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La reconnaissance du vice caché extérieur à la chose vendue. Par Marie Allix, Avocat.
Parution : jeudi 7 juillet 2022
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Alors que les risques environnementaux ne cessent de se multiplier, le nouvel arrêt de la Cour de cassation semble définir des contours plus larges à la notion de vice caché.

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 15 juin 2022 (n°A 21-13.286) et publié au bulletin apporte une précision sur la notion de vice caché.

Un acquéreur avait fait l’acquisition d’une maison située en Martinique à 40m du littoral, par acte notarié daté du 14 novembre 2016.

La Martinique subit régulièrement et depuis plusieurs années une pollution environnementale importante, causée par la venue d’algues sargasses dans plusieurs quartiers de l’île, et notamment le quartier de Pontaléry, dans lequel se trouvait la maison litigieuse.

Ces algues sont connues pour dégager un gaz toxique nocif pour la santé.

Plusieurs écoles de l’île avaient été fermées avant la vente en raison de leur proximité avec la plage et des associations de propriétaires affectés par le phénomène dont faisait notamment partie le mari de la venderesse avaient été créées pour combattre cette pollution.

L’acquéreur subissait pour la première fois en 2017 ce phénomène. Il sollicitait en 2018 l’annulation de la vente auprès de la venderesse.

L’acquéreur prétendait que la venue d’algues sargasses lui avait été dissimulée par la venderesse et qu’elle affectait la santé de sa famille.

N’obtenant aucune réponse, l’acquéreur assignait la venderesse sur le fondement du dol à titre principal et sur le fondement du vice caché à titre subsidiaire.

Sur le terrain du dol, la Cour d’appel de Fort-de-France indiquait qu’il était établi que cette information avait été délibérément cachée par la venderesse.

L’agent immobilier, pourtant rémunéré par la venderesse, avait témoigné en faveur de l’acquéreur.

Il confirmait que l’acquéreur avait interrogé la venderesse sur la venue d’algues sargasses près de la maison lors des visites préalables à la vente et que celle-ci lui avait confirmé qu’elle n’avait jamais été impactée par ce phénomène.

Or, le passage du mari de la venderesse dans un reportage en 2015 portant sur cette pollution et sa participation à une association de propriétaires impactés par les algues sargasses sous-entendait que ce problème était bien connu de la venderesse avant la régularisation de l’acte authentique de vente.

Toutefois, la Cour d’appel considérait qu’il n’était pas démontré par l’acquéreur le caractère déterminant de cette information et que le simple mensonge caractérisant pourtant la volonté de tromper ne pouvait être suffisant pour annuler la vente.

Sur le terrain du vice caché, la Cour d’appel de Fort-de-France rappelait les termes des articles 1641 et 1642 du Code civil :

« Le vendeur est tenu à garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il les avait connus ».

« Le vendeur n’est pas tenu des vices apparents et dont l’acheteur a pu se convaincre lui-même ».

Toute la question était ainsi de savoir si un vice environnemental, nécessairement extérieur à la chose vendue, naturel et dont la survenance est imprévisible, pouvait correspondre à la définition du vice caché.

La Cour d’appel de Fort-de-France [1] faisait siens les termes du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Fort-de-France du 14 mai 2019 et rappelait :
- Que l’erreur sur une qualité substantielle, lorsqu’elle ne s’analyse pas en une défectuosité intrinsèque compromettant l’usage normal de la chose ou son bon fonctionnement, n’est pas un vice caché et ne peut donc donner naissance à la garantie afférente ;
- Et qu’un phénomène extérieur, naturel, dont la survenue est imprévisible, ne peut correspondre à la définition du vice caché.

L’acquéreur formait alors un pourvoi en cassation.

Concernant le dol, la Cour de cassation jugeait que la Cour d’appel n’avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en ne retenant pas le dol alors que la venderesse avait apporté des réponses mensongères aux demandes répétées de l’acquéreur relatives à la présence des algues sargasses, ce qui caractérisait la volonté de tromper.

Il ne s’agissait donc pas en l’espèce d’une simple dissimulation ou omission mais bien d’un mensonge destiné à emporter la vente.

Or, la recherche du caractère déterminant de l’information non délivrée ne concerne que la réticence dolosive, en d’autres termes, le silence gardé et non pas le mensonge.

