’authentifier le droit sur l’œuvre numérique, et ils ne constituent ainsi pas l’œuvre en elle-même.

Pour appliquer ce régime il faudrait ainsi considérer que le régime fiscal applicable est celui de l’actif sous-jacent : le NFT étant rattaché à une œuvre d’art, il suivrait son régime.

- Régime fiscal des meubles incorporels.

Ce régime - applicable aux cessions de brevet notamment - consiste dans une taxation forfaitaire de 36,5% (19% impôt sur le revenu + 17,2% prélèvements sociaux) appliquée à la plus-value réalisée.

L’avantage de ce régime est qu’il prévoit un abattement de 5% par année au-delà de la deuxième année, soit une exonération au bout de 22 ans.

C’est une éternité dans le monde du numérique et cela fait douter de la cohérence de ce régime en la matière...

- Régime fiscal applicable en matière immobilière : vers l’IFI ?

Dans la logique d’assimilation du NFT à son sous-jacent, on pourrait appliquer le régime des actifs immobiliers lorsque le NFT représente de tels actifs.

En pratique, cela signifierait toutefois que la taxe foncière, le barème progressif de l’impôt sur le revenu et l’IFI seraient applicables.

Cette stratégie d’assimilation à l’actif sous-jacent montre ses limites en termes de sécurité juridique.

Conclusion.

En définitive, aucun texte ni doctrine administrative ne permet aujourd’hui de déterminer avec certitude le régime fiscal des NFT. Une analyse au cas par cas de chaque situation est ainsi nécessaire, et il en résulte une insécurité juridique et fiscale pour les investisseurs.

Des clarifications sont grandement attendues dans la prochaine loi de finances pour 2023.

D’autant plus qu’au-delà de ces questions d’impôt sur le revenu, la problématique de la TVA est tout autant cruciale, tant que la nature des NFT n’est pas définie il est délicat de se prononcer sur le régime applicable, sans même parler des règles de territorialité …

Stéphanie Ernould Avocat fiscaliste Cabinet Stéphanie Ernould Avocats - Impact Law www.ernould-avocats.com
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