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Projet de loi « pouvoir d’achat » : quelle place faite à l’urgence énergétique ? Par Isabelle Michel, Elève-Avocate.
Parution : lundi 18 juillet 2022
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L’année 2022 est marquée par une inflation atteignant à ce jour 5,8%. Du jamais vu depuis 1985. Dans ce cadre, un projet de loi sur le pouvoir d’achat des français a été déposé le 7 juillet 2022. Le point sur les principales mesures visant à répondre à l’urgence énergétique.

La guerre en Ukraine a mis en lumière l’interdépendance énergétique des pays, et par là même, entrainée une flambée des prix. Dans ce contexte, le gouvernement a proposé l’adoption d’un projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat complété d’un projet de loi de finances rectificative 2022. L’occasion de se pencher sur les dispositions visant à sécuriser l’approvisionnement en gaz naturel (I) et en électricité (II).

I. La sécurisation de l’approvisionnement en gaz naturel.

Deux mesures doivent être soulignées : l’octroi de prérogatives inédites au bénéfice d’acteurs du marché de l’énergie et le développement de terminaux méthaniers flottants, émetteurs de gaz à effet de serre.

L’octroi de prérogatives inédites à différents acteurs.

En cas de menace sur la sécurité d’approvisionnement en gaz, la ministre chargée de l’énergie, Agnès Pannier-Runacher, a la possibilité d’imposer un objectif minimal de stockage aux opérateurs des centrales de gaz naturel [1] dont l’activité peut être restreinte, voire suspendue, afin que d’autres usages soient privilégiés [2]. Si une menace sur la sécurité d’approvisionnement en électricité s’ajoute, la ministre est libre de réquisitionner des centrales afin de les faire fonctionner conformément à ses directives [3].

Par ailleurs, la capacité offerte aux gestionnaires de réseaux de transport de gaz naturel de conclure avec des clients des contrats leurs permettant d’interrompre leur alimentation en gaz est étendue au gestionnaire de réseaux de distribution de gaz naturel [4].

De l’avis du Conseil d’État, les mesures précitées portent atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle mais sont justifiées par l’intérêt général impérieux qui s’attache à la sécurisation et l’approvisionnement des consommateurs en gaz naturel [5].

L’installation de terminaux méthaniers flottants facilitée.

Le ministère de l’énergie a la faculté de soumettre un terminal méthanier flottant ou un projet d’installation à un régime plus souple, par voie d’arrêté. L’opérateur concerné aura notamment l’obligation de respecter une échéance de mise en service et de maintenir son exploitation pendant la durée décidée [6]. Des dérogations procédurales sont admises parmi lesquelles l’obligation de procéder à l’évaluation environnementale prévue à l’article L122-1 du Code de l’environnement [7]. A ce jour, un projet de terminal méthanier flottant situé dans le port du Havre, porté par TotalÉnergies, est étudié.

II. La sécurisation de l’approvisionnement en électricité.

Pour mémoire, la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 a fixé une limite annuelle de production équivalente à 700 heures de fonctionnement pour les centrales à charbon depuis 2020. Par suite, l’activité de quatre centrales à charbon a cessé. Dès lors, un dispositif d’accompagnement des salariés affectés par ces fermetures a été créé par l’ordonnance n°2020-921 du 29 juillet 2020.

La reprise temporaire de l’activité des centrales à charbon.

Le projet facilite la reprise d’activité des centrales à charbon au-delà de ce que permet le plafond actuel. Si l’article L311-5-3 du Code de l’énergie autorise d’ores et déjà le ministre de l’énergie à fixer un plafond d’émissions par décret, le projet précise de manière explicite qu’il peut rehausser ce plafond « en cas de menace sur la sécurité d’approvisionnement en électricité ». Les exploitants des centrales à charbon auront également une obligation de compenser les émissions de gaz à effet de serre en sus de celles issues du système européen d’échange de quotas [8].

Sur ce dernier point, le Conseil d’État met en garde le législateur en rappelant la récente injonction faite à l’État de prendre toute mesures utiles pour respecter la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée par le décret du 21 avril 2020 dans sa jurisprudence dite « Commune de Grande-Synthe » des 19 novembre 2020 et 1er juillet 2021 [9].

Des dispositions dérogatoires au Code du travail.

Un régime dérogatoire est envisagé pour les anciens salariés des centrales à charbon licenciés qui accepteraient d’y travailler de nouveau. A titre d’illustration, la suspension du congé de reclassement des salariés licenciés pour motif économique, en cas de réembauchage en contrat à durée déterminée ou en contrat de mission, est proposée. Est également autorisée la conclusion de ces contrats pour une durée maximale de 36 mois au lieu de 18 mois [10].

A noter que le paquet législatif « pouvoir d’achat » comporte un volet social. A cet égard, trois mesures axées sur l’énergie méritent d’être relevées. D’abord, le gel des tarifs de vente de gaz et le plafonnement des factures d’électricité à 4%, constitutifs d’un « bouclier tarifaire », sont étendus au 31 décembre 2022 [11]. La protection du consommateur est aussi renforcée. En particulier, la résiliation en ligne de tous types d’abonnements - dont les contrats de fourniture de gaz ou d’électricité - est facilitée [12]. Enfin, la création d’une « indemnité carburant » permettant aux travailleurs utilisant leur voiture pour se rendre à leur travail de bénéficier d’une aide de 100 à 300 euros est proposée [13].

En définitive, les dispositions actuellement discutées à l’Assemblée nationale vont certainement susciter de nombreux débats et modifications. Si le projet de loi poursuit l’intention louable de limiter notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, certaines mesures suscitent de vives critiques compte tenu de la place faite aux énergies fossiles.

D’ailleurs, l’association Greenpeace a récemment déclaré :

« la nouvelle législature, dont le premier projet de loi est censé répondre à la crise énergétique et à ses conséquences sur le pouvoir d’achat, commencera donc par un cadeau aux énergies fossiles : relance du charbon et facilitation du développement d’un terminal méthanier » [14].

Isabelle Michel Elève-Avocate

[1Article 10 du projet de loi "pouvoir d’achat" créant l’article L421-7-2 du Code de l’environnement.

[2Article 12 du projet de loi "pouvoir d’achat" créant l’article L143-6-1 du Code de l’énergie.

[3Article 12 du projet de loi "pouvoir d’achat" créant l’article L143-6-1 du Code de l’énergie.

[4Article 11 du projet de loi "pouvoir d’achat" complétant l’article L431-6-2 du Code de l’énergie.

[5CE, avis, 4 juillet 2022, projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

[6Article 13 du projet de loi "pouvoir d’achat".

[7Article 14 du projet de loi "pouvoir d’achat".

[8Article 16 du projet de loi "pouvoir d’achat".

[9CE, avis, 4 juillet 2022, projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

[10Article 16 du projet de loi "pouvoir d’achat".

[11Article 12 du projet de loi de finances rectificative pour 2022 modifiant l’article 181 de la loi n°2021-1900 du 30 décembre 2021.

[12Articles 7 et 8 du projet de loi mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

[13Exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative pour 2022.