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Escroquerie à la pension de retraite.
Parution : lundi 18 juillet 2022
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Le fait pour une prévenue de toucher indûment la pension de retraite d’une personne décédée portant les mêmes nom et prénom constitue le délit d’escroquerie.

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Entre le 1er avril 1989 et le 30 juin 2016 – soit pendant plus de 27 ans – la prévenue, en abusant d’une homonymie parfaite de ses nom et prénom avec ceux de sa belle-mère décédée née en 1913, avait indûment touché une pension mensuelle de retraite de 180 euros, soit au total 47 889 euros. Jugeant caractérisées des manœuvres frauduleuses en faisant croire vivante à la caisse de retraite une personne défunte, le tribunal correctionnel condamne pour escroquerie l’intéressée à une peine d’emprisonnement d’un an assortie d’un sursis probatoire et à des réparations civiles. Sur appel de la prévenue et du parquet, la cour d’appel relaxe partiellement la prévenue et déboute la partie civile de l’essentiel de ses demandes, retenant que les faits poursuivis à compter du 1er avril 1989 et jusqu’au 1er janvier 2013 – date d’interruption provisoire des paiements - ne peuvent être retenus sous la qualification d’escroquerie, cette infraction supposant, comme élément constitutif, des manœuvres frauduleuses antérieures à la remise, qui ne peuvent être caractérisées par une simple abstention mais doivent l’être par des actes positifs. En revanche la cour d’appel relève que la qualification d’escroquerie peut être retenue à l’encontre de la prévenue à compter des deux courriers qu’elle a adressés à la caisse de retraite les 7 et 19 janvier 2013 dans lesquels, d’une part elle sollicite le rétablissement de sa pension personnelle, d’autre part elle fournit son propre relevé d’identité bancaire, usurpant ainsi l’identité de sa belle-mère dont elle avait le même prénom et le même nom d’usage de femme mariée, ce qui constitue l’élément matériel de l’escroquerie par usage de faux nom et qui a été déterminant de la reprise du versement de la pension de réversion de sa belle-mère décédée précédemment interrompu, que la caisse de retraite a, au vu de ces courriers, recommencé à verser en juin 2013.

Au visa de l’article 593 du code de procédure pénale – imposant aux juges du fond de motiver suffisamment et de façon cohérente leurs décisions – la chambre criminelle censure l’arrêt de la cour d’appel frappé de pourvoi par la seule partie civile partiellement indemnisée (à hauteur de 6668 euros), énonçant qu’en se déterminant ainsi la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. En effet elle n’a pas suffisamment recherché si le fait pour la prévenue d’exploiter l’homonymie de ses nom et prénom avec ceux du véritable bénéficiaire des fonds versés et d’utiliser son propre compte bancaire, impliquant l’intervention d’une banque, tiers de bonne foi pour s’approprier ces fonds, pouvait constituer des actes positifs caractérisant l’emploi de manœuvres frauduleuses constitutives du délit d’escroquerie ; d’où la cassation de l’arrêt en ses seules dispositions civiles.

La voie est dès lors toute tracée pour la cour de renvoi qui accordera un remboursement intégral à la caisse de retraite en dépit de la relaxe partielle de la prévenue, relaxe portant sur la plupart des versements ; étrangeté juridique postulée par la survivance devant le juge pénal de la seule action civile. Mais il importe pour ce faire que les juges de renvoi caractérisent tous les éléments de l’infraction pour en tirer uniquement les conséquences civiles. L’analyse la plus simple est l’escroquerie par usage d’un faux nom, raisonnement au demeurant adopté à tort par l’arrêt censuré pour les faits commis entre 2013 et 2016 ; mais cette voie est sans issue car la prévenue utilisait ses vrais nom et prénom tout en usurpant l’identité d’autrui. Or l’article 313-1 du code pénal vise le faux nom et non la fausse identité. Ainsi en cas d’abus d’homonymie la fraude ne peut apparaître que si l’agent accroît le risque de confusion par des manœuvres frauduleuses (Cass. crim., 5 sept. 1902 : D. 1903, 1, 103). Reste donc l’escroquerie par manœuvres frauduleuses. La Cour de cassation laisse clairement entendre que ces manœuvres sont constituées par le fait d’utiliser son propre compte bancaire pour encaisser, via l’intervention de son banquier associé à son insu à ce stratagème, la pension de réversion de sa défunte belle-mère. Le délit d’escroquerie est alors assurément consommé. Si la prévenue avait laissé fonctionner le compte bancaire de sa belle-mère, elle n’aurait pu commettre le délit d’escroquerie en raison de sa passivité avant chaque remise de fonds.

Se pose enfin la question d’une éventuelle faute de négligence de la caisse de retraite susceptible de réduire l’étendue de son droit à réparation, question complètement occultée en l’espèce. L’interruption des paiements en janvier 2013 révèle peut-être une bien tardive sortie de sa léthargie de la caisse de retraite, probablement alertée par le grand âge de sa créancière devenue centenaire. Mais après une double relance de la belle-fille les paiements ont repris pendant trois ans. L’inertie de la caisse aura vraiment perduré.

Cass. crim., 25 mai 2022, n° 20-84.951

Wilfrid Jeandidier, Professeur agrégé des facultés de droit

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