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Quelles victimes peuvent se constituer partie civile en cas d’attentat terroriste ? Par Tristan Soulard, Avocat et Chloé Matéos, Elève-Avocate.
Parution : mercredi 13 juillet 2022
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A l’heure du délibéré de l’un des jugements les plus attendus du XXIème siècle, la question de la recevabilité des constitutions de parties civiles des victimes de terrorisme est plus que jamais d’actualité.

Dans quatre arrêts rendus le 15 février 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation en a précisé et redéfini les contours. Elle se prononçait en particulier dans les affaires des attentats de Nice (2016), de Marseille (2017) et de l’assaut de Saint-Denis (2015). À cette occasion, elle adoptait une conception étendue de la notion de partie civile et justifiait sa position au regard des « spécificités des attentats terroristes ».

Contexte.

Aux termes des dispositions de l’article 2 du Code de procédure pénale, l’action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. La Loi n’opère donc aucune distinction selon l’infraction à l’origine du préjudice.

Toutefois, la question de l’identification des victimes se pose en cas d’attaque terroriste qui prend la forme d’un crime de masse. Il était donc nécessaire d’identifier des critères objectifs et précis permettant une juste indemnisation des victimes.

L’apport jurisprudentiel.

Quatre arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 15 février 2022, précisent les critères de la constitution de partie civile des victimes d’attentats terroristes.

La chambre criminelle propose d’aborder la causalité directe en deux temps.

D’abord rationae materiae, signifiant que ne peut être victime d’une action terroriste que la personne ayant subi un préjudice susceptible de découler de la qualification retenue. Ainsi, le juge doit d’abord s’interroger sur la nature des préjudices susceptibles de naître de cette qualification.

Puis, rationae personae, impliquant que la victime de cette action est seulement celle qui a été exposée à un risque de mort ou d’atteinte grave de façon immédiate ou médiate. L’ampleur des attentats de 2015 et de 2016 a entrainé la nécessité de préciser la qualité de causalité directe et, partant, de victime indemnisable.

Avant ces arrêts de 2022, c’est un critère principalement géographique de l’exposition directe à l’intention homicide de l’auteur qui s’imposait. Ainsi, était notamment irrecevable la constitution de partie civile de celui qui, assistant à un acte terroriste mené sur une terrasse, ne s’était pas trouvé dans la trajectoire des tirs terroristes [1].

Sur le fondement de ce critère, la jurisprudence distinguait ainsi les victimes des « témoins malheureux ».

L’objet des arrêts du 15 février 2022 est de repenser cette distinction, en la faisant reposer sur un critère moins arbitraire qu’un périmètre géographique. Ces arrêts ne s’attardent pas sur les victimes « prises pour cible », car sans ambiguïté, elles sont recevables à se constituer partie civile et la causalité est immédiate.

C’est sur le cas des victimes médiates (ou par ricochet) que la Haute Juridiction s’est penchée avec plus d’attention. Deux types de victimes médiates sont reçus à se constituer partie civile : les victimes dont le préjudice résulte de leur action contre le terroriste et celles dont le préjudice est causé par leur réaction à l’attentat. Dans ces deux cas, une indissociabilité naît entre les crimes perpétrés et le préjudice engendré, ce qui caractérise un lien de causalité direct.

Pourtant, dans la jurisprudence antérieure, le témoin courageux n’avait pas sa place parmi les parties civiles au procès d’un attentat terroriste car, bien qu’ayant tenté d’interrompre l’attentat, il n’avait pas été directement et immédiatement exposé à un risque de mort.

Aujourd’hui, la chambre criminelle se montre plus souple. Elle considère que l’action dans laquelle le témoin courageux s’est engagé pour interrompre la commission ou le renouvellement des atteintes graves est indissociable de ces infractions. Le préjudice qui peut en résulter est donc en relation directe avec ces dernières. Il ne s’agit plus de rechercher si celui qui tente d’interrompre le terroriste est lui-même une cible, et donc une victime immédiate, mais de reconnaitre que, même si son préjudice est médiat, il peut être considéré comme la conséquence directe du crime.

Concernant les victimes dont le préjudice est causé par leur réaction à l’attentat, une analyse in concreto est également nécessaire afin de prendre en compte la perception de la victime. Si cette dernière pouvait légitimement se croire exposée à l’action criminelle, et que sa réaction a créé un préjudice, elle pourra se constituer partie civile.

Concrètement, s’agissant des attentats perpétués en France en 2015, 2016 et 2017.

Concernant l’affaire de Nice, les juges retiennent que pouvaient se constituer partie civile devant le juge d’instruction : la personne qui a poursuivi le camion engagé sur la promenade des Anglais afin d’en neutraliser le conducteur et qui a subi un traumatisme psychique grave et la personne qui, ayant entendu des cris et coups de feu, s’est blessée en sautant sur la plage, alors qu’elle se trouvait sur la promenade des Anglais, au-delà du point d’arrêt du camion.

Dans l’affaire de l’attentat de Marseille, la Cour a admis que pouvait se constituer partie civile devant le juge d’instruction la personne ayant tenté de maîtriser le terroriste qui poignardait une femme sur le parvis de la gare Saint-Charles, et ayant subi un traumatisme psychique important.

Toutefois, dans l’affaire de l’assaut de Saint-Denis, et s’agissant des propriétaires, syndicat des copropriétaires et locataires des immeubles ayant subi des dommages matériels lors de l’assaut, ainsi que de la commune de Saint-Denis, elle a jugé qu’ils étaient irrecevables à se constituer parties civiles. Car

« ni les dégâts matériels subis lors de l’assaut par les locataires, les propriétaires et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble, ni le préjudice d’image invoqué par la commune de Saint-Denis ne résultent directement du recel de malfaiteurs ».

Conclusion.

A travers ses quatre arrêts de cassation du 15 février 2022, la Haute juridiction judiciaire redessine les contours de la notion de victimes pénales d’attentats terroristes. Dans ces cas particuliers, elle étend la recevabilité de la constitution de partie civile devant le juge d’instruction. Ainsi, elle accueille favorablement, et après une appréciation in concreto, les individus qui ont subi un préjudice, même lorsque celui-ci résulte de leur propre comportement, dès lors que ce dernier est indissociable de l’acte terroriste.

Gageons que le procès qui s’ouvre le 5 septembre 2022 devant la Cour d’assises spéciale dans l’affaire de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice saura ainsi donner toute sa place à la voix des victimes.

Tristan Soulard Avocat au barreau de Paris Chloé Matéos Elève-avocate Mindset Avocats

[1Crim. 11 avr. 2018 n°17-82.818.