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La procédure sans audience : Famille, je vous tais ! Par Kristell Compain-Lecroisey, Avocat.
Parution : mardi 5 juillet 2022
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A vouloir trop déjudiciariser, l’Etat éloigne le justiciable du droit et augmente le sentiment d’injustice. Le procès est la chose des parties qui ont besoin de rencontrer leur juge et d’être entendues.

Exigence de rentabilité.

Ces dernières années, la multiplication des réformes confirme que le droit de la famille est un droit en perpétuel évolution. Si le nombre de dossiers et donc le contentieux augmentent, tel n’est malheureusement pas le cas des moyens consacrés à la justice : pas assez de juges, pas assez de greffiers, pas de matériels informatiques adaptés, voire pas de papier pour peu que le greffe ait la chance d’avoir une imprimante !

A l’heure de la rentabilité, pour pallier le manque de moyens, le législateur a imaginé développer les cas de procédure sans audience et donc sans comparution des parties au prétexte que le juge doit rédiger rapidement son jugement et ne pas perdre son temps à l’audience à écouter les justiciables et leurs avocats.

Or, dans le même temps, les délais de procédure s’allongent de manière excessive et la France est régulièrement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui estime que les décisions de justice sont rendues dans des délais trop longs.

Manifestement, empêcher les avocats de plaider, priver les familles du droit de s’exprimer ne permet nullement de réduire la durée des procédures ! En revanche cela interroge sur la crédibilité et donc l’efficacité de la décision rendue.

Qui dit oralité dit démocratie.

Le droit de la famille nous concerne tous, à tous les stades de la vie avant même notre naissance et jusqu’après notre mort. C’est dans le cadre familial que l’apprentissage de la langue débute ce qui permet l’élaboration de la pensée. Le droit de la famille est un droit vivant. Qui dit vie dit oralité. Qui dit oralité dit démocratie.

L’audience est le temps fort de la procédure, redouté ou attendu par le justiciable qui va enfin rencontrer son juge, lui parler. Priver le justiciable du droit de comparaître devant son juge, du droit de s’exprimer n’est pas seulement frustrant c’est surtout entretenir un sentiment de déni de justice. Le justiciable peut avoir l’impression que sa cause n’a pas été entendue, que le juge a négligé ses demandes.

Privé de l’accès au juge, le justiciable se sent privé de justice. Il a moins confiance dans la décision rendue et s’y pliera difficilement. Or l’Etat de droit suppose que les décisions de justice soient appliquées et donc exécutées. Sans exécution, la justice perd tout son sens et la démocratie est fragilisée.

L’intérêt pédagogique de l’audience.

L’audience c’est l’accès au réel, à la compréhension.

C’est souvent le moment où le justiciable prend conscience des faits. Il n’est pas du tout rare qu’une solution amiable soit trouvée après l’audience. L’audience a un intérêt pédagogique et permet de faire retomber la pression. Le juge a dit, le juge a fait son office.

C’est également le moment pour le juge de poser des questions, de dégager l’implicite.

Nombreux sont les juges aux affaires familiales qui renvoient les parties en médiation, reconnaissant que l’humanité passe par la parole. Pierre Drai, ancien président de la Cour de cassation a écrit que « juger, c’est aimer écouter, essayer de comprendre et vouloir décider… ».

Le procès est la chose des parties.

Certes il est des cas où la comparution des parties n’est pas nécessaire, des cas où les avocats acceptent de déposer leur dossier notamment lorsqu’il s’agit d’homologuer un accord. Mais le procès est la chose des parties ; c’est à elles seules et en aucun cas au juge de décider si elles acceptent ou non une procédure sans audience et donc exclusivement écrite.

La voix c’est l’humanité.

Maître Kristell Compain-Lecroisey Avocat - Médiateur