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Ecoutes sur les plateformes de streaming : un accord historique pour les artistes-interprètes. Par Gabriel Esteves, CPI et Margaux Bellaiche, Etudiante.
Parution : lundi 11 juillet 2022
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Un accord historique a modifié, il y a quelques semaines, le paysage des droits voisins en France. Les confédérations syndicales, organisations représentant les artistes interprètes (comme l’ADAMI ou la SPEDIDAM) et les producteurs de phonogramme (l’UPFI ou le SNEP), ont signé le 13 mai 2022, à l’unanimité, un accord favorisant une meilleure rémunération des artistes diffusés sur les plateformes de streaming.

Cet accord interprofessionnel était attendu depuis une loi du 7 juillet 2016 qui imposait notamment une rémunération minimale pour les artistes interprètes en contrepartie de l’exploitation numérique de leurs interprétations.

Ces modifications législatives anticipaient la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, transposée en France par une ordonnance du 12 mai 2021. Pour rappel, celle-ci a notamment eu pour objectif de mettre en place un socle commun pour la rémunération des droits voisins dans le monde du numérique, en imposant notamment le principe de rémunération proportionnelle des droits voisins. Le régime des droits voisins s’aligne donc un peu plus avec celui des droits d’auteur, tout en conservant certaines de ses spécificités.

Une règlementation quant à la rémunération des artistes interprètes en contrepartie de l’exploitation numérique de leur prestation nous semble la bienvenue à l’heure où l’écoute en streaming est devenu la principale manière de « consommer » la musique.

Ainsi, l’article L212-13 du Code de propriété intellectuelle fixe dorénavant pour les artistes-interprètes « une rémunération minimale garantie en contrepartie de l’autorisation de fixation, rémunérée sous forme de salaire, de la prestation de l’artiste-interprète ».

Malgré les dispositions de la loi, la mise en place de cet accord a trainé en longueur. C’est pourquoi, ordonnance du 12 mai 2021 le gouvernement a donné douze mois aux organisations représentatives des artistes‐interprètes et des producteurs de phonogramme, pour négocier un accord garantissant une rémunération minimale appropriée et proportionnelle aux artistes diffusés en streaming.

Le dossier avait été confié par la ministre de la culture Madame Roselyne Bachelot-Narquin au médiateur de la musique Monsieur Jean-Philippe Mochon. C’est ainsi qu’après un an de discussion, l’accord visant à accorder de nouveaux droits substantiels aux artistes-interprètes a enfin été signé par les représentants des deux corps professionnels.

I/ Une amélioration indéniable et nécessaire des droits des artistes-interprètes.

L’accord a été scindé en deux parties pour s’adapter aux deux types de rémunération des artistes-interprètes : les artistes-interprètes touchant des redevances proportionnelles et les artistes-interprètes rémunérés essentiellement au cachet.

En ce qui concerne les artistes-interprètes touchant des redevances proportionnelles, l’accord garantit aux artistes dont le nom figure sur la pochette, un taux minimum de redevances de 10% à 13% (voir 28% dans certaines situations) calculés sur une assiette prenant en compte les différents modèles économiques de production existants.

En cas de succès important, l’accord a prévu la mise en place d’une bonification du taux applicable. Ce premier aspect est un point important pour les artistes-interprètes, car l’absence de pourcentage de rémunération minimum, favorisait des négociations au cas par cas, parfois favorable aux seuls artistes rencontrant le meilleur succès.

Également, l’accord encadre le taux et la durée maximum des abattements autorisés et prévoit un droit à une avance minimale systématique versé par le producteur de phonogramme de mille euros par album inédit (un montant qui fait l’objet d’une prise en charge solidaire au sein de la filière) ramené à cinq cents euros pour les petits labels.

En ce qui concerne les artistes rémunérés essentiellement au cachet, l’accord prévoit pour eux la possibilité de percevoir une somme forfaitaire spécifique au titre du streaming, en fonction de la durée des enregistrements. Par exemple, pour un album de quarante minutes, un artiste pourrait percevoir un cachet d’environ cent euros.

De plus, ils percevront des rémunérations complémentaires et crescendo chaque fois que sont atteints des paliers d’écoutes définis par l’accord. Par exemple, si l’enregistrement atteint le seuil de 7,5 millions d’écoutes dans les cinquante ans suivant sa commercialisation, l’artiste pourrait percevoir 34 euros supplémentaires, à partir de 15 millions d’écoutes, il pourrait percevoir 42 euros en plus, etc.

Force est de constater que cette rémunération minimale doit dorénavant être prévues aux contrats entre producteurs de phonogrammes et artistes-interprètes.

Les signataires se sont aussi engagés à soutenir tous les producteurs, même les plus fragiles dans le cadre d’un dispositif de solidarité professionnelle, cofinancé par l’État.

Cet accord est conclu pour une durée de cinq ans renouvelables par tacite reconduction pour des périodes de cinq ans, sauf dénonciation par l’une des parties signataires.

Concernant sa date d’entrée en vigueur, elle sera fixée après arrêté du ministre de la Culture, en application de l’article L212-4 du Code de la propriété intellectuelle.

II/ Des avancées toutefois perfectibles.

Les confédérations syndicales et organisations représentant les artistes interprètes (comme l’ADAMI, le SFA ou le SNAM) soulignent que cet accord historique représente « un pas important dans l’encadrement des relations entre producteurs phonographiques et artistes‐interprètes permettant une plus juste rémunération de ces derniers ».

Du côté des confédérations syndicales et organisations représentant les producteurs de phonogrammes, celles-ci se réjouissent de l’accord. Le Syndicat National de l’Edition Phonographique a pu souligner que

« cet accord permet l’adaptation des relations entre artistes-interprètes et producteurs aux nouveaux usages de consommation de la musique, en respectant le modèle éco de toutes les entreprises de la musique ».

Néanmoins malgré ces apports importants, l’accord fait aussi l’objet de critiques.

Les plateformes de streaming directement concernées par l’accord, n’ont pas été conviées aux négociations, et seuls les producteurs s’en trouvent contraints et non les plateformes de diffusion.

Par ailleurs, certains artistes demandent un changement de paradigme et « la fin du mode de rémunération proportionnel au nombre d’écoutes » en ce qu’il favoriserait « les grosses têtes d’affiche ».

De plus, comme a pu le rappeler le Syndicat des Musiques Actuelles, la question des fakes streams (fausses écoutes) n’a pas été évoquée alors qu’elles « déséquilibrent la rémunération des artistes-interprètes dans le système streaming ». Les différentes organisations sont d’ailleurs toujours dans l’attente des « conclusions de l’étude du Centre national de la musique » sur ce point.

Enfin, cet accord n’a pas pris en compte les spécificités inhérentes aux genres musicaux. Ainsi, la musique classique, à la différence des musiques dites actuelles, présente souvent des morceaux plus longs pour lesquels les montants de rémunération prévus pourraient ne pas être adaptés.

Ainsi, en dépit des avancées que représentent cet accord, certains axes d’améliorations perdurent.

Pour son application concrète, il sera nécessaire d’attendre un arrêté du ministère de la culture le rendant obligatoire à l’ensemble des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes, comme le dispose l’article L212-14 du Code de la propriété intellectuelle.

Gabriel Esteves et Margaux Bellaiche Cabinet Akeya Conseil en Propriété Industrielle https://akeya.fr