Concernant le vice caché, la Cour de cassation indiquait que la Cour d’appel avait ajouté à la loi une restriction qu’elle ne comportait pas en rejetant la demande de résolution de la vente, considérant qu’un phénomène extérieur, naturel dont la survenue est imprévisible ne constituait pas un vice caché.

En l’espèce, la Cour de cassation précise donc la notion de « vice inhérent à la chose ».

- En effet, il avait notamment été jugé à propos d’un médicament dont il semblait que l’association avec un autre était la cause des troubles soufferts par le malade, qu’un vice caché est « nécessairement inhérent à la chose elle-même » (Cour de cassation, 1re chambre civile, 8 avril 1986, n° 84-11.443) ;

- Concernant plus particulièrement la pollution des sols, la Cour de cassation s’était déjà prononcée et avait considéré que l’inconstructibilité d’un terrain résultant de sa pollution constituait un vice du sol qui relevait de la garantie des vices cachés (Cour de cassation, 3e chambre civile 9 octobre 2013, n° 12-14.502) ;

- Il s’agissait également dans cette affaire, d’un vice inhérent à la chose elle-même, à savoir le sol.

Toutefois, dans un arrêt du 6 octobre 2004, n°03-12.497 (Cour de cassation, 3e chambre civile, 6 octobre 2004, n°03-12.497) également publié au bulletin, la Cour de cassation semblait avoir infléchi sa position en considérant que la Cour d’appel avait ajouté une restriction à la loi qu’elle ne comportait pas, celle-ci ayant jugé que le trouble résultant d’un élément d’équipement de l’immeuble, extérieur à l’appartement ne pouvait ouvrir droit à la garantie des vices cachés.

Cet arrêt concernait cependant un appartement vendu en copropriété.

Or, la vente d’un appartement, comprend outre une quote-part des parties privatives, une quote-part des parties communes.

L’élément d’équipement, en l’espèce une chaufferie, n’était donc pas à proprement parler « extérieur à l’appartement ».

Il n’était donc pas possible de tirer des conclusions certaines de cet arrêt.

Plus récemment, la Cour de cassation s’était prononcée sur la pollution d’un étang situé dans une propriété à usage d’habitation et avait estimé que la pollution ne pouvait être considérée comme un vice caché puisque « le vice n’entraînait qu’une perte d’usage partielle du plan d’eau qui n’affectait qu’un élément de l’agrément extérieur de la propriété et n’était pas de nature à la rendre impropre à son usage » (Cour de cassation. 3e chambre civile, 11 juillet 2019, 18-16.848).

Le vice, bien qu’extérieur à l’habitation, n’était pas suffisamment grave pour la rendre impropre à son usage.

L’affaire des algues sargasses permet de confirmer l’infléchissement de la Cour de cassation débuté par l’arrêt du 6 octobre 2004.

Un phénomène extérieur, naturel et dont la survenue est imprévisible, s’il entraine une impropriété à l’usage de la chose vendue, peut être considéré comme un vice caché quand bien même ce vice n’est pas inhérent à la chose elle-même.

En l’espèce, il existait bien une impropriété à l’usage d’habitation de la maison, à tout le moins une diminution importante de cet usage.

L’acquéreur avait démontré d’une part le caractère toxique et nocif pour la santé de la présence d’algues sargasses à proximité d’une habitation par le biais de diverses études et rapports et d’autre part, les effets directs et néfastes sur sa santé et celle de son enfant asthmatique.

Il était également établi la connaissance du vice par la venderesse. En effet, bien que l’arrêt ne le précise pas les actes de vente prévoient le plus souvent une clause excluant la garantie des vices cachés lorsqu’il n’est pas démontré par l’acquéreur, la connaissance du vice par le vendeur avant la vente.

L’habitabilité de la maison était ainsi compromise en raison des risques sanitaires pour les occupants lors de la survenance régulière de ce phénomène environnemental.

Les vendeurs sont donc avertis. Il convient d’être rigoureux dans la délivrance de leur obligation d’information, y compris sur les risques environnementaux qui tendent à se multiplier depuis ces dernières années, dès lors que ces risques ont déjà affecté directement leur bien et compromis son usage.

Certains diagnostics portant sur les risques environnementaux sont toutefois obligatoires avant la vente et notamment pour le cas de la Martinique ceux concernant les risques de cyclones, séismes et éruptions volcaniques afin d’assurer l’obligation d’information du vendeur.

Marie Allix Avocat Barreau de Paris

[1Cour d’appel de Fort-de-France, 24 novembre 2020 n°19/00276.