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Quel avenir pour la qualité de la Justice au lendemain des Etats généraux ? Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : mardi 5 juillet 2022
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Après la loi du 23 mars 2019 et celle du 22 décembre 2021 réformant la procédure civile, 3 décrets ont été adoptés.
La notion de qualité de la décision de la justice est toutefois difficile à appréhender.
L’étude de la qualité de la décision de justice ne se réduit pas à la décision telle qu’elle est rendue par le juge.
Elle est entendue comme le résultat d’un processus à l’occasion duquel le juge dit le droit avec l’avocat qui joue un rôle primordial.

Il est ici question d’identifier les éléments de contexte nécessaires à la qualité de la décision de justice.

Cela étant posé, le contexte dans lequel la décision est rendue est donc aussi important que la décision elle-même.

Il s’agit d’abord de la formation des acteurs du système judiciaire.

Il s’agit ensuite de la qualité de la procédure.

I- La formation des acteurs du système judiciaire.

Ces acteurs sont nombreux. Il s’agit non seulement des magistrats mais des greffiers, des avocats, des huissiers… Chacun d’eux intervient dans la chaîne de production de la décision de justice. Il n’est pas possible, dans le cadre de cette étude, de s’interroger sur le rôle de chacun.

Seuls le juge et l’avocat seront ainsi évoqués.

II -Le rôle du juge et de l’avocat est essentiel à la qualité de la décision rendue.

Le juge occupe une place centrale puisqu’il est chargé de rendre la décision.

Sa formation est essentielle à la qualité des décisions qu’il rend.

Il appartient à l’École nationale de la magistrature (ENM) d’assurer la formation initiale et continue des magistrats de l’ordre judiciaire français. Au cours de la première, les périodes de formation à l’école et de stage s’alternent afin de permettre aux futurs magistrats d’acquérir les compétences professionnelles nécessaires à leur activité (mener une procédure, conduire un entretien, motiver les décisions…). De même, une formation continue est exigée afin, notamment, d’informer les magistrats sur les changements dans la législation.

Enfin, une formation est parfois assurée afin, notamment d’aider le magistrat à l’installation dans un nouveau poste. Les juges doivent ainsi répondre à « des qualités de sérieux et de compétence. Il revient à chaque État de mettre en place un système de recrutement et de formation des juges qui en assure la qualité intellectuelle ». Le juge n’est cependant pas le seul acteur de la procédure, il n’est que l’un des maillons d’une chaîne qui aboutit à la production de la décision de justice.

L’avocat joue également un rôle primordial : il formalise les demandes, développe un argumentaire et rédige les conclusions qui vont permettre au juge de rendre sa décision. On pourrait ainsi considérer que le rôle de l’avocat est essentiel à la qualité des décisions, dans la mesure où c’est lui qui apporte la matière à partir de laquelle la décision est rédigée.

Parallèlement à ces éléments de contexte, la qualité des décisions de justice est liée à celle du processus juridictionnel conduisant à l’élaboration de la décision.

III- Les critères de qualité de la procédure comme fondement de la qualité de la décision rendue.

Il convient de s’attacher à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui contient les grands principes procéduraux garantissant le caractère équitable du procès.

Ces éléments procéduraux sont des critères essentiels de qualité des décisions de justice.

En effet, l’idée est que la solution adoptée par le juge « a de fortes probabilités d’être juste sur le fond si le processus juridictionnel et le jugement lui-même sont soumis à des exigences de qualité ». Le premier principe est le respect des droits de la défense et le droit à la contradiction, qui constituent des éléments nécessaires au procès équitable. Le second principe est le droit à un tribunal indépendant et impartial.

IV- La qualité de la procédure contribue à la qualité de la décision rendue.

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme exige que le procès soit équitable. La notion de procès équitable comprend donc le respect du contradictoire et l’égalité des armes. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, le respect du contradictoire « implique pour une partie la faculté de prendre connaissance des observations ou pièces produites par l’autre, ainsi que d’en discuter » et l’égalité des armes est une composante autonome de la garantie d’un procès équitable.

L’attention que la Haute juridiction accorde à ces principes démontre l’importance qui leur est accordée pour la qualité de la procédure et en conséquence pour la qualité de la décision qui en est l’aboutissement.

L’indépendance et l’impartialité du tribunal sont deux principes indispensables à la qualité des décisions de justice. Les deux notions vont souvent de pair mais ne sont pas équivalentes. L’indépendance s’apprécie par rapport à tout pouvoir extérieur au pouvoir judiciaire. L’impartialité, quant à elle, fait référence à l’organisation et au fonctionnement interne des juridictions. Bien que la qualité de la procédure contribue à celle des décisions de justice, elle ne suffit pas.

