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L’évolution du régime de prise en charge des accidents de service. Par Baptiste Renoult, Avocat.
Parution : vendredi 8 juillet 2022
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Le régime de prise en charge des accidents de service a dernièrement évolué tant par la multiplicité des régimes applicables que par l’instauration d’une nouvelle condition de prise en charge.

La codification du régime de prise en charge des accidents de service.

Le régime de prise en charge des accidents de service des fonctionnaires est aujourd’hui triple selon la date à laquelle l’accident de service s’est produit.

En premier lieu, le régime de prise en charge des accidents de service était d’origine jurisprudentielle.

Le Conseil d’État est venu préciser les conditions de prise en charge de l’accident de service dans un arrêt du 16 juillet 2014 : « Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d’un accident de service » (CE, sect., 16 juill. 2014, no 361820).

Cette définition jurisprudentielle s’appuyait sur :
- L’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 pour la fonction publique de l’État ;
- L’article 57 de la loi du 26 janvier 1984 pour à la fonction publique territoriale ;
- L’article 41 de la loi du 9 janvier 1986 pour à la fonction publique hospitalière.

Si la rédaction de cette définition peut sembler instaurer une présomption d’imputabilité de l’accident au service, tel n’est pourtant pas le cas.

En effet, en cas de réunion des conditions de matérialité, l’imputabilité ne sera pas présumée.

Pour autant, dans la plupart des hypothèses, le juge administratif retient l’existence d’une imputabilité au service lorsque les conditions matérielles sont remplies.

En second lieu, l’ordonnance n°2017-53 du 19 janvier 2017 est venue codifier ce régime et instaurer un article 21 bis au sein de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983.

L’article 21 bis de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 dispose que :

« II.- Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service ».

Cet article vient donc poser une présomption d’imputabilité des accidents aux services lorsque les conditions suivantes sont remplies :
- L’accident doit être survenu dans le temps et sur le lieu du travail ;
- L’accident doit être survenu à l’occasion de l’exercice de ses fonctions
.

Cependant, ce nouveau régime n’a vocation qu’à s’appliquer aux accidents de service survenus après son entrée en vigueur.

Dans un premier temps, les juridictions ont reconnu l’entrée en vigueur immédiate de ce texte :

« D’une part, en l’absence de dispositions contraires, les dispositions précitées du II et du IV de l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, qui sont suffisamment claires et précises, sont d’application immédiate. Elles ont donc vocation à régir les situations en cours, sous réserve des exigences attachées au principe de sécurité juridique, qui exclut qu’elles s’appliquent à des situations juridiquement constituées avant leur entrée en vigueur intervenue le 21 janvier 2017. Les droits des agents publics en matière d’accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l’accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée » [1].

La jurisprudence a finalement évoluée :

« L’application des dispositions de l’article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 résultant de l’ordonnance du 19 janvier 2017 étant manifestement impossible en l’absence d’un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l’octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, ces dispositions ne sont donc entrées en vigueur, en tant qu’elles s’appliquent à la fonction publique de l’État, qu’à la date d’entrée en vigueur, le 24 février 2019, du décret n° 2019-301 du 21 février 2019 » [2].

Désormais, selon le corps de la fonction publique, la date d’entrée en vigueur de l’article 21 bis de la loi n°88-634 du 11 janvier 1984 est fixée au :
- 21 février 2019 pour la fonction publique de l’État en application du décret du décret n° 2019-301 du 21 février 2019 ;
- 10 avril 2019 pour la fonction publique territoriale en application du décret du décret n° 2019-301 du 10 avril 2019 ;
- 13 mai 2020 pour la fonction publique Hospitalière en application du décret du décret n° 2020.566 du 13 mai 2020.

Enfin, en dernier lieu, l’article 21 bis a été abrogé à compter du 1er mars 2022 par l’ordonnance n°2021-1574 du 24 novembre 2021.

Ce principe est désormais repris sous l’article L822-18 du Code de la fonction publique en vigueur au 1er mars 2022 qui prévoit que : « Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service ».

Cette modification résulte surtout d’une volonté de codifier l’ensemble des règles de droit relatives aux fonctionnaires au sein d’un Code général de la fonction publique.

En conséquence, selon la date de survenance de votre accident de service et le corps de la fonction publique, le régime de prise en charge sera différent.

