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Le licenciement du salarié qui s’est plaint de harcèlement. Par Avi Bitton, Avocat et Léa Sztemberg, Juriste.
Parution : vendredi 8 juillet 2022
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Un salarié peut-il être licencié pour avoir dénoncé un harcèlement moral au sein de son entreprise ?
Le Code du travail déclaré nul ce licenciement, mais sous certaines conditions.

Le licenciement prononcé à la suite d’une plainte du salarié pour harcèlement moral est-il valable ?

A) Principe : le licenciement du salarié en raison de sa plainte pour harcèlement moral est entaché de nullité.

Le Code du travail définit le harcèlement moral dans son article L1152-1 comme

« des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Le Code du travail protège les victimes et les témoins du harcèlement moral. La protection concerne tout salarié, candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise. Ceux-ci ne peuvent être

« sanctionnés, licenciés, ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral, pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ».

Le Code du travail prévoit aussi que « toute rupture du contrat de travail, toute disposition ou tout acte contraire à ces prescriptions est nul »

Aux vus de ces dispositions, en principe, le licenciement du salarié en raison de sa plainte pour harcèlement moral est nul.

La nullité du licenciement prononcé par le juge a pour effet de permettre au salarié d’être réintégré dans l’entreprise ou, si le salarié ne le souhaite pas, de bénéficier d’une indemnisation élevée (sans application du barème Macron).

Cette protection s’applique seulement au salarié dont le licenciement est motivé par sa plainte pour harcèlement moral.

La Cour de Cassation a considéré [1] que l’employeur peut procéder au licenciement si celui-ci se fonde sur des « motifs étrangers à la demande d’intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail, à la plainte, à l’action en justice ou au témoignage ».

Par conséquent, l’employeur reste libre de licencier son employé, même si celui-ci s’est plaint de harcèlement, mais il doit démontrer qu’il ne le fait pas à cause de cette plainte.

L’employeur sera néanmoins tenu de démontrer que le licenciement du salarié est motivé par des motifs étrangers à la plainte.

Ainsi, dans l’hypothèse où l’employeur licencierait le salarié sans pouvoir démontrer que cette rupture est motivée par des motifs étrangers à la plainte, celui-ci est alors redevable d’une indemnité pour licenciement nul.

B) Nuance : la protection ne s’applique qu’au salarié ayant qualifié les faits de « harcèlement moral » dans sa plainte.

Selon la jurisprudence, pour bénéficier de la protection contre le licenciement, le salarié doit textuellement employer les termes de « harcèlement moral » dans sa plainte.

Dans son arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de Cassation a considéré que « le salarié qui relate des faits qualifiés par lui de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».

La Cour de Cassation avait jugé que le salarié dénonçant par mail son « traitement abjecte, déstabilisant et profondément injuste » ne qualifiait pas textuellement de harcèlement moral les agissements qu’il avait subi et ne pouvait en ce sens pas faire jouer la protection contre la nullité du licenciement pour contester son licenciement pour faute.

Un arrêt est néanmoins venu récemment tempérer cette exception, en estimant que la protection s’applique lorsque l’employeur lui-même vient employer cette expression de harcèlement moral [2].

En l’espèce, il s’agissait du licenciement d’une salariée survenu consécutivement à sa plainte dans laquelle elle déplorait les

« agissements consistant en des humiliations, dénigrements, comportements et propos vexatoires, ayant pour effet, si ce n’est pour objet, une grave dégradation de son état de santé physique et mental ».

Au vu des exigences formalistes de la jurisprudence classique, la salariée ne qualifiant pas expressément les agissements de sa direction comme constitutifs de harcèlement moral n’aurait pu demander la nullité de son licenciement.

La Cour de Cassation a néanmoins considéré que la salariée pouvait faire jouer la protection contre son licenciement, car l’employeur avait dans les griefs de la lettre de licenciement évoqué le fait pour la salariée d’avoir proféré « des accusations de harcèlement tout à fait inexactes ».

Cette jurisprudence a pour objet de montrer que l’utilisation de l’expression « harcèlement moral » est lourde de conséquences et pour que les parties aux contrats de travail soient vigilantes dans son usage.

C) Exception : la protection ne joue pas lorsque le salarié est de mauvaise foi.

Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut pas être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce.

Cette mauvaise foi devra être prouvée par l’employeur et ne pourra pas se déduire de la seule circonstance que les faits dénoncés son établis.

Il faudra démontrer que le salarié qui s’est plaint de harcèlement moral avait connaissance en réalité de la fausseté des faits lorsqu’il les a dénoncé.

A titre d’exemple :
Dans son arrêt du 16 septembre 2020 (RG n°18-26.696), un salarié a reproché à maintes reprises à son employeur ne lui avoir pas donné les motifs de sa sortie de mission. Ces accusations étaient purement mensongères en ce que l’employeur lui avait donné des justifications par écrit et avait tenté à maintes reprises de s’entretenir avec le salarié pour lui donné des explications, le salarié avait toujours décliné ses invitations.

Pour la chambre sociale il y a réellement une mise en évidence de la connaissance par le salarié de la fausseté de ses allégations de harcèlement moral, et donc d’une mauvaise foi évidente.

Par conséquent, à l’inverse le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral non avérés, n’agit pas de mauvaise foi. Le licenciement qui repose sur cette dénonciation peut donc être entaché de nullité.

A titre exemplaire :
La Cour de Cassation a considéré que la salariée licenciée pour s’être plainte de harcèlement moral pouvait voir le licenciement prononcé à son encontre entaché de nullité nonobstant l’absence d’éléments factuels illustrant ses allégations. La mauvaise foi de la salariée ne pouvait pas être caractérisée en ce que la salariée atteinte d’une pathologie (dépression) pensait véritablement être victime de harcèlement moral [3].

Avi Bitton, Avocat, et Léa Sztemberg, juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Soc., 20 janvier 2020, n°S.19.0019.F.

[2Cass. soc. 9 juin 2021 n°20-15.525.

[3Cour de cassation, chambre sociale, 17 avril 2019, n° 17-20.892.