V- La décision, elle-même, doit respecter certaines règles propres à assurer sa qualité.

Tout d’abord, elle doit avoir le souci de répondre aux attentes des justiciables de disposer d’une décision de justice à l’écoute de leurs préoccupations. Il doit permettre ainsi de contribuer à la confiance dans les institutions judiciaires.

Le jugement doit être intelligible, notamment en ce que sa lecture ne doit pas s’apparenter à une course d’obstacles sémantiques pour le justiciable. Il doit permettre en tout cas aux parties la satisfaction même si elles n’ont pas obtenu gain de cause de voir leurs moyens et leurs arguments analysés et traités de manière approfondie.

D’une manière générale, pour résumer un sentiment largement partagé les arrêts sont d’excellente facture.

Ils sont rédigés d’une manière claire et compréhensible et ils sont très bien motivés.

Le travail des lecteurs d’arrêts placés auprès du Premier Président contribuent à la correction et à l’homogénéité de la rédaction des décisions.

Cette institution est d’une utilité qui mérite d’être soulignée et saluée.

Toutefois sur le plan de la jurisprudence, de nombreuses illustrations démontrent de grandes lacunes procédurales qui engendrent un nombre de pourvois importants.

Il en est ainsi, par exemple sur l’appréciation littérale et logique de l’article 901 du Code de Procédure Civile et de l’article 562 du Code de Procédure Civile.

1°- La Cour d’appel de Cassation a dû récemment affirmer dans un arrêt rendu le 19 mai 2022 FB n°21-10.685 qu’il ne relève pas du pouvoir discrétionnaire du juge face à une déclaration d’appel qui ne mentionnent pas les chefs de jugement critiqués de choisir la nullité ou l’absence d’effet dévolutif.

S’il relève naturellement du pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier la nullité ou l’absence d’effet dévolutif, le choix de l’arme procédurale a été laissée par la Cour de cassation elle-même à l’intimé selon les velléités belliqueuses qui l’animeront ou à ses connaissances procédurales.

Selon l’article 562 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s’opérant pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

En outre, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d’appel fondée sur ce même grief aurait été rejetée.

En application des articles L311-1 du Code de l’organisation judiciaire et 542 du Code de procédure civile, seule la cour d’appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur l’absence d’effet dévolutif, à l’exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l’article 914 du Code de procédure civile.

Ayant relevé que la déclaration d’appel mentionnant que l’appel est « total » ne visait aucun chef de jugement critiqué et qu’aucune régularisation de la déclaration d’appel n’était intervenue dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond, la cour d‘appel, qui ne pouvait que constater que cette déclaration d’appel était dépourvue d’effet dévolutif, quand bien même le conseiller de la mise en état avait rejeté la demande d’annulation de cette déclaration d’appel fondée sur l’absence de mention des chefs de jugement critiqués faute de grief causé aux intimés, n’en a pas déduit qu’elle n’était saisie d’aucune demande, l’absence d’effet dévolutif opérant pour l’ensemble des intimés.

Qu’en considérant que la déclaration était nulle au visa de 901 du Code de Procédure Civile alors que l’adversaire s’était prévalu du constat de l’absence d’effet dévolutif de l’appel au visa de l’article 562 du Code de Procédure Civile, la Cour a violé l’article 562 du Code de Procédure Civile, l’article L311-1 du Code de l’organisation Judiciaire et l’article 542 du Code de Procédure Civile.

C’était l’appréciation littérale et logique de l’article 562 du Code de procédure civile, et la réponse aussi à la question posée, celle de la sanction encourue entre la nullité et la fin de non-recevoir.

Ainsi, quand bien même le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d’annulation fondée sur l’absence de mention des chefs de jugement critiqués faute de grief causé aux intimés, la Cour d’appel ne peut que constater que cette déclaration d’appel est dépourvue d’effet dévolutif à l’égard de l’ensemble des intimés.

2°- La Cour d’appel d’Aix en Provence a récemment affirmé dans un arrêt rendu le 15 juin 2022 n°2022/158 RG 21/17245 que la déclaration d’appel ne vise aucun des chefs du jugement critiqué lorsqu’elle tend à l’infirmation du jugement qui a rejeté les demandes tendant à… mais reprend les prétentions de première instance.

S’il relève naturellement du pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier la nullité de la déclaration d’appel sur les chefs du jugement critiqués dans la déclaration d’appel, il est manifeste en l’espèce que la déclaration d’appel visait expressément deux chefs critiqués du jugement :

1°/ Le rejet de la demande tendant à ordonner l’expulsion.

Dans les motifs du jugement, le Tribunal rejette cette demande (page 6 - 2ème attendu)

Dans le dispositif du jugement, le premier juge rejette « toutes autres demandes ».

L’appel vise donc en premier lieu ce chef du jugement.

2°/ Le rejet de la demande tendant à obtenir une indemnité d’occupation.

Le Tribunal a accueilli cette demande (page 6 - 3ème attendu) mais n’est pas entré en voie de condamnation, déboutant là encore les appelantes.

Ce deuxième chef du jugement est également mentionné dans la déclaration d’appel.

L’appel se trouve seulement limité sur ces deux points qui font grief aux appelantes.

La déclaration d’appel était donc conforme aux prescriptions contenues dans l’article 901 du Code de procédure civile et à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Ainsi, quand la déclaration d’appel tend à l’infirmation du jugement qui a rejeté les demandes tendant à…

Il s’agit bien là du chef du jugement visé in fine dans le dispositif de la décision, à savoir « rejetons toute autre demande ».

La précision apportée (et donc ajoutée) sur la nature des demandes rejetées est superfétatoire et il ne saurait en être fait grief à l’avocat de l’avoir mentionnée.

Selon l’intimée, le chef de jugement à mentionner aurait dû être « rejetons toutes autres demandes ».

L’article 901 du Code de Procédure Civile n’impose nullement qu’il soit recopié dans la déclaration d’appel l’exact intitulé du jugement mais bien qu’il soit précisé les chefs du jugement qui sont contestés pour définir la saisine de la Cour.

Ce qui a été fait.

En l’espèce, la Cour d’Appel d’Aix en Provence invente donc une nullité.

On se demande laquelle ?

Quant au grief, il n’est pas caractérisé ?

Qu’en considérant donc que la déclaration était nulle, la Cour d’appel d’Aix en Provence a violé l’article 901 du Code de Procédure civile. En outre, l’adversaire s’était prévalu du constat de l’absence d’effet dévolutif de l’appel au visa de l’article 562 du Code de Procédure Civile, la Cour d’appel d’Aix en Provence a encore violé l’article 562 du Code de Procédure Civile, l’article L311-1 du Code de l’organisation Judiciaire et l’article 542 du Code de Procédure Civile.

C’était l’appréciation littérale et logique de l’article 901 et de l’article 562 du Code de procédure civile, et la réponse aussi à la question posée, celle de la sanction encourue entre la nullité et la fin de non-recevoir.

Ainsi, les chefs critiqués du jugement étaient bien mentionnés dans la déclaration d’appel et la procédure ne pouvait donner lieu à une quelconque nullité de la déclaration d’appel.

Que peut faire de plus en effet l’avocat en présence d’une décision qui rejetait une partie des demandes de l’appelante ?

Il s’agit bien là du chef du jugement contesté.

Il en est de même ainsi, par exemple sur la motivation de la décision par une simple formule de style.

La Cour de cassation a dû récemment réaffirmer dans un arrêt du 14 avril 2022 F-B n°20-22.578 qu’il relève du pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier l’utilité d’une mesure d’instruction ou d’une consultation ou d’une médiation et que celui-ci n’est en principe pas tenu d’ordonner une telle mesure en cas d’insuffisance des éléments fournis par les parties.

Ainsi, ordonner une mesure d’instruction s’impose parfois afin qu’une partie établisse les faits nécessaires au succès de ses prétentions. Mais le juge rejette parfois la demande tendant au prononcé de la mesure et il n’est pas rare que la partie voie dans ce refus la cause unique du rejet de ses prétentions.

S’il relève naturellement du pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction ou de consultation ou de médiation et les éléments de preuve sans être tenu d’ordonner une mesure d’instruction, il ne peut être reconnu une dispense de motiver sa décision par une simple formule de style empreint d’abstraction par un considérant sibyllin « pouvoir discrétionnaire du juge en conséquence déboute la partie ».

C’est dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire que le juge ordonne ou refuse d’ordonner une mesure d’instruction ou de consultation ou de médiation, ce qui implique que le juge motive sa décision au regard de la pertinence de la mesure sollicitée pour faire clairement ressortir le fondement de la décision et la motivation.

C’est à partir de l’ensemble des réflexions fondamentales ou expérimentales conduites dans le domaine de la qualité de la justice que l’on peut identifier quelques grandes catégories de critères à l’aune desquels peut être appréciée la qualité de la décision.

Pour aller plus loin :
Guide des critères de qualité des décisions de justice suite à la loi de programmation 2018-2022.

Benoit Henry, Avocat Spécialiste de la Procédure d'Appel [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau Récamier Membre de Gemme-Médiation https://www.facebook.com/ReseauRecamier/