Pour la fonction publique d’État.
- Avant le 21 février 2019, application du régime de prise en charge des accidents de service basé sur l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 ;
- Entre le 21 février 2019 et le 1er mars 2022, application de l’article 21 bis de la loi n°88-634 du 11 janvier 1984 ;
- A compter du 1er mars 2022, application de l’article L.822-18 du Code de la fonction publique.

Pour la fonction publique hospitalière :
- Avant le 13 mai 2020, application du régime de prise en charge des accidents de service basé sur l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986 ;
- Entre le 13 mai 2020 et le 1er mars 2022, application de l’article 21 bis de la loi n°88-634 du 11 janvier 1984 ;
- A compter du 1er mars 2022, application de l’article L.822-18 du Code de la fonction publique.

Pour la fonction publique territoriale :
- Avant le 10 avril 2019, application du régime de prise en charge des accidents de service basé sur l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984 ;
- Entre le 10 avril 2019 et le 1er mars 2022, application de l’article 21 bis de la loi n°88-634 du 11 janvier 1984 ;
- A compter du 1er mars 2022, application de l’article L.822-18 du Code de la fonction publique.

Le régime de prise en charge des accidents de services se relève donc complexe de par la multiplicité de régime en vigueur et de par les différences de base légale selon les corps de la fonction publique.

Si la codification au sein du Code de la fonction publique était souhaitable, cela alourdit néanmoins un régime juridique déjà complexe.

L’apparition d’une nouvelle condition jurisprudentielle relative à la prise en charge des accidents de service.

Jusqu’à récemment, la jurisprudence refusait de faire de l’anormalité des faits à l’origine de la lésion une condition de reconnaissance de l’accident de service [3].

Cependant, le Conseil d’État a, dans un arrêt rendu le 27 septembre 2021, opéré un revirement de jurisprudence.

En effet, le Conseil d’État a retenu que l’exercice normal du pouvoir hiérarchique (lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires) ne saurait être regardé comme un évènement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent :

« 3. Constitue un accident de service, pour l’application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. Sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un évènement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent » [4].

En prenant cette position, le Conseil d’État a modifié radicalement sa position et la définition de l’accident de service en ajoutant une condition supplémentaire qui est l’anormalité des faits à l’origine de lésion.

Désormais, quand bien même l’agent a subi un choc psychologique ou un malaise, celui-ci doit démontrer que son supérieur hiérarchique a dépassé l’exercice normal de ses fonctions, c’est-à-dire qu’il a agi en dehors de son pouvoir.

Cette prise de position est extrêmement sévère à l’égard des agents victimes de choc psychologique.

En effet, cela va considérablement réduire le nombre de cas de prise en charge des accidents de service, et cela, alors même que les juridictions judiciaires continuent d’écarter cette condition.

Les Cours d’Appel Administratives se sont empressés de modifier leur position et ont suivi la position du Conseil d’État [5].

Dans l’ensemble de ces affaires, la qualification d’accident de service a été rejetée car les juges ont considéré que les faits à l’origine de la lésion n’excédaient pas l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

La nouvelle jurisprudence est donc extrêmement sévère dans la qualification des faits pouvant amener à retenir l’existence d’un comportement excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

L’ensemble de ces arrêts ont été rendus sous le visa de l’ancien régime de prise en charge des accidents de service, c’est-à-dire, sous l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 pour la fonction publique de l’État, l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984 pour à la fonction publique territoriale et l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986 pour à la fonction publique hospitalière.

L’application par le Conseil d’État de ce nouveau critère en vertu des dispositions de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 pouvait laisser entendre que celui-ci n’avait pas vocation à s’appliquer au régime prévu par les articles 21 bis la loi n°88-634 du 11 janvier 1984 et L.822-18 du Code de la fonction publique.

Or, au vu de certaines décisions rendues par les Cours Administratives d’Appel, il semblerait que ce nouveau critère ait en réalité vocation à s’appliquer à l’ensemble du régime de prise en charge des accidents de service.

En effet, dans trois arrêts extrêmement récents, la Cour d’Appel Administrative de BORDEAUX a appliqué le critère du comportement excédant l’usage normal du pouvoir hiérarchique à un accident de service instruit sous le régime prévu par l’article 21 bis la loi n°88-634 du 11 janvier 1984 [6].

Cette position diffère complètement de celle adoptée par la Cour de Cassation qui refuse de faire de l’anormalité du fait à l’origine de la lésion une condition de prise en charge de l’accident du travail :

«  6. L’arrêt retient que ces déclarations confirment tout à fait la version de l’employeur qui figure dans la description détaillée des faits jointe à la déclaration d’accident du travail, et qu’au cours de cet entretien, aucun incident, aucun fait brutal, aucun comportement anormal de la part de la hiérarchie du salarié n’est établi. L’arrêt ajoute que si l’intéressé évoque dans ses écritures un harcèlement, il ne prouve pas qu’il aurait été victime d’actions malveillantes et répétées de la part de son employeur dont la conséquence directe aurait été le malaise du 15 novembre 2011 ; qu’en droit, l’employeur détient un pouvoir de direction et de sanction à l’égard de ses employés dont le seul exercice, en l’absence d’abus ou d’excès établi, ne saurait constituer le fait accidentel caractérisant l’accident du travail  ; qu’en ce qui concerne les lésions, le certificat médical initial du 15 novembre 2011 décrit un « choc émotionnel » au cours de l’entretien avec la hiérarchie, mais qu’un choc émotionnel n’est pas une lésion au sens de la législation professionnelle  ; qu’enfin, l’hôpital de Colombes retient pour motif de la consultation un malaise vagal, qui n’est pas davantage une lésion au sens de la législation professionnelle, que le salarié bénéficie d’un suivi psychiatrique depuis cinq ans et que le conflit avec l’employeur est ancien.
7. L’arrêt en déduit qu’il n’est démontré aucune altération brutale de l’état mental de la victime résultant directement et exclusivement de l’entretien du 15 novembre 2011, et que la preuve de la matérialité d’un accident aux temps et lieux du travail, à la date du 15 novembre 2011, n’est pas rapportée, pas plus que la preuve d’un lien de causalité entre cet accident et les lésions constatées le même jour.
8. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que le malaise de la victime était survenu aux temps et lieu de travail, ce dont il résultait que l’accident litigieux était présumé revêtir un caractère professionnel, la cour d’appel a violé le texte susvisé
 » [7].

Voir encore :

En conséquence, la nécessité d’établir l’anormalité du fait accidentel dans le cas d’une prise en charge d’un accident de service créé une rupture d’égalité entre le fonctionnaire victime d’un accident de service et le salarié victime d’un accident du travail [8].

Baptiste Renoult Avocat au Barreau de Rouen www.renoult-avocat.fr

[1Voir. CAA Nancy, 3ème chambre, 18 décembre 2020, 19NC02313 ; CAA Bordeaux, 3e ch., 23 mars 2022, n° 20BX00270 ; CAA Douai, 3e ch., 30 juill. 2020, n° 19DA01674, 20DA00467.

[2CAA Nancy, 2e ch. - formation à 3, 9 juin 2022, n° 20NC02192
CE, 5ème - 6ème chambres réunies, 15 octobre 2021, n°450102.

[3Cf. CAA Nantes, 10 janvier 2019, 17NT03536, CAA Bordeaux, 30 juin 2020, 18BX02134.

[4Conseil d’État, 27 septembre 2021, 440983.

[5Voir en ce sens : CAA Douai, 09 décembre 2021, 20DA01343, CAA Douai, 10 novembre 2021, 20DA01909, CAA Marseille, 26 avril 2022, 21MA01467, CAA Marseille, 1er février 2022, 20MA03071, CAA Marseille, 10 mai 2022, 21MA04503, CAA de Lyon, 12 janvier 2022, 20LY00025, CAA Bordeaux, 14 octobre 2021, 19BX02247, CAA Bordeaux, 14 octobre 2021, 19BX02210, CAA Bordeaux, 6 décembre 2021, 19BX01922, CAA Paris, 30 décembre 2021, 20PA01299, CAA Nantes, 25 février 2022 21NT00585, CAA Versailles, 20 janvier 2022, 19VE01785.

[6CAA Bordeaux, 2 mai 2022, n° 20BX02486, CAA Bordeaux, 24 mai 2022, N° 20BX00136, CAA Bordeaux, 31 mai 2022, 20BX00502.

[7Cass. 2e civ., 9 sept. 2021, n° 19-25.418.

[8Cass. 2e civ., 17 févr. 2022, n° 20-